Rassemblement contre Zemmour : la justice s’emballe contre trois antifascistes

Enquête
par Clara Martot Bacry & Camille Polloni (Mediapart)
le 27 Fév 2023
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Ce lundi, deux hommes et une femme devaient comparaître pour des "violences en réunion" contre des policiers, à Marseille, lors du rassemblement contre l’ouverture du local de Reconquête, le 2 février. Ils dénoncent un "dossier vide" qui les a conduits à la prison des Baumettes pour quatre jours.

Manifestation contre l
Manifestation contre l'inauguration du local du parti d'extrême droite Reconquête le 2 février 2023. (Photo : Patrick Gherdoussi)

Manifestation contre l'inauguration du local du parti d'extrême droite Reconquête le 2 février 2023. (Photo : Patrick Gherdoussi)

Sur le papier, le rassemblement du 2 février contre l’ouverture du local marseillais de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, s’annonçait plutôt paisible. L’appel à manifester portait la signature de plusieurs organisations qui, de Solidaires à SOS Racisme, n’ont pas l’habitude d’être cataloguées comme « à risque ». Pourtant, le dispositif policier déployé ce soir-là semblait anticiper des débordements violents. Et sur les quelque 200 manifestants antifascistes, trois sont repartis menottés. Mis en cause notamment pour « violences en réunion avec arme » sur trois policiers, ils devaient comparaître ce lundi devant le tribunal correctionnel de Marseille. Leur procès aura lieu le 29 mars.

Le traitement de cette affaire interroge. Au terme de leur garde à vue, les militants ont passé quatre nuits en détention provisoire aux Baumettes. Cette décision, très inhabituelle pour trois personnes au casier judiciaire vierge, a suscité l’indignation dans les cercles militants marseillais. Et les éléments de l’enquête consultés par Marsactu et Mediapart contiennent plusieurs incohérences qui mettent à mal la version policière.

Selon le procès-verbal d’interpellation, il est 18 h 20 lorsque la police passe les menottes à un premier manifestant. Le rassemblement a commencé trente minutes plus tôt et “la police devient agressive, ce qui fait fuir les personnes âgées”, témoigne Hervé Menchon, adjoint (EELV) à la mer, venu manifester avec d’autres élus. Pour ce dernier, “la réaction policière était disproportionnée. Un CRS m’a dit qu’ils étaient là pour contenir les “ultragauchistes”. Leur attitude était caricaturale”.

Témoignage policier contre vidéo amateur

Arthur*, 22 ans, est le premier interpellé. C’est un gardien de la paix de la CDI 13, une compagnie départementale spécialisée dans le maintien de l’ordre, qui rédige le procès-verbal. Ce soir-là, Benjamin B. fait partie d’un groupe de policiers en civil chargés de « mettre en place une surveillance discrète d’un groupe d’opposants politiques ».

“Masqué par un cache-cou”, Arthur aurait lancé “une grosse pierre” en direction du “bouclier” d’un CRS, écrit le gardien de la paix. Une vidéo amateur a capturé la suite de la séquence en plan large, depuis l’autre côté de l’avenue. On y voit Arthur maintenu au sol par quatre policiers en civil, le ventre plaqué sur le trottoir. Lorsqu’il affirme “j’ai pas jeté de pierres”, un policier lui répond “ta gueule”. Pendant ce temps, une charge policière pousse le groupe de manifestants hors du champ. Arthur est donc seul mais sur le procès-verbal, Benjamin B. affirme être “face à de nombreux individus hostiles qui tentent de libérer l’interpellé”.

En passant les menottes au jeune homme, un autre policier, Thomas S., affirme ressentir une “vive douleur” au majeur de la main gauche. Quant à Benjamin B., il écrit qu’un deuxième individu, Ulysse* (19 ans), surgit à ce moment-là et lui donne “un violent coup de pied au niveau de l’entrejambe”. Les policiers expliquent être alors entourés par “une soixantaine d’individus hostiles” et “recevoir de nombreux coups de pieds”. Selon plusieurs témoins, ces policiers en civil, qui ne portaient pas leur brassard, auraient pu être confondus avec des sympathisants d’Eric Zemmour, ajoutant au désordre général.

Un « collègue en civil » introuvable

La même confusion entoure l’arrestation de la troisième mise en cause, Julie*. Cette femme de 32 ans est interpellée dix minutes plus tard par des CRS. Auditionné après les faits, le policier interpellateur raconte la scène : pendant une charge, Julie aurait été identifiée dans un groupe d’une “vingtaine de personnes” en train de “rouer de coups” un “collègue en civil” au sol. Problème : ce “collègue en civil” n’a jamais été retrouvé.

La brigade anticriminalité (BAC), qui travaille en civil, ne signale “pas de victime de ces faits”, précise un procès-verbal daté du lendemain. La CDI 13 indique également “ne pas avoir de blessés dans [ses] rangs concernant cette affaire”. Le 4 février au matin, alors que Julie se réveille de sa deuxième nuit en garde à vue, l’enquête se conclut sur une étrange pirouette intellectuelle : “Vu l’absence de fonctionnaire blessé autre que ceux cités dans la procédure supra [celle visant Arthur et Ulysse, ndlr], la victime de la présente procédure est donc identifiée comme étant le gardien de la paix Benjamin B., affecté à la CDI 13 de Marseille.”

L’avocate de la jeune femme, Charlotte Bonnaire, explique n’avoir “jamais vu ça”. “Déjà, normalement, on n’a pas besoin de rechercher des policiers victimes parce qu’ils se manifestent d’eux-mêmes. Et là, étant donné que personne ne se manifeste, l’enquête a simplement copié-collé le nom du policier qu’on trouve dans l’autre procédure !”

Au soir du 4 février, les trois manifestants poursuivis sont placés en détention provisoire aux Baumettes, dans l’attente de leur procès. Dans le cadre d’une “comparution immédiate à délai différé”, tous sont renvoyés devant le tribunal le 27 février pour “violences en réunion avec arme”, “participation à un attroupement après la sommation de dispersion” et “dissimulation du visage”. Julie doit aussi être jugée pour avoir refusé de donner ses empreintes digitales.

Quatre nuits aux Baumettes

Tous étudiants ou salariés, pourquoi n’ont-ils pas été simplement placés sous contrôle judiciaire ? Selon le parquet, puis la juge des libertés et de la détention de permanence ce soir-là, la prison était “l’unique moyen” d’empêcher un “renouvellement de l’infraction” et une “concertation frauduleuse” entre eux. Une mesure “disproportionnée” pour Charlotte Bonnaire : “Je ne suis pas polémiste mais pour moi, c’est une mesure-sanction. On a voulu donner une leçon à ces personnes”. Une leçon “incompréhensible” pour Philippe Chaudon, qui estime que son client, le jeune Ulysse, “n’avait rien à faire en prison“.

Le 8 février, après quatre nuits aux Baumettes, les magistrats accèdent finalement à leur demande de remise en liberté. Lors de cette audience, la représentante du ministère public estime que “ce n’est pas ce type d’individus qui doivent remplir la maison d’arrêt des Baumettes”, déjà occupée “à 170%”. Pourquoi le parquet de Marseille avait-il donc requis la détention provisoire quatre jours plus tôt ? Ce dernier n’a pas donné suite à nos sollicitations.

En prévision du procès, le parquet de Marseille a formulé deux demandes. La première : visionner les caméras d’une banque située à proximité de la scène. Sans succès. La procédure consultée par Marsactu et Mediapart parle en effet d’images “inexploitables”. Ce que regrette Charlotte Bonnaire : “dans les petites rues du centre-ville, on sait que c’est parfois difficile de retrouver des caméras parce qu’elles sont cassées ou mal orientées. Mais sur l’avenue du Prado, c’est plus rare”. Deuxième demande : obtenir les certificats médicaux des policiers se disant victimes. Selon nos informations, plusieurs fonctionnaires se sont constitués parties civiles.

“Des policiers m’attrapent, je me laisse faire”

Avant la manifestation, les trois prévenus ne se connaissaient pas. Le plus jeune, Ulysse, 19 ans, est un étudiant proche de LFI et de l’Unef, qui vit encore chez ses parents. Arthur, âgé de 22 ans, travaille comme accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH). Quant à Julie, 32 ans, membre de Solidaires, elle suit actuellement une formation professionnelle. Dénonçant un “dossier vide” auprès de Marsactu et Mediapart, Julie conteste toute violence sur des policiers et s’étonne de la manière dont s’est déroulée son interpellation, après “plusieurs charges” et gazages visant à éloigner les manifestants du local de Reconquête, où les invités “nous filmaient et nous prenaient en photo depuis l’étage”.

“Dans la confusion, des policiers arrivent dans mon dos et m’attrapent, je me laisse faire”, affirme la jeune femme qui n’avait jamais été placée en garde à vue auparavant. Une fois au commissariat, elle décide d’exercer son droit au silence et n’imagine “pas du tout” se retrouver en détention provisoire. Aux Baumettes, “personne ne comprenait que je sois là”, assure-t-elle, “que ce soit le personnel pénitentiaire ou le médecin”. “J’avais très peur de ne pas pouvoir passer mon diplôme de moniteur d’atelier, le jeudi 9 février, alors que je travaillais depuis un an”. Libérée la veille, elle l’a finalement passé et obtenu.

Un manifestant blessé le même jour dépose plainte
Le 20 février, d’après les informations de Marsactu et Mediapart, un homme a déposé plainte pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, avec arme » lors de cette manifestation. Lors de la troisième charge policière, ce manifestant de 25 ans prénommé Alexandre était en train de filmer depuis le trottoir de l’avenue du Prado.
Sur les images qu’il a tournées ce jour-là, on voit deux policiers de la compagnie d’intervention, en tenue de maintien de l’ordre, revenir sur leurs pas alors qu’ils l’ont déjà dépassé. L’un d’entre eux s’approche d’Alexandre, tonfa dans la main droite, quand la vidéo s’interrompt. Selon le récit d’Alexandre, ce policier le pousse alors contre une voiture et lui met un coup de tonfa dans le buste. Il se souvient d’un “bruit de biscotte” entre ses côtes au moment de l’impact. En arrêt de travail depuis et souffrant de vives douleurs, le manifestant a mis plus de quinze jours à déposer plainte, vu son état de santé : “le radiologue m’a dit que j’avais une fracture et je suis sous Tramadol”. Il doit désormais se rendre dans une unité médico-judiciaire pour faire établir son interruption totale de travail.
Actualisation le 27 février à 15 h 09 : ajout de la date d’audience définitive.
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Clara Martot Bacry
Camille Polloni (Mediapart)

Commentaires

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  1. zaza zaza

    Il est reporté au 22 mars le procès, vous n’êtes pas au courant ??::

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Bonjour, quand nous avons édité cet article, la date du 22 mars n’était pas certaine. Elle l’est depuis aujourd’hui, nous avons corrigé l’article en conséquence. Merci à vous

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  2. vékiya vékiya

    on se demande pourquoi la police est de moins en moins appréciée

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  3. Dominique PH Dominique PH

    mon témoignage de personne présente  :

    le rassemblement n’a à aucun moment entamé la moindre violence physique

    Quand   après des slogans hostiles  à Zemmour (multi-récidiviste ++ en  infractions dégueulasses dont provocation à la haine religieuse, injures publiques à caractère raciste,  provocation à la discrimination raciale,  contrefaçon de droits d’auteur et atteinte au droit moral …)
    ont commencé ensuite à fuser
    des slogans hostiles aussi aux forces de l’ordre
    tandis que des tracts étaient distribué aux passant(e)s
    et que les rares  zemmouriens (chacun d’allure très bourgeoisie 16 eme arrondissement de Paris)
    nous photographiaient du haut des fenêtres de leur local (qui est haut-perché) ,
    un policier a brusquement (sans sommations mais avec une gazeuse) aspergé de lacrymogène les  personnes présentes
    (les anti-racistes bien sur,  les policiers n’ont pas du tout  inquiété les quelques soutiens au multi-récidiviste en infractions dégueulasses)

    Spontanément,
    avec les yeux qui picotent bigrement,
    les personnes manifestantes se sont éloignées
     du policier gazeur
    on s’est tous et toutes retrouvé(e)s sur la chaussée du Prado
    à au moins trente mètres des forces de l’ordre.

    Quelques secondes plus tard,
    des dizaines de CRS se sont placés en ligne face à nous
    sur toute la largeur
     donc du Prado,
    leur chef s’est mis juste  devant eux
    et avec un sorte de mégaphone
    il a déclamé que notre manifestation était interdite
    que l’on devait s’éloigner et se disperser illico
    il ajoute immédiatement qu’il commence les sommations.
    Dès la deuxième  (de sommation),
    les CRS leurs matraques bien en main
    se sont mis à sprinter vers nous

    Chacun, chacune  d’entre nous
    s’est mis aussi à courir pour leur échapper
    et dans ma course
     j’ai vu 3 policiers en civil arriver à fond de la contre-allée
    et  plaquer ( comme des rugbymen )
    un jeune homme aux mains vides et qui refluait comme tout le monde.

    Notons que les rugbymen (qui sont plus civilisés que ces policiers) plaquent sur de la pelouse gazonnée
    et non pas sur du macadam :
    c’est pour cela que ce jeune homme interpellé avait des contusions (plaqué sur du macadam …)
    et qu’un de ces policiers en civil se plaignait d’avoir mal au genou
    suite à son plaquage sur la chaussée du Prado
    il s’est ainsi  lui-même bêtement blessé (légèrement)
    et ce n’est pas la faute de ce jeune, seul contre 3, qui en plus n’avait pas vu arriver ces 3 policiers-sprinteurs-plaqueurs en civil.

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    • Coquelicot Coquelicot

      Merci pour votre témoignage. Avez pu le transmettre à la justice ?
      Cette affaire est vraiment écoeurante, comment veulent ils qu’on respecte la police ?

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    • Patafanari Patafanari

      Comme un vol de fachos hors du charnier natal,
      Des bourgeois parisiens, perchés haut, au Prado
      Contemplent, avides et laids, l’assaut bête et brutal
      Des reitres stipendiés, tout habillés de noir,
      Qui méthodiquement cassent mâchoires, coccyx,
      De ces êtres charmants, ces antifas gentils.

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  4. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Me le titre de l’article le précise très bien cette affaire met en cause également le fonctionnement de la justice à Marseille.

    L’article précise que « Selon le parquet, puis la juge des libertés et de la détention de permanence ce soir-là, la prison était “l’unique moyen” d’empêcher un “renouvellement de l’infraction” et une “concertation frauduleuse” entre eux. ». Or, les magistrats du parquet qui dépendent entièrement du pouvoir exécutif (du garde des sceaux), les procureurs généraux sont nommés par décret en conseil des ministres et les procureurs de la République sont nommés par décret du président de la République.

    Quant à la juge des libertés elle porte bien mal son nom dans cette affaire.

    Par conséquent Macron, Darmarin et son complice Dupond-Moretti sont les vrais responsables de de cette répression brutale des manifestants et de ces emprisonnements sans fondement. Ils ont disposés pour cela de tout un personnel « police-justice» qu’ils protègent et qui s’affiche de plus en plus au sein de l’extrême-droite fasciste tout comme il protègent Zemmour.

    Le site du journal Libération signale le 27 février i « La «thin blue line», les patchs qui font taches chez les forces de l’ordre. »
    « La thin blue line (fine ligne bleue) est censée représenter le rôle des forces de l’ordre dans la société, telle une barrière entre les citoyens et les délinquants, entre le bien et le mal. L’extrême droite américaine – Donald Trump en tête – a fait de cette allégorie simpliste un signe de ralliement à ses idées. Un symbole assez problématique pour que plusieurs villes nord-américaines interdisent à leurs agents de la porter et qu’en France le déontologue de la gendarmerie nationale s’en soit inquiété. » …Une décision de 2021 du déontologue de la gendarmerie nationale, qui n’a pas été rendue publique [mais dont les journalistes de Libération ont pu avoir connaissance] conclut : «L’équipement en cause est susceptible d’être assimilé à une mouvance politique, en conséquence, son port pourrait constituer un manquement à l’obligation de réserve.».

    Combien de policiers marseillais portent-ils ces insignes contraires au devoir de réserve des fonctionnaires et contraires à l’uniforme qu’ils portent ? Il est possible de visualiser ces sur le site : https://www.thinbluelinefrance.com/

    Une enquête de Marsactu sur le port de la « thin blue line» au sein de la police de Marseille (avec complicité de la hiérarchie ) sera la bienvenue.
    Il semble bien aussi que la montée de l’extrême droite dans l’administration de la justice soit de plus en plus forte, en particulier en PACA et que la justice protège les policiers violents qui agissent sur ordre..

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