Pourquoi les autorités ont-elles tardé à fermer l’Ephad clandestin de Cabriès ?

Décryptage
le 16 Fév 2023
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Une "colocation" qui accueillait de manière illicite des personnes dépendantes a été évacuée et fermée, le 1er février, par les services préfectoraux et départementaux. L'établissement était frappé d'un arrêté de fermeture depuis près de 7 ans.

Le lieu aurait dû fermer dès 2016. (Image d
Le lieu aurait dû fermer dès 2016. (Image d'illustration / Photo : Alexander Possingham - Unsplash)

Le lieu aurait dû fermer dès 2016. (Image d'illustration / Photo : Alexander Possingham - Unsplash)

Le 1er février dernier, une imposante délégation de forces administratives – services de la préfecture, représentants de l’agence régionale de santé (ARS) et de la municipalité – secondées par la police nationale se présente à la Villa Papiche, à Cabriès. Elles procèdent à la fermeture de ce qui apparaît aux yeux des services préfectoraux comme “une structure d’accueil illicite de personnes vulnérables”.

La préfecture reproche à l’établissement “la prise en charge de personnes en situation de perte d’autonomie et de vulnérabilité, par un particulier exerçant une activité réglementée, sans autorisation préalable” dans des conditions ne permettant pas de garantir “la protection de la santé, de la sécurité et le bien-être physique et moral des personnes accueillies”.

La veille, le 30 janvier 2023, le préfet de région Christophe Mirmand a pris un arrêté pour mettre fin à cet accueil et reloger ses ultimes résidents. Il en reste trois, contre huit quelques mois plus tôt. Ces personnes âgées, pour certaines très dépendantes, étaient hébergées à titre onéreux dans ce que les propriétaires des lieux et gestionnaires de la société Alegrias décrivaient, elles, comme une “colocation” assortie de prestations de services. L’affaire ressemble comme une jumelle à celle de Charleval, dont Marsactu s’était fait l’écho, en janvier 2022.

À Cabriès, la villa nichée dans des bouquets de pins accueille des “locataires” depuis une vingtaine d’années. D’abord à travers “l’association Villa Papiche” créée le 1er septembre 2002 et dont l’activité déclarée est alors “accueil de personnes âgées” ; puis à partir du 24 octobre 2005, avec la création par Véronica et Johana Alvarez, sa fille, de la société à responsabilité limitée (SARL) Alegrias, qui a pour objet initial “la location de logements meublés avec ou sans prestation para-hôtelières”.

Un arrêté de fermeture dès le 21 mars 2016

Cette fermeture de l’établissement de Cabriès est l’aboutissement d’un long cheminement administratif. Mais, comme le retrace Marsactu, elle intervient bien tard. Puisque le conseil départemental des Bouches-du-Rhône a pris dès le 21 mars 2016 un arrêté de fermeture pour ce lieu. “Nous n’avons jamais été informés de cette décision”, regrette Pépita Louis, dont la mère, Elvira, a été résidente de la Villa entre février 2015 et l’été 2020. Malgré une mission d’inspection diligentée par le préfet des Bouches-du-Rhône, dont le rapport a été transmis aux services du département le 14 octobre 2015, cette fermeture n’est jamais devenue effective. “Il y a forcément eu une faille quelque part”, reprend de son côté, Karla, la fille de Pépita.

“Il y a forcément eu une faille quelque part”

Karla, petite-fille d’une résidente

Pourquoi, se demandent ces proches d’une personne âgée très dépendante, les premiers signalements du département et de la préfecture des Bouches-du-Rhône n’ont-ils pas été suivis d’effets ? Contactée par Marsactu, la préfecture argue que “les services de l’État ont agi dès que le conseil départemental 13 les a informés du maintien de l’activité de la structure alors que des décisions de justice contraires avaient été rendues.”

Porte close

Il convient de signaler que la société Alegrias a saisi le tribunal administratif de Marseille pour contester l’arrêté départemental de fermeture de 2016. Le tribunal a rejeté cette requête en première instance le 14 août 2018, puis en appel le 26 mars 2020. Reste que ces procédures administratives ne sont pas suspensives. En clair : le département avait la possibilité de faire exécuter sa décision durant ce laps de temps.

Il ne l’a pas fait. “Après l’arrêté de fermeture de la Villa Papiche pris par le département, les services se sont rendus sur les lieux pour vérifier la bonne exécution de la mesure de justice”, expliquent les services départementaux avant d’ajouter : “Mais les agents ne disposaient pas des moyens de coercition et la propriétaire du lieu leur avait refusé l’accès, ce qui était malheureusement son droit. Les services ont signalé la situation au procureur de la République de façon à porter à sa connaissance leur impossibilité à vérifier la bonne exécution de l’arrêté du département.”

Signalement au parquet

Les représentants de la collectivité – dont une des missions est l’action sociale auprès des personnes âgées – sont donc restés à la porte. “En conséquence, rien ne permettait d’attester de la fermeture ou de la poursuite de l’activité. En effet, les services du département n’ont reçu aucun signalement ni de la part de l’ARS, ni de la part d’éventuels usagers du lieu ou encore de professionnels médicaux ou de travailleurs sociaux”, précise la collectivité. Mais rien n’indique non plus que le département ait saisi les services de l’État pour que ceux-ci fassent respecter son arrêté de fermeture. Contactée par Marsactu, l’Agence régionale de santé n’a pas répondu dans les délais impartis à la publication.

“Après l’envoi de cette lettre au procureur, je me suis dit : c’est bon, ça va suivre son cours”.

Pépita, la fille d’une résidente

Marsactu a pris connaissance d’un courrier transmis le 5 septembre 2020 par la famille d’Elvira, par l’entremise de la mairie de Cabriès, au parquet d’Aix-en-Provence. Cette longue lettre, rédigée après son transfert par ses proches dans un autre établissement, liste plusieurs faits et problématiques qui vont de la “facturation douteuse” au soupçon “d’emprise et de maltraitance psychologique”. Ses auteurs s’interrogent aussi sur le fait que la direction de la Villa Papiche refuse “toute intervention du département”. Notamment en interdisant aux résidents de solliciter auprès de la collectivité l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), aide sociale à laquelle peuvent prétendre les personnes âgées dépendantes.

Cette saisine du procureur, la maire de Cabriès, Amapola Ventron (Génération écologie), la confirme. Elle assure également avoir, rapidement après son arrivée à la tête de la mairie le 28 juin 2020, “alerté le département sur la situation dans cet établissement” pour, dit-elle, “mettre fin à l’exploitation de la misère humaine et de la maladie”.

Classement sans suite

“Après l’envoi de cette lettre au procureur, je me suis dit : C’est bon, ça va suivre son cours”, poursuit Pépita Louis. Elle est alors, comme son frère, entendue par des enquêteurs. La démarche de la famille reste, elle aussi, sans conséquence. Le 9 février 2022, elle reçoit une notification de classement sans suite de la part du procureur d’Aix. “Les poursuites pénales ne seront pas engagées au motif que les faits ou les circonstances des faits de la procédure n’ont pu être clairement établis par l’enquête”, explicite le document que Marsactu a consulté. À ce moment-là, l’établissement est tout de même frappé d’un arrêté départemental de fermeture depuis six ans. “C’est caractéristique d’une incapacité de travailler de manière transversale. Chacun travaille en silo et c’est dommageable quand il y a des humains au milieu”, déplore encore Amapola Ventron.

“Le dossier a fait l’objet de multiples réunions partenariales sous l’autorité du préfet avant qu’une décision soit prise, puis mise en œuvre”

Le département

Il faut finalement attendre “un unique signalement reçu en 2022” pour que les services départementaux tentent de nouveau une visite des lieux. Ses émissaires font, une nouvelle fois, face à un refus des propriétaires. Comme en 2016, le département alerte le procureur.

Il n’est jamais trop tard pour insister. “Les éléments recueillis lors de ce signalement sur les conditions d’accueil et la prise en charge des personnes âgées, ajoutés au silence et à l’opposition massive de la famille ont été détaillés dans ce signalement”, indique encore le conseil départemental. Le 1er août dernier, les services conjoints de la préfecture et de l’agence régionale de santé (ARS) finissent donc par investir la Villa Papiche.

Dépôt de plainte

Presque sept ans plus tard, la fermeture de cet accueil illicite décidée 21 mars 2016, devient finalement effective le 1er février 2023. “Les services du département ont tenu leur rôle tout autant que la réglementation leur permettait d’agir, et jusqu’au transfert des résidents vers des structures adaptées lors de l’évacuation”, se réjouit-on au sein de la collectivité. Le département va même jusqu’à se féliciter que le dossier ait fait “l’objet de multiples réunions partenariales sous l’autorité du préfet avant qu’une décision soit prise, puis mise en œuvre”. Pendant ces longues années, toutefois, plusieurs dizaines de résidents ont vécu là, certains y ont passé leurs derniers mois de vie.

Pépita Louis, elle, se montre mi-dépitée, mi-rassurée : “Quand le lieu a été fermé, je me suis dit : enfin, les autorités sont intervenues. Ce n’est évidemment pas un moment de joie, on ne se réjouit pas de cela. Mais quel soulagement !” Désormais, elle s’apprête à s’engager dans une ultime démarche et à effectuer un dépôt de plainte. Et appelle les autres familles qui auraient effectué des signalements à se joindre à elle “afin de se porter partie civile de manière groupée” si des poursuites judiciaires sont engagées.

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Commentaires

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  1. Andre Andre

    Porter plainte c’est une chose mais qu’attendaient donc ces gens pour sortir leurs parents de cet hébergement illégal? Et pourquoi les y ont ils placés? Ils sont tout aussi responsables de la situation.

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    • RML RML

      Ils n avaient peut être pas le choix…

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  2. MarsKaa MarsKaa

    Décidément… la chasse aux lièvres est ouverte ! 😄 et ce n’est pas ce qui manque dans la région…
    Les explications du Département sont à mourir de rire (ou à pleurer, c’est selon…). Incompétent je menfoutiste un jour, Incompétent jemefoutiste toujours.
    La directrice serait-elle une copine de… ?

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  3. petitvelo petitvelo

    Et pas de plainte prevue contre l Etat… La situation risque de se reproduire

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  4. Jb de Cérou Jb de Cérou

    Cet article me laisse sur ma faim. Bien sûr, au plan administratif et juridique, c’est pas glorieux et cela laisse supposer magouilles et compagnie (l’indice le plus troublant que mentionne l’article est le refus de l’APA qui implique contrôle du département sur le niveau de dépendance des personnes âgées: pourquoi ce refus?) en plus d’un laisser aller.
    J’observe par ailleurs que les Ehpad du groupe Orpea étaient parfaitement en règle..Je me demande comme André qu’elles étaient les motivations des familles et pas seulement celle citée. Etaient- elles satisfaites du service rendu ou seulement soulagées d’ avoir casé leur parent âgé à bon prix. Je me demande quel était le montant du loyer, comparativement au prix d’un Ehpad moyen, avec quelles conditions de confort, les services précisément rendus.. Rien dans l’article ne laisse à penser qu’il y a eu de la maltraitance caractérisée justifiant une ferme réaction des administrations. Qui sont les propriétaires-prestataires? etc…

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