LE PORT FACE À LA VILLE
Dans une chronique du mois de juillet dernier, nous avions évoqué la place du port dans Marseille. De récentes difficultés amènent à évoquer la complexité des liens entre le port et la ville.
Une complexité historique
Si Marseille existe, si elle est devenue une grande ville, c’est grâce à son port. C’est le port qui est à l’origine de cette ville. En ce sens, Marseille a une longue histoire de relations avec la mer, avec la navigation et avec la circulation maritime. Cet ancrage du port dans l’histoire de ville rend nécessaire de penser les relations entre ces deux institutions et, en même temps, comme toutes les relations anciennes, comme dans les familles, rend difficile de concevoir les façons politiques de faire vivre ce réseau de relations. Encore comme dans les familles, le poids des ans, des siècles, empêche le port et la ville d’avoir des relations apaisées. Cette complexité tient, d’abord, à l’histoire de l’enchevêtrement du port et de la ville. La ville a, d’abord, été construite et aménagée autour du port. On peut s’en rendre compte encore aujourd’hui en suivant le tracé de l’histoire des rues et du plan de la ville. La ville s’est construite en enveloppant, en quelque sorte, le port : la ville est l’extension du port, puisqu’elle n’est que l’espace de l’habitation de celles et de ceux qui vivent du port, des activités qui sont nées à partir de lui, et des marchés qui ont fleuri au fur et à mesure que l’importance de la ville grandissait grâce au développement du port et de son activité économique. Enfin, l’hôtel de ville est bien dans le port, construit sur l’un des quais de ce que l’on appellera le « Vieux port » quand sera construit le port de la Joliette.
L’extension du port et sa sortie de la ville
Le premier décrochage se produit en 1844. C’est à ce moment qu’est décidée la construction d’un nouveau port à cet endroit : les bateaux n’arrivaient plus à se satisfaire du Vieux-Port. Les docks seront ouverts en 1864. C’est ainsi que le port se sépare de la ville et qu’en quelque sorte, les relations entre la ville et le port changent : le port sort de la ville et une urbanisation nouvelle se met en œuvre autour des nouvelles installations et des nouvelles activités du port. Puis, à partir de ce moment, le port ne cessera plus de s’étendre et de se séparer de la ville, jusqu’à représenter, aujourd’hui, une étendue qui est devenue un véritable monde au nord de Marseille. Mais, dans le même temps, cette extension du port va le rendre de plus en plus difficile à vivre pour les habitants de la ville. En s’étendant au Nord de la ville ancienne, le port se sépare de la ville : les activités qui lui sont liées se situent désormais en-dehors, dans des espaces qui, de faubourgs, vont devenir des banlieues, et celles et ceux qui travaillent au port et qui en vivent vont être, eux aussi, chassés du centre pour habiter dans des quartiers périphériques.
Les complications écologiques de l’activité maritime
La séparation du port et de la ville va être, d’abord, économique : le port va devenir un acteur économique ayant une existence propre, sans dépendre de celle de la ville, et c’est ainsi que l’administration du port va constituer, désormais un pouvoir de la Chambre de commerce, échappant ainsi à l’autorité de l’administration municipale. Mais cette séparation du port et de la ville va se traduire aussi dans les complications environnementales de l’activité du port. Au fur et à mesure que la navigation, les transports maritimes et le commerce maritime vont devenir des activités de plus en plus complexes et vont connaître, eux aussi, un développement lié à la mondialisation et à l’industrialisation, les activités du port vont devenir de plus en plus insupportables pour les habitants. C’est ainsi qu’un conflit véritable naît aujourd’hui entre les riverains du port et les entreprises de transport et de voyage autour de la pollution due aux bateaux gigantesques des croisiéristes. Ce conflit n’en est encore qu’au début des revendications, mais il est appelé à s’aggraver.
Les pouvoirs du port
Ces conflits et cette distance de plus en plus importante prise par le port à l’égard de la ville manifestent, en réalité, ce qu’est devenue la confrontation entre la ville et le port : un conflit de pouvoirs. Le port a acquis de plus en plus de pouvoirs dans l’histoire. Son autonomie étant reconnue par rapport à la municipalité, il fait partie des activités économiques dirigées par la chambre de commerce, et, de cette manière, il fait ce qu’il veut. Il dispose de pouvoirs économiques et financiers, il dispose de pouvoirs considérables sur l’emploi dans la métropole et il dispose de pouvoirs également considérables dans le domaine de l’urbanisme, à la fois parce qu’il règne sur un espace de plus en plus étendu qu’il aménage à sa guise et parce que l’urbanisme de la ville et de la métropole doivent tenir compte de cet acteur essentiel. Dans ces conditions, le pouvoir du port, qui est, en partie à l’origine de la naissance de la métropole et de la délimitation de son territoire, a toujours été un pouvoir dans la ville mais il le devient de plus en plus. Le port n’est désormais plus dans la ville comme il l’était à ses débuts, il n’est plus hors de la ville comme il l’était devenu au temps de la Joliette, il est à la fois dans la ville et hors d’elle, donnant naissance à un espace particulier de pouvoir. Le port est devenu à lui tout seul une métropole dans la métropole, un territoire propre qui mène sa politique comme il l’entend. Sans doute est-ce ce qui peut devenir grave, car même les conflits entre le port et la ville ou même les simples tensions entre eux comme il en existe dans toutes les relations de pouvoir vont se mettre en œuvre sur le dos des salariés du port et de toutes celles et de tous ceux qui travaillent du port. La tension n’est plus seulement écologique : elle est sociale, professionnelle et institutionnelle. À moins, ce que je crois, que l’on ne finisse par reconnaître que l’écologie n’est qu’une nouvelle manière de penser la signification des conflits politiques, des logiques de pouvoir et de la vie des institutions. Et si l’on pensait une écologie politique du port dans la ville ?
Commentaires
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Effectivement votre analyse est pertinente. Je regrette que la ville avec le soutien régional ou de l’état que sais je, n’exige pas plus de transparence sur les projets du port. Ce projet du cap Janet ?? Ou en est il? Le projet du J1?
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Cela devient d’autant plus insupportable que le principal de l’activité proprement portuaire a été déménagée à Fos. Ne restent plus ici qu’à Mourepiane les HLM flottants ultra polluants et quelques ferries qui desservent la Corse et le Maghreb. L’autonomie du Port n’a plus de raison d’être à Marseille. Les Terrasses du Port ont tué beaucoup de commerces du Centre Ville, elles sont en train de décimer le Centre Bourse. Il est temps que la Ville de Marseille et l’Etat réagissent, otent ce pouvoir de nuisance au GPMM, lui reprennent les immenses surfaces à terre et l’accès au littoral pour un grand projet urbanistique.
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