Au cabinet de Martine Vassal, des avocats en plein conflit d’intérêts
Lors de son accession à la tête du département et ensuite à la métropole, Martine Vassal a recruté au sein de son équipe rapprochée plusieurs avocats issus d'une même entreprise, dont ils restent actionnaires. Problème, celle-ci a parmi ses clients de nombreuses collectivités et organismes publics ayant des relations très étroites avec les deux institutions.
Au centre de l'image, Elias Allam, membre du cabinet de Martine Vassal. (Photo : Emilio Guzman)
C’est un alliage inédit choisi dès l’élection surprise de Martine Vassal à la présidence du département des Bouches-du-Rhône en 2015. L’élue (LR puis divers droite) n’avait pas désigné pour l’entourer, au sein de son cabinet, de vieux routiers de la politique locale. À leur place, trois avocats issus d’un même cabinet arrivaient dans son sillage au bateau bleu.
Le choix avait étonné à l’époque car la collectivité qu’elle s’apprêtait à coiffer constituait un fief de la gauche locale aux deux milliards d’euros de budget. C’était en réalité une décision assumée qui répondait à deux impératifs : ne pas dépendre du mentor Jean-Claude Gaudin, alors maire de Marseille depuis 20 ans, ou de son dévorant entourage et se doter d’une équipe à même de mettre au carré une institution marquée par l’affaire Guérini et l’ingérence d’intérêts privés dans la gestion de la collectivité.
Mais aujourd’hui ces recrutements interrogent. En intégrant le premier cercle de Martine Vassal, les trois conseillers de la présidente Elias Allam, Pascal Filliol et Jean-Laurent Abbou ont préféré le bureau au barreau pour le temps de leur contrat et ainsi rempli les obligations de base de tout fonctionnaire, comme l’a noté la CRC. Mais ils ont conservé des parts dans la société qui régit leur cabinet, baptisée IAFA (les lettres AFA, désignant Abbou, Filliol et Allam) puis Nemesis. Une manière de ne pas subir, selon Elias Allam, directeur de cabinet de la présidente du département, “la précarité du poste : les collaborateurs politiques peuvent être écartés du jour au lendemain”.
Dans le même temps, leur cabinet a conservé ou obtenu des clients qui avaient des relations étroites avec le département mais aussi la métropole, institution présidée depuis 2018 par Martine Vassal et pour laquelle Elias Allam et Pascal Filliol travaillent à temps partiel. Marsactu a ainsi pu retrouver une dizaine de collectivités ou d’organismes publics qui ont eu recours aux services de Nemesis depuis 2015 dans le département. Ce qui permet de s’interroger sur un conflit d’intérêts défini par la loi comme “toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction”.
Un satellite du département parmi les clients du cabinet
Le cas le plus emblématique concerne le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du département des Bouches-du-Rhône, un satellite majeur du département. Un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en date du 8 juillet 2019 en témoigne. Il mentionne que le SDIS est “représenté par Me Abbou de la SCP IAFA”. Un an avant, Jean-Laurent Abbou a quitté le cabinet de Martine Vassal en raison de divergences de vues.
De retour à son métier original, celui-ci a eu pour consigne de l’ordre des avocats de ne pas travailler avec le département. Ce qui ne l’empêche pas de travailler pour un organisme dont le président est un conseiller départemental, en l’occurrence Richard Mallié, depuis 2015. La situation est d’autant plus questionnable qu’à leur arrivée au département, les trois avocats avaient renoncé à travailler avec le bailleur social du département, 13 habitat. Qui plus est, Jean-Laurent Abbou avait précisément en main le dossier du SDIS quand il exerçait au cabinet de Martine Vassal. “C’était l’interlocuteur principal du SDIS sur les dossiers concernant directement les relations avec le département”, assure un connaisseur du dossier.
Si vous voulez me faire dire que je n’aurais certainement pas dû prendre ce dossier, je vous le dis.
Jean-Laurent Abbou
Questionnés conjointement à ce sujet, Elias Allam et Pascal Filliol ont paru embarrassés et ont dit “découvrir” que leur associé avait travaillé pour le SDIS. “En dehors des assemblées générales des actionnaires, nous n’intervenons pas et ne voulons pas intervenir dans la vie du cabinet”, assure Elias Allam, aujourd’hui directeur de cabinet au département des Bouches-du-Rhône et directeur adjoint de cabinet à la métropole Aix-Marseille Provence. Jean-Laurent Abbou quant à lui admet le problème : “Si vous voulez me faire dire que je n’aurais certainement pas dû prendre ce dossier, je vous le dis. En plus, cela n’a rapporté que 2500 euros.” Une autre source proche du dossier évoquera un dossier à 4100 euros.
Il ajoute aussi qu’il n’a sûrement pas traité le dossier lui-même. “Je ne sais pas pourquoi c’est mon nom qui apparaît car je ne fais pas de public, assure-t-il. Ce devait être un de mes associés. On a dû accepter ce dossier un peu en urgence, pour rendre service.”
Parmi les clients de Nemesis, la cartographie des soutiens de Martine Vassal
La liste des autres clients publics que nous avons pu retracer dessine une carte qui ressemble étrangement à celle des soutiens de Martine Vassal. Le vice-président du département puis de la métropole chargé des transports Henri Pons engage Nemesis à Eyguières. Ceux de la métropole, François Bernardini, Gérard Gazay et Christian Burle les chargent respectivement de dossiers à Istres, Aubagne et Peynier. Leur homologue Martial Alvarez, maire et président du pôle nautique de Port-Saint-Louis-du-Rhône, a aussi recours à la société. Olivier Frégeac, également membre de l’exécutif métropolitain, les fait travailler à Peyrolles. Nemesis intervient aussi à Gardanne dont le maire, Hervé Granier, est conseiller départemental délégué. Nos tentatives pour obtenir des explications auprès des mairies ou des élus concernés n’ont pas abouti.
À Trets encore, Jean-Claude Féraud, alors vice-président du département chargé des seniors, signe même un marché à hauteur de 32 000 euros de prestations juridiques faisant de Nemesis le conseil principal de la collectivité. Une exception puisque, si la règle a fluctué, les marchés d’avocats n’ont, pour diverses raisons, pas fait l’objet d’une grande publicité par les collectivités.
D’un côté, ils ont des relations politiques importantes et de l’autre, leur boîte bosse avec les mairies. Pour moi, c’est une forme de concurrence déloyale.
Un avocat
Pour les habitués des relations entre collectivités et avocats, la situation pose une question importante. “Certes, ils se font omettre du barreau mais à l’arrivée, quand ils reprendront leur activité d’avocats, ils bénéficieront du portefeuille de clients”, s’alarme un avocat titulaire de marchés publics avec des collectivités locales. Un de ses confrères abonde : “D’un côté, ils ont des relations politiques importantes et de l’autre, leur boîte bosse avec les mairies. Pour moi, c’est une forme de concurrence déloyale.” Un collaborateur de cabinet de droite, salarié dans une commune importante, est un des rares politiques à accepter de parler, sous couvert d’anonymat. Il juge “choquante” la situation et ajoute : “Avec ce qu’ils ont fait pendant des années, ils seront recherchés, un peu comme des rock stars du barreau. Toute proportion gardée, c’est un peu comme quand Dupont-Moretti retournera à la vie civile.”
Deux collectivités essentielles pour les communes
Au cœur de la question, reste l’influence de la métropole et du département sur les communes et leur budget. Nombre d’entre elles ont besoin des deux institutions pour boucler leur budget. La métropole verse chaque année 650 millions d’euros d’attribution de compensation à ses membres dont 200 millions sont indus selon la chambre régionale des comptes. Leur renégociation ardue, toujours sur l’établi métropolitain, témoigne de la complexité et de la sensibilité du dossier.
Le département est encore plus crucial pour les villes. Avec son aide aux communes, il vient gonfler leur budget d’investissement d’un milliard d’euros sur la durée d’un mandat. La répartition de cette manne entraîne des négociations étroites avec l’exécutif départemental.
Quand on l’interroge sur la difficulté d’être le directeur de cabinet d’une collectivité qui attribue ces subventions et en même temps l’actionnaire d’une société qui commerce avec certaines d’entre elles, Elias Allam minimise son rôle : ” Le titre que je porte n’est pas conforme au poste que j’occupe. On ne nous a pas pris pour faire de la politique mais pour mettre au carré l’institution”. Il ajoute : “Vous me dites cela car je suis directeur de cabinet mais je ne m’occupe pas de l’aide aux communes. Il y a un collaborateur de cabinet qui s’occupe du dialogue avec les maires, Didier Péric, avant d’être soumis à l’arbitrage de l’exécutif avec le filtre du directeur adjoint de cabinet Marc Jolibois”.
Pas de déports formalisés
Présent à ses côtés, Pascal Filliol est le monsieur propre du cabinet de Martine Vassal. Il tient à préciser que “l’immense majorité de ces clients [publics de la société d’avocats] étaient là avant notre arrivée au département”. “Conseiller spécial”, il supervise notamment l’ensemble des questions de probité. C’est lui qui a par exemple eu à gérer les répercussions de l’affaire Chervet ou la mise en œuvre des recommandations de l’agence française anticorruption portant notamment sur la prévention des conflits d’intérêts. “Nous sommes très vigilants sur la question des déports”, affirme-t-il. Cette règle impose à tout élu de ne pas se mêler d’un dossier qui viendrait percuter un dossier dans lequel il a des intérêts privés.
Pour la HATVP, les membres d’un cabinet doivent se tenir aux mêmes règles de déontologie qu’un élu.
Elle concerne autant les ministres – dont la liste des déports est rendue publique – que l’élu local de base. Mais quid des collaborateurs de cabinet ? Quand elle donne des conseils en terme de charte de déontologie, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) préconise la chose suivante : “Il est pertinent d’inclure les membres de cabinets et collaborateurs politiques dans la charte applicables aux élus.”
La même autorité indépendante contrôle d’ailleurs les intérêts des membres de cabinet les plus gradés, comme Elias Allam. Charge ensuite au chef d’exécutif, en l’occurrence à la cheffe Martine Vassal, de mettre en place des règles pour tirer les conséquences des intérêts privés ainsi consacrés. Mais aucune règle n’a jamais été formalisée au département des Bouches-du-Rhône pour appeler les membres de cabinet à s’abstenir sur certains dossiers. “Il n’y a pas eu de discussion sur d’éventuels déports de telle ou telle nature”, confirme Elias Allam. Sollicitée, la présidente des deux institutions n’a pas souhaité commenter cette affaire.
Pourtant, l’esprit porté par la HATVP semble largement différent. Quand des élus sont aussi membres d’un cabinet d’avocats – eux peuvent continuer à exercer en parallèle d’un mandat – un déport est jugé nécessaire : “L’intéressé devra prendre un arrêté de délégation de signature [et] s’abstenir de donner instruction au délégataire dès lors qu’une affaire porte sur la situation d’un client de ce cabinet.”
La question de l’après
Quand Elias Allam quittera le cabinet de Martine Vassal, il sera tenu d’informer pour avis la HATVP sur ses désirs professionnels. Elle examinera alors s’il y a une compatibilité totale, une compatibilité avec réserves ou une incompatibilité avec son exercice du métier d’avocat. On saura quel regard elle porte sur la double casquette du trio de conseillers. Moins gradé au cabinet de la présidente, Jean-Laurent Abbou n’était pas tenu de passer par ce filtre et il n’a pas davantage discuté de la question, avec son ancienne patronne. “En revanche, j’en ai référé au conseil de déontologie des avocats qui m’ont dit que je ne pouvais pas traiter de dossiers du département”, précise-t-il.
Lui comme ses ex-collègues et associés assurent en tout cas que le cabinet n’a pas prospéré depuis 2015. “La situation n’était pas bonne, nous n’aurions pas dû partir à trois. C’est aussi pour cela que Jean-Laurent Abbou est retourné au cabinet”, assure Pascal Filliol. “Nous sommes en train de redresser la barre après des années compliquées. Et le pôle public n’est, de loin, pas le plus important pour le cabinet. Après le départ de certains associés, le pôle public est même sur la fin”, jure de son côté Jean-Laurent Abbou. Une issue qui, si elle se confirmait, aurait le mérite d’éviter de faire prospérer le mélange des genres.
Commentaires
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Ils ont des canines pointues ces avocats ?
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Il existe un excellent dictionnaire , celui des “mots disparus du Littré” paru chez Fayard . Quand un mot rejoint ce dernier ,cela signifie deux choses. La première: il n’est plus usité, la deuxième : le sens du mot disparaît avec lui. Je crois que grâce à Vassal le mot “Déontologie” va rejoindre cette compilation de disparus.
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La profonde rectitude morale de la droite locale, toujours prompte à donner des leçons aux faibles et aux précaires, tout en confondant pour elle-même “servir” et “se servir”. Encore bravo !
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Très intéressante enquête.
Des gens biens, qui ne voient pas où est le problème, qui jurent n’avoir rien fait de mal. Et qui pourtant savent pertinemment que c’est de “l’arrangement” entre gens biens, dans des buts politiques et pour des intérêts personnels.
En tout cas, en voilà qui n’ont pas de soucis de retraite à se faire. Ils travailleront longtemps. Et bien payés.
NB : je suppose que l’on est payé deux fois quand on est membre de cabinet à la métropole ET au département. Comme la reine de Provence. Cumul des fonctions, cumul des salaires, indemnités, avantages en nature. Sur l’argent public bien sûr).
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et que personne ne vienne dire ici qu’il est surpris !!
cette politique de l’entre soi est savamment instillée dans les institutions de la métropole et du département, comme du reste, et c’est probablement à titre d’exemple, dans le gouvernement.
l’intérêt général, la probité, l’honnêteté sont des valeurs bizarres. obsolètes peut être. nous vivons une époque formidable.
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“Je suis directeur de cabinet mais je ne m’occupe pas de l’aide aux commune” !
Soit ce bonhomme est naïf (hum !) soit incompétent pour son poste au conseil départemental. L’aide aux communes est un des piliers du clientélisme politique local depuis toujours.
Ces lawyers à l’anglo saxonne s’imaginaient comment les postes en collectivités locales ? Garder un parachute et le faire fructifier volà une belle manip mais inqualifiable chers Maîtres !
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Au fait il parle de quels types de cabinets notre “ami” avocat ?
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Faut suivre, en effet .. Il y a le Cabinet de Mme Vassal (Présidente de la Métropole), le cabinet de Mme Vassal (Présidente du Conseil départemental), et le Cabinet … d’Avocats (Co-présidés par les collaborateurs des 2 précédents Cabinets, suivez bien !). Pas les même Cabinets que les nôtres …
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Marsactu, et alors?.
Que se passe t’il maintenant, on continue ou bien l’ on arrête.
Vassal s’ est fait flashée une fois de plus du fait de ses agissements et la suite ?..
Visiblement elle s’ en fiche comme de sa première paire de chaussettes, donc un coup d’épée dans l’eau. Tout cela pour ça!
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Vassal a eu raison de s’entourer d’avocats : on ne dirige pas le département ni la métropole depuis une cellule des Baumettes
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