Accusations de harcèlement moral et démissions en cascade au sein du Medef local
Des ex-salariés du tout-puissant syndicat patronal des Bouches-du-Rhône dénoncent le management toxique et le harcèlement moral de la direction. Alerté depuis près de deux ans, le président, Philippe Korcia n'a pas réagi aux alertes.
Le siège de l'UPE13 dans le centre de Marseille. (Photo : LC)
Derrière le décor fastueux et les discours d’auto-promo, une crise profonde couve depuis plusieurs mois dans les couloirs feutrés de l’UPE13. “Violent mistral au syndicat des patrons de Marseille”, titre Le Canard enchaîné, qui révèle ce mercredi 1er mars la colère qui gronde au sein du premier syndicat des patrons du département. Cet équivalent local du Medef, basé sur le Vieux Port, fédère 14 000 entreprises et emploie à l’heure actuelle une trentaine de salariés, en majorité des femmes. Le 30 janvier dernier, pour les vœux de l’organisation qui se tenait à l’opéra de Marseille, son président Philippe Korcia, célébrait la capacité de l’union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône “à transformer ses rêves en réalité”, devant un parterre de 1600 invités ; pour la plupart des patrons et élus locaux, comme le président de région (Renaissance), Renaud Muselier.
Pourtant, l’équipe de l’UPE13 s’est réduite comme peau de chagrin avec le départ d’au moins quinze salariés depuis 2021, dont deux directrices des ressources humaines et deux directeurs des affaires financières. Marsactu a recueilli le témoignage d’une dizaine d’ex-salariés partis en 2022 et d’un élu bénévole qui décrivent des scènes d’humiliations et un management malsain au siège de l’institution patronale, en particulier depuis la nomination, en 2020, de Jean-Philippe Quattrocchi, l’ancien directeur-adjoint de l’Urssaf Provence-Alpes Cotes d’Azur, au poste de directeur général de l’UPE13. Sollicitée, l’organisation syndicale n’a pas donné suite aux questions de Marsasctu.
« On ne savait plus pourquoi on travaillait »
Présenté comme un directeur général “d’exception” par le président de l’UPE13, lors de sa nomination le 1er juin 2020, Jean-Philippe Quattrocchi bénéficie à ses débuts d’une aura positive. Mais très vite, les salariés déchantent. En tête-à-tête comme en réunion collective, ils deviennent tour à tour cibles et témoins de remarques méprisantes. “Sous couvert d’ironie, il rabaissait régulièrement les compétences professionnelles de ses collaborateurs en lâchant par exemple « Mais à quoi vous passez vos journées ? », « Vos actions ne mènent à rien »”, se souvient Bérengère*, une ancienne cadre de l’organisation. À une nouvelle employée qui demandait des instructions précises pour convaincre de nouveaux responsables d’entreprise d’adhérer au syndicat, “il s’est contenté de répondre : « eh bien, vous prenez le téléphone et vous parlez quand ça décroche de l’autre côté ! » tout en mimant un appel devant tous les collègues réunis”. Ces moqueries paraissent d’autant plus injustes qu’elles étaient parfois suivies de salves de compliments. “Un jour, il nous traitait d’incapable et le lendemain on recevait un mail de félicitation pour notre travail”, ajoute Marie*, qui a fini “par douter tout le temps” d’elle-même.
Beaucoup décident de faire le dos rond, de ravaler leurs questions et d’essayer de s’adapter à ce qu’ils croient comprendre de son niveau d’exigence. “Il nous demandait parfois des rapports ou des tâches importantes à rendre du jour au lendemain, mais ne les lisait jamais, raconte Véronique*, une employée démissionnaire. On avait le sentiment qu’il cherchait juste à nous assommer de travail et on ne savait plus pourquoi on travaillait”.
Selon plusieurs témoins, une salariée a reçu jusqu’à 47 appels par jour du directeur.
Au moins quatre salariées citent une règle tacite, devenue de plus en plus oppressante au fil des mois. Les appels téléphoniques de Jean-Philippe Quattrocchi devaient avoir la priorité sur toutes leurs activités, y compris les jours de repos. Une ex-commerciale s’est ainsi habituée à voir son téléphone saturé de messages lorsqu’elle était en déplacement ou en rendez-vous pour le compte l’UPE13. Certains jours, son écran affichait entre 20 et 47 appels en absence, selon des témoins. D’autres, ouvertement critiques du mode de management de la direction générale, ont reçu des menaces verbales de licenciement – qui n’ont pas été mises à exécution.
Insomnies et crises de larmes
Cibles directes ou salariés témoins des saillies de leur supérieur hiérarchique, la plupart ont vu leur santé physique ou morale affectée. Ces deux dernières années, il n’était pas rare d’assister à des crises de larmes dans les couloirs. Certains se rendaient en tremblant au bureau et ont été mis en arrêt maladie par la médecine du travail. “Plusieurs fois, je suis rentré chez moi au bout du rouleau, je devenais irascible”, raconte un salarié qui a décidé de mettre fin à son CDI après trois années passées à l’UPE13. “L’ambiance de terreur qui régnait a déclenché des pertes de cheveux, des insomnies et des symptômes de bruxisme [qui provoque des contractions douloureuses des mâchoires]“, témoigne Bérengère, une cadre expérimentée encore marquée par ses deux dernières années passées au sein de la structure.
Au cours de 2021 et 2022, les délégués du personnel font remonter le mal-être des salariés à au moins trois reprises, lors des réunions du conseil social et économique (CSE) de l’union patronale. De crainte de susciter la colère de la direction, le mot “harcèlement” n’est jamais prononcé mais leurs critiques vont crescendo.
En 2021, les représentants des cadres demandent à la direction de “s’adresser à eux de manière professionnelle”.
Le 11 mai 2021, les représentants des cadres de l’UPE13 pèsent leurs mots pour prier la direction générale “de [les] considérer et de s’adresser [à leur égard] de manière professionnelle dans un esprit constructif et collaboratif”. Selon le compte-rendu que s’est procuré Marsactu, Jean-Philippe Quattrocchi, alors en poste depuis un an, reconnaît que “la situation doit pouvoir s’améliorer”, que “la bienveillance collective doit être un travail de tous, y compris des délégués du personnel” et promet “d’y travailler”. Cinq mois plus tard, rebelote. Le 14 septembre 2021, les salariés dénoncent “une forte hiérarchisation qui entraîne une communication interne dégradée et de l’immobilisme”. Le procès-verbal de la réunion indique que la direction a bien pris note de l’information, sans y répondre.
Départs en cascade
Le 28 janvier 2022, face au directeur général Jean-Philippe Quattrocchi, les représentants des cadres et des non-cadres de l’UPE13 enfoncent une nouvelle fois le clou sur “le manque de reconnaissance qui se fait de plus en plus sentir et une communication interne de plus en plus dégradée”. Les délégués du personnel, qui n’obtiennent pas plus de réponse selon le compte-rendu du CSE, avertissent: “Nous ne sommes plus très nombreux (…) les salariés partent un par un, d’autres sont retenus mais ne resteront pas.”
Les départs en cascade ne semblent pas inquiéter outre mesure le patron des patrons de Marseille. Alors que les lettres de démissions et demandes de rupture conventionnelle s’accumulent sur son bureau, Philippe Korcia affiche une sérénité totale face aux salariés restants, qu’il réunit le 3 juin 2022. Au cours de cette réunion d’équipe, dont Marsactu a pu écouter un enregistrement sonore, le président de l’UPE13 détaille les récents changements de l’organigramme et annonce “un projet de restructuration”. Ce projet, ajoute-t-il, “implique forcément une nouvelle équipe, des gens qui partent et des gens qui arrivent, dans une respiration normale dans une organisation de ce type-là”.
À l’entendre, on pourrait croire que l’UPE13 est une multinationale brassant des milliers de salariés, avec un turn over inévitable. Sauf qu’il s’agit d’une PME comptant environ 80 salariés avant sa prise de fonction, fin 2019, qui a depuis perdu près des deux-tiers de ses effectifs, selon nos informations. Plus qu’une respiration “normale”, l’UPE13 a connu une hémorragie, pour reprendre la métaphore anatomique.
Philippe Korcia accusé d’inaction
Malgré les alertes, Jean-Philippe Quattrocchi est maintenu à son poste de directeur général. Des salariés suggèrent au président, Philippe Korcia, de lancer un audit sur les risques psycho-sociaux ou encore d’organiser des formations au management. Selon nos informations, aucune de ces propositions n’a été retenue. “Le président m’avait promis qu’il allait reprendre en main la gestion du personnel et ne laisser que l’opérationnel à son DG, mais dans les faits rien n’a changé”, raconte Nadia* qui a fini par trouver un emploi ailleurs, il y a quelques mois.
Pourtant, l’employeur est responsable de la santé physique et mentale de ses salariés, selon l’article L4121-1 du code du travail. Si le président reçoit un signalement concernant un comportement déplacé, il doit enquêter sur les allégations. La réglementation parle d’une “obligation de résultat relative à la protection” des salariés. En clair, l’employeur s’expose alors à des poursuites judiciaires s’il ne prend aucune mesure alors qu’il a connaissance de faits de harcèlement moral ou sexuel. Des tribunaux ont ainsi condamné des employeurs pour “faute inexcusable”, ouvrant la voie à des compensations financières pour les victimes, selon le cabinet de ressources humaines ICMP.
Il y a environ trois ans, j’ai signalé au président [Philippe Korcia] qu’au moins quatre salariées d’un même service étaient harcelées par leur chef de service qui était odieux.
Un élu de l’UPE13
Selon les plus anciens et anciennes salariés de l’UPE13, les méthodes de management brutal sont ancrées depuis plusieurs années dans le fonctionnement du syndicat patronal. Des prédécesseurs de Jean-Philippe Quattrocchi, ainsi qu’un actuel directeur de service, ont déjà fait l’objet de signalements pour harcèlement moral, confirment trois sources contactées par Marsactu au sein de l’UPE13. “Il y a environ trois ans, j’ai signalé au président [Philippe Korcia] qu’au moins quatre salariées d’un même service étaient harcelées par leur chef de service qui était odieux, les appelait en permanence et leur hurlait dessus”, raconte un élu de l’UPE13 qui souhaite rester anonyme. “Ce chef a été muté quelque temps auprès du président puis est revenu à la direction qu’il gérait, et le harcèlement a continué”, témoigne une victime, qui souffre de dépression et avait signalé la situation à la médecine du travail en 2022.
Pendant que les salariés peinent à faire entendre leur souffrance, le syndicat patronal s’auto-décerne le label “d’entreprise à mission” – sous entendu sociale ou environnementale -, lors de son assemblée générale de juin 2022. L’objectif affiché de ce nouveau titre, prévu par le code du commerce, est d’aller “plus loin et agir pour une croissance responsable” explique aux Nouvelles Publications Marie Bagnoli, la vice-présidente en charge du commerce à l’UPE13. En interne, l’annonce fait grincer des dents. Ce que Perrine* corrobore : “On prône le bien-être au travail, la responsabilité sociale des entreprises, alors qu’en réalité l’UPE13 est un des plus mauvais exemples de Marseille”.
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé
Pour reprendre une expression de Bourdieu, quand on a comme boulot d’être “chien de garde” du patronat, il ne faut pas s’étonner d’être en retour traité comme un chien
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Comment ça ? Des patrons se prendraient pour Dieu, ils mépriseraient leurs employés, feraient passer leur soif de pouvoir avant la santé de leur entreprise, utiliseraient des mots ronflants pour dissimuler leur incompétence et leur manque d’humanité ? Pourtant, ce sont bien les irréprochables modèles de toute société “moderne”, habités par le bien commun, à tel point que les gouvernements implorerent leur bienveillance et responsabilité pour augmenter les salaires, améliorer les conditions de travail, respecter la législation. Inutile de les y contraindre par la loi, ils sont tellement exemplaires, modifions plutôt les lois pour laisser leur génie s’épanouir et ruisseller sur la société. Et certains auraient pris le melon? Quelle surprise !
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Oui … Et que dire de ceux qui les écoutent !
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« Vous pensez qu’on profite de la vulnérabilité des gens ? » c’est la question que posait Philippe Korcia lorsqu’il fut pris dans une affaire de gestion de taudis familiaux dans un immeuble en péril https://www.leravi.org/social/logement/habitat-indigne/president-de-lupe-13-philippe-korcia-gere-avec-sa-famille-un-immeuble-en-peril-dans-le-quartier-belsunce-a-marseille-fevrier-2021/
Le même Philippe Korcia, à propos des initiatives contre la pollution par les bateaux à quai, affirmait : “Le maire de Marseille agit de façon dogmatique car il est tiraillé par la majorité municipale” https://www.businews.fr/Benoit-Payan-lance-une-petition-contre-la-pollution-de-l-air-des-navires_a4191.html
Ah ? on me dit dans l’oreillette que ce monsieur aurait géré le groupe Eurafrique, Voyages Eurafrique, ” agence spécialisée dans les déplacements professionnels, voyages loisirs et évènements business”. Très représentatif de ce qui reste du patronat marseillais ne jurant que par l'”attractivité”…
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Question : il n’ont pas de CSE ?
Parce qu’au regard des obligations des représentants du personnel, une telle situation aussi fréquemment répétée devrait depuis longtemps être devant la Justice, prud’homale ou civile.
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