LES MARCHÉS À MARSEILLE

Billet de blog
le 1 Avr 2023
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Bien sûr, il y a des marchés dans toutes les villes. Sans doute même les marchés sont-ils parmi les faits à l’origine du fait urbain. Mais ils revêtent un sens particulier à Marseille.

Les marchés dans l’histoire

Si la figure du marché est présente dans l’histoire de toutes les villes, car elle est une composante majeure de la naissance du fait urbain, les marchés ont une place particulière dans l’histoire de Marseille, car ce n’est pas seulement dans l’histoire de la ville qu’ils ont une place, c’est dans l’articulation de deux cultures, la culture française et la culture grecque du commencement. La figure du marché est une figure essentielle de l’histoire de l’espace méditerranéen. L’histoire de Marseille voit ainsi se succéder quatre âges du marché. Le premier est le marché grec des Phocéens, qui ouvre la ville à des échanges avec d’autres régions voisines, et qui, en quelque sorte, prépare l’entrée de Marseille dans l’histoire de France. Le second âge de l’histoire du marché marseillais est celui de la construction de la ville : le marché est l’une des étapes de cette construction et de l’aménagement de l’espace urbain. Un troisième âge de l’histoire de la ville donne une place essentielle au marché : il s’agit de la ville du XIXème siècle et de l’histoire moderne, dont le marché central s’installe cours Julien. Le marché se voit reconnaître une place dans l’aménagement moderne de Marseille Enfin, l’époque contemporaine situe le marché dans des espaces du centre comme les Capucins ou dans des espaces périphériques comme le marché de gros des Arnavaux ou comme les marchés informels de Gèze ou de la porte d’Aix.

 

Une figure de l’espace de la ville

Les marchés ne sont pas seulement une activité urbaine, il ne s’agit pas seulement d’un usage de l’espace urbain : c’est toute une configuration de l’espace urbain qui est aménagée par les marchés. Choisissons trois exemples : le marché des Capucins, celui de la porte d’Aix et le marché « informel » de Gèze. Ces trois marchés, qui, d’ailleurs, existent depuis longtemps, ne sont pas que des usages commerciaux de l’espace de la ville : c’est toute une configuration de l’espace urbain que les marchés construisent. La figure centrale de l’espace du marché est, bien sûr, la place. Sans doute même, comme souvent, est-il impossible de savoir si, à un endroit particulier, il y a eu un marché parce qu’une place y était aménagée ou si la place a été construite à l’endroit d’un marché pour l’inscrire dans l’espace urbain. Ce qui est intéressant à relever, c’est que, dans un site comme le Cours Julien, même après le départ du marché pour les Arnavaux, la piétonnisation de la rue représente une sorte de survivance de l’espace du marché dans l’histoire du lieu, comme si le marché avait une place particulière dans l’inconscient de la ville. Dans le même temps, le marché connaît deux temps dans l’histoire de Marseille, comme dans celle des villes. Central, comme celui de Noailles ou des Halles de Paris, il est, à un certain moment, repoussé à la périphérie, comme ce fut le cas à Marseille (Arnavaux) ou même en banlieue (Rungis dans la banlieue parisienne). C’est alors qu’à l’intérieur de la ville, le marché change de sens et de statut. 

 

Un espace de parole

Comme les marchés sont une sorte de mise en scène de l’échange, il s’agit d’un espace de parole : ce ne sont pas seulement les marchandises et l’argent qui s’y échangent, ce sont aussi les mots. Les marchés sont un espace essentiel de la communication urbaine : ils ont même un rôle majeur dans la formation de la langue de la ville, de ses argots, de mots qui lui sont propres, mais ils ont toujours été, depuis l’agora des grecs un espace urbain véritablement fondé par les mots et les paroles. Il s’agit aussi, bien sûr, d’un espace dans lequel on apprend à se méfier des mots, dans lequel les mots sont aussi des outils et des techniques destinées à essayer de persuader l’autre ou de le séduire.

 

Deux économies à Marseille

Les marchés donnent à voir l’existence de deux économies dans la ville : ils manifestent le fait que l’économie de Marseille est duale : il y a une économie légale, reconnue, institutionnalisée, et il y a June autre économie, souterraine, informelle. Ces deux économies se partagent l’espace des marchés. S’il existe, d’un côté, des étals de marchands qui proposent des articles de toutes sortes à la vente, il existe aussi, dans l’espace du marché, toute une activité d’échanges sans contrôle ou, plus simplement, qui ne s’inscrit pas dans les formes et les structures du marché légal. La dualité de ces deux économies fait véritablement exister deux villes à Marseille sans que l’une recouvre l’autre ou se confonde avec elle, et, au-delà, ce sont deux espaces politiques qui, en quelque sorte, cohabitent dans le site marseillais.

 

Une forme particulière de vie sociale urbaine

C’est tout un aspect de la vie en société qui fait l’objet d’une configuration par les marchés. C’est pourquoi, à Marseille comme dans d’autres villes, certains marchés – ou certaines parties de marchés – font l’objet d’une régulation administrative, tandis que d’autres échappent à cette sorte de tutelle. Les marchés nous permettent de mieux comprendre que la vie sociale de Marseille se partage, comme on l’a vu, en deux domaines, un domaine légal et soumis à des normes cet un domaine informel soumis à ses propres normes, mais que les marchés instaurent toute une forme de vie sociale. Il y a des façons de parler, comme on l’a vu, il y a des formes de relations sociales, mais il y a aussi des façons d’habiter la ville qui sont propres aux marchés. D’abord, il existe une architecture des marchés ; les places et les rues des marchés ont une configuration particulière dotée de constructions et de voies de circulation particulières. Par ailleurs, il y a des façons particulières de circuler, de se déplacer. La répartition entre la piétonnisation et les véhicules motorisés n’est, sans doute, pas la même que dans d’autres espaces urbains. Enfin, la vie sociale urbaine des marchés obéit à des normes et à des codes particuliers. À Marseille, en particulier, la vie des marchés présente une caractéristique importante : son cosmopolitisme. Les marchés sont même peut-être une des origines du cosmopolitisme marseillais, de ce fait que ;l’on y parle toutes les langues. Ce cosmopolitisme est, ainsi, lié à la culture méditerranéenne des marchés et à toute l’histoire de la ville et il permet de mieux comprendre la place des marchés dans le temps long de l’histoire de Marseille.

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