À MARSEILLE, IL Y A PLUSIEURS TEMPS (2)

Billet de blog
le 11 Fév 2023
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Nous nous proposons de poursuivre aujourd’hui le voyage entrepris la semaine dernière à travers les multiples temps de Marseille. Sans doute serons-nous aujourd’hui très proches du temps contemporain de la ville.

 

Le centre et la périphérie

Une incidence majeure de la modernité haussmannienne de Marseille est un conflit que l’on connaissait, certes, déjà, dans les grandes villes, mais qui va pendre une ampleur et connaître une acuité dont on n’avait pas fait l’expérience de façon aussi violente : entre le centre et la périphérie. N’oublions tout de même pas que l’urbanité moderne de Marseille, celle qui se forge au XIXème siècle, avec la figure de la Joliette, est la même que celle qui se construit à Paris, à Lyon, à Londres, à New York, avec la séparation entre les quartiers du centre, riches, et les quartiers périphériques plus modestes, voire plus pauvres. En réalité, les choses seront plus complexes à Marseille (comme, d’ailleurs, dans toutes les grandes villes). Si le début de la modernité connaît une séparation entre les centres plutôt riches, et les périphéries, modestes ou pauvres, la détérioration des conditions de vie dans les centres urbains va entraîner une seconde époque de la séparation, avec la naissance d’une opposition entre des périphéries riches, comme, à Marseille, le 8ème arrondissement, ou, à Paris, le 16ème, et des périphéries pauvres, comme les « quartiers Nord » à Marseille, ou, à Paris, les arrondissements du Nord, comme le 18ème arrondissement. C’est ainsi que la multiplicité des temps de Marseille peut se lire dans les évolutions de ce que l’on peut appeler les « ségrégations économiques ».

 

Le temps de la colonisation et le temps de la migrance

Dans les années 1830, la colonisation française de l’Algérie, liée, bien sûr, à la modernisation des circulations maritimes dans la Méditerranée, va faire coexister, à Marseille, plusieurs temps. Tandis que l’urbanisation haussmannienne est liée à la prospérité issue, pour Marseille, de la colonisation, le fait colonial va entraîner, pour la ville, de nouvelles confrontations, en suscitant l’apparition de nouvelles dépendances économique, mais aussi, la naissance de nouveaux métiers liés au développement des transports maritimes, à la naissance d’industries et d’entreprises nouvelles liées à la colonisation, à la construction de nouvelles classes sociales et de nouvelles luttes sociales. Après tout, n’oublions tout de même que le temps de la Joliette est aussi celui de la révolution de 1848 et de l’élaboration de la philosophie politique de Marx et de son conflit avec Proud’hon. Avec le temps de la colonisation, va naître, en particulier à Marseille, celui de ce que l’on peut appeler une nouvelle lutte des classes, entre les colonisateurs et les colonisés.

Au-delà, va naître tout doucement, insidieusement, sans que l’on s’en rende vraiment compte, une nouvelle conflictualité, entre le monde du Nord et celui du Sud. À Marseille, cette confrontation va, notamment, s’inscrire dans la venue des travailleurs immigrés, et, à l’époque contemporaine, de ce que l’on appelle la migrance. C’est qu’à Marseille, plus, peut-être, que dans d’autres villes, la mondialisation a succédé à la colonisation. La mondialisation est, en quelque sorte, la poursuite de la colonisation par d’autres moyens. Le temps de la migrance va accentuer, à Marseille, la tension, la conflictualité entre les quartiers du Nord et ceux du Sud, entre les différentes populations qui voisinent dans la ville, entre les différentes cultures, aussi, qui se retrouvent ou s’ignorent dans l’espace public marseillais. La géographie marseillaise ne peut pleinement se comprendre que si l’on comprend, en essayant de lui donner du sens, cette multiplicité de cultures – voire de langues.

 

Le temps du politique et le temps de l’habitation

Il s’agit d’une autre tension entre des temporalités différentes. On pourrait dire qu’il y a, à cet égard, trois temps, à Marseille. Le temps politique est celui de la décision, les temps des pouvoirs, mais aussi celui de l’aménagement. Il s’agit du temps des maires, et, plus récemment, celui des pouvoirs de la métropole. Il est, d’ailleurs, significatif, que le maire élu en 2020, B. Payan, ne se situe pas dans la même logique, notamment dans le même temps, que ceux des pouvoirs de la métropole. Le temps des habitants, celui de la quotidienneté de la vie urbaine, n’est pas le même : le temps des institutions ne peut pas être celui des personnes. C’est ainsi qu’à Marseille, par exemple, le temps des déplacements et des transports en commun semble avoir été conçu à une autre échelle que celui de la vie des habitants. Cet écart, voire cette conflictualité, entre le temps de la politique urbaine et celui de l’habitation peut se percevoir aussi dans la façon dont certains quartiers ont été aménagés presque de force, d’une manière telle qu’ils ont chassé les habitants qui y vivaient auparavant. C’est le cas de cette rue véritablement morte qu’est devenue la rue de la République.

 

Le temps de la réalité et le temps de l’imaginaire

Finalement, les deux temps qui s’affrontent à Marseille sont aussi celui du réel et celui de l’imaginaire, encore que l’imaginaire ne soit pas véritablement un temps. À Marseille, l’imaginaire est celui de la fiction ou celui du projet. Ce discours de l’imaginaire s’oppose au discours de l’information. La crise que connaît aujourd’hui le groupe de La Provence est significative de la difficulté que connaît l’espace de Marseille, aujourd’hui, pour connaître une véritable information. C’est ainsi que le temps de la réalité, figuré par le temps de l’information, des médias et des événements du politique, entre en conflit avec l’imaginaire, celui de la fiction, celui des spectacles ou celui des projets. Mais l’imaginaire se définit, en réalité, par le fait qu’il n’a pas de temps. Pour comprendre la multiplicité des temps, à Marseille, il ne faut pas oublier que la réalité du temps de la ville se heurte sans cesse à une temporalité imaginaire, à ce que l’on pourrait appeler une illusion de temporalité : il s’agit de celle du mythe, qu’il s’agisse du mythe de la grandeur et de la richesse de la ville, ou du mythe d’une mondialisation sans conflits et sans heurts.

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