La Ville pose un ultimatum au Marché du soleil, dans l’illégalité depuis 15 ans

Actualité
le 14 Fév 2023
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Lieu emblématique du quartier de la porte d'Aix, le marché couvert ne respecte pas les normes de sécurité et est passible de fermeture depuis 2008. La Ville de Marseille vient de prendre un nouvel arrêté et menace de le mettre en application si les travaux n'accélèrent pas.

Une allée du Marché du soleil, le 8 février 2023 (Photo : Louise Gerbaud)
Une allée du Marché du soleil, le 8 février 2023 (Photo : Louise Gerbaud)

Une allée du Marché du soleil, le 8 février 2023 (Photo : Louise Gerbaud)

“Le Marché du soleil c’est le cœur de Marseille”. Leïla Hireche travaille là depuis des années, d’abord comme commerçante, aujourd’hui comme salariée du lieu. Le lieu se trouve, en effet, géographiquement au “cœur” de Marseille, et y accueille beaucoup de familles à la recherche de prix cassés. Le marché, tout proche de la porte d’Aix, s’étale sur une surface de 3500 m2. Textiles, ustensiles de cuisines, objets de décoration aux couleurs vives y remplissent les étals. Depuis la fin des années 80, ces halles abritent une petite économie qui fait vivre 250 commerçants sur place. “Ici c’est comme un genre de famille, il y a beaucoup de solidarité“, insiste l’employée.

Et pourtant, depuis 2008, un arrêté de fermeture vise le marché, sans qu’il n’ait jamais été appliqué. Cette même année, le hangar était frappé par un important incendie. Depuis, le lieu n’a jamais été complètement en règle. La publication d’un nouvel arrêté municipal, en date du 24 janvier 2023, vient à nouveau marquer ce constat et préconise une fermeture. Il fait suite à l’avis défavorable rendu par la commission communale de sécurité début janvier, en raison de “la non-conformité aux normes de sécurité en vigueur, présentant de ce fait un danger pour la sécurité des personnes”. 

Au centre, une caméra de surveillance récemment installée (Photo : Louise Gerbaud)

La commission a identifié une importante liste de non-conformités : “dysfonctionnement du système de sécurité incendie (SSI)” et notamment du “déclencheur manuel d’alarme“, “absence de surveillance du SSI par un personnel formé”, “absence d’un personnel qualifié” pour assurer la maintenance des installations électriques, ou encore aménagement sans autorisation d’une entrée rue Fauchier.

En théorie, ce nouvel arrêté prévoit que les locaux ne pourront rouvrir qu’après des travaux de mise en conformité et une visite de la commission de sécurité. Le propriétaire encourt une amende de 3 750 euros en ne fermant pas le marché. Or dans les faits, ces espaces n’ont jamais fermé. Marsactu n’est pas parvenu à joindre Georges Dahan, à qui appartient le marché, dans les délais impartis à la parution de cet article.

L’arrêté témoigne d’une volonté de la mairie de se montrer ferme. Jean-Pierre Cochet, adjoint au maire de Marseille chargé de la sécurité civile et de la gestion des risques estime que le temps est venu de poser un ultimatum :La question qui se pose aujourd’hui c’est de rendre effective cette fermeture. Donc soit le propriétaire se conforme, soit on ferme. La situation n’a que trop duré”. Interrogé sur la tolérance de la Ville jusqu’ici, l’adjoint, renvoie à l’ancienne majorité : “En tant qu’élu, j’ai fait la demande d’un nouvel arrêté dès que j’ai eu connaissance de ce dossier. Je ne peux pas répondre à la place des responsables de l’époque. Par ailleurs, le parquet était informé, donc cela s’explique assez mal”.

Des travaux insuffisants

Ces jours-ci, la halle continue d’accueillir commerçants et visiteurs à longueur de journée. En levant les yeux vers les plafonds, on peut constater des travaux en cours, en lien avec une mise aux normes : des tuyaux rouges quadrillent le plafond, des câbles pendent ou longent les couloirs. En arrière-plan, la toiture du hangar reste, elle, en partie endommagée par l’incendie de 2008.

On ne peut faire les travaux que le lundi, le jour de repos des commerçants.

Leïla Hireche, salariée du marché

L’arrêté est provisoire car nous sommes en train de faire des travaux, ils nous laissent du temps“, veut croire Leila Hireche, alors que l’arrêté pourrait tout à fait être appliqué par la mairie d’un jour à l’autre. Elle explique le temps pris par les rénovations : “Le lieu est encore en chantier, on ne peut faire les travaux que le lundi, le jour de repos des commerçants, pour ne pas trop impacter leur chiffre”

Pour l’une des sorties de secours le voyant a été remis en état de fonctionner (Photo : Louise Gerbaud)

Très enthousiaste malgré la situation, la salariée liste les efforts entrepris : Nous avons refait les alarmes incendies, installé des détecteurs de fumée, des lumières de sécurité, des tuyaux d’eau, 53 caméras. Elle montre, à l’appui, l’attestation récente d’une entreprise de sécurité, certifiant le bon fonctionnement de ces dispositifs. Une attestation “partielle”, souligne-t-on à la mairie.

Les déclencheurs automatiques d’alarme incendie, dont l’installation semble programmée, manquent par exemple encore à l’appel, alors qu’ils sont indispensables pour garantir la sécurité des vendeurs comme des visiteurs. Alors qu’elle fait le tour des rénovations, Leïla Hireche s’arrête devant un stand et déplace un mannequin contre un mur tout en lançant au commerçant : “Je t’ai déjà dit de ne pas le mettre devant !” Derrière le mannequin, une petite pancarte rouge où il est écrit “déclencheur manuel N°6” annonce l’emplacement d’un futur boitier permettant de signaler un départ de feu.

Les derniers travaux réalisés par le propriétaire, indique l’arrêté, n’ont pas fait l’objet de vérifications règlementaires par des organismes agréés notamment pour ce qui est des installations techniques (désenfumage, appareil de cuisson, hottes). Le seul snack des halles s’apprêterait à fermer ses portes, ce qui pourrait régler une partie du problème.

Fin de la tolérance du côté de la Ville

On va être attentifs à la réaction du propriétaire, voir s’il tient compte de l’arrêté. C’est un avertissement, développe Jean-Pierre Cochet. Il s’est déjà manifesté et a pris la mesure de ce qu’il lui convenait de faire. S’il ne veut pas laisser la situation se dégrader, charge d’en tirer les conclusions pratiques”. Un rendez-vous est déjà prévu en mairie prochainement, ajoute-t-il, actant de premiers efforts. “Mais ils sont encore loin du compte. On a notamment des problèmes d’encombrement et de réseau électrique”.

On ne peut pas balayer la problématique de sécurité et se retrouver otage de cette situation.

Jean-Pierre Cochet, élu

L’élu se dit conscient de l’importance du Marché du soleil et de l’impact social et économique qu’aurait sa fermeture. “C’est pour cela qu’on laisse au propriétaire la possibilité de mettre son établissement en conformité. Mais l’horloge tourne vite. On ne veut pas mettre en danger la population qui le fréquente. On ne peut pas balayer la problématique de sécurité et se retrouver otage de cette situation“, prévient Jean-Pierre Cochet.

À l’évocation d’une potentielle fermeture, Leïla devient grave et parle désormais à voix basse dans les allées du marché :Ça serait quelque chose de très malheureux si ça fermait. Ces personnes n’ont rien d’autre. Est-ce que la mairie a vraiment envie de s’occuper de tous ces commerçants qui ont pour certains 60 ans et qui alors n’auraient plus rien ?” La salariée se montre optimiste : “Notre but, c’est de remettre l’établissement aux normes et de faire un truc beau”. Si la Ville maintient son nouveau cap sur ce dossier, la survie du marché dépendra de la poursuite de ces efforts.

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Commentaires

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  1. LN LN

    2008…. Incendie qui détruit ce marché, pas de morts ni de blessés. Ouf. Depuis, de bric et de broc, il a rouvert envers et contre tout. Mais on est où là ? Tout l’article transpire le consensus, la tolérance, la non vérification, le non respect des obligations, le souk donc. Depuis 15 ans quand même.
    Le dernier paragraphe c’est le top.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Eh oui, 25 ans de laxisme et de copinage, ça laisse des traces : dans l’état du logement, dans l’état des écoles, dans l’état de la voirie et du stationnement, dans l’état du marché du Soleil…

      Combien d’années faudra-t-il pour remettre cette ville d’aplomb ?

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  2. polipola polipola

    ?
    Je ne comprends vraiment pas votre commentaire, à vous lire, on a presque l’impression que c’est Marsactu le responsable de cette débâcle !

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  3. LN LN

    Ah bon…. Comme quoi, la com c’est un métier.
    Alors pas du tout, au contraire je pointe ce que dit l’article, et le dernier paragraphe achève ce tableau catastrophique. Peut-on imaginer une telle situation de sécurité ailleurs ? Doit y avoir trop d’arrangements…

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  4. polipola polipola

    alors pardon, c’est moi qui ai mal compris 🙂

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  5. Sylotte Sylotte

    Si les travaux n’ont lieu que le lundi, comme écrit dans l’article, ils risquent de durer encore un certain temps 🙁

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    • L.D. L.D.

      Bonjour il serait intéressant de connaitre la teneur des PV de la commission de sécurité anterieurs à la période des 15 ans évoqués. Le marché était il conforme. On peut s’interroger?

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  6. Zumbi Zumbi

    Ça rappelle un peu l’histoire d’un grand théâtre dont le directeur hurle au complot alors qu’il est l’un des plus subventionnés et que depuis 2014 il occupe des locaux municipaux hors de tout cadre légal, ce qui rendrait le maire de Marseille responsable de tout incident de sécurité qui y surviendrait (et qu’il est impossible à la municipalité de voter les crédits pour des travaux tant qu’il n’y a pas de convention signée). Il est très marseillais — au pire sens du terme — de déclencher une levée de boucliers lorsque simplement des organismes municipaux essaient de se mettre en conformité avec la loi. Et si on se contentait de devenir banals et d’oublier la culture de l'”arrangement” ?

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  7. petitvelo petitvelo

    Et pourquoi pas les installer 3 mois dans des chalets porte d Aix, faire les travaux et leur faire un prix d ami ?

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  8. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    Il n’y a plus eu d’incendie mortel dans un lieu de vente depuis 1938.
    Tout comme l’Opéra, en triste état, qui n’a plus brulé depuis 1919.
    Les traditions se perdent, heureusement quelques marseillais veillent au grain.

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