L’entretien : Les Rafles, d’un siècle à l’autre
Avec sa nouvelle création, Les Rafles, d’un siècle à l’autre, le collectif marseillais Manifeste Rien continue d’explorer l’histoire de sa ville et du monde. Mots croisés avec l’auteur Jérémy Beschon et sa productrice, Céline Mathieu.
La compagnie Manifeste Rien.
En 2016, lors de la présentation de votre Histoire universelle de Marseille, se posait une question cruciale : le théâtre comme éducation populaire a-t-il encore droit de cité ? Six ans après, qu’en est-il ?
Pousser la porte d’un théâtre, c’est comme rentrer dans une galerie. C’est un acte qui dépendra du contexte social. Notamment durant la période de repli générée par la Covid, la direction globale de la culture semblait de vouloir remédier à ce fossé. Et puis les spectacles ont repris ; les théâtres ne se déplacent pas plus dans les quartiers populaires qu’auparavant et le monde de la scène de cantonne à sa zone de confort et s’adonne à ses abonnés.
Quel est votre sentiment sur cet état de fait ?
Nous n’avons pas changé notre direction. Nous continuons à visiter les écoles, nous pénétrons dans les quartiers, nous allons là où personne ne veut aller. Et nous y allons avec entrain. Vanessa Pedrotti (médiatrice du collectif), énergie de partage brut, envisage, crée et anime des ateliers. Elle se fond dans la vie des quartiers en y apportant de l’information pure, des sciences humaines, des coupures de journaux, des faits, divers et réels. Elle concrétise et solidifie un lien au travers des rencontres sincères et de partages actifs.
Devons-nous comprendre que vous véhiculez l’actualité, quelle qu’elle soit, partout où vous vous déplacez ?
Oui, bien sûr. Nous accomplissons un travail mémoriel d’histoire. Nous montrons à quel point elle se répète. Durant les rafles de l’hiver 1943 à Marseille, 25 000 personnes ont été déplacées par les nazis. Mais sur des perspectives de développement qui leur avaient été données par la municipalité. La notion d’assainissement populaire est réelle et remonte, même, à avant la guerre. Pour construire Euromed, on a assaini République. Oui, l’histoire se répète.
Sur quels leviers vous appuyez-vous pour organiser vos actions ?
Vanessa intervient dans les lycées en orientant ses présentations de telle sorte que chaque enfant, de quelque niveau scolaire qu’il soit, puisse comprendre. On le place dans le contexte. Vanessa bâtit des PowerPoint avec une grande implication ; ils dévoilent des documents d’archives, des extraits de journaux, des photos, bien entendu et des témoignages variés. Mais les écoles et lycées ne sont pas les seuls concernés car Vanessa mobilise des groupes de femmes, des centres sociaux, des centres de travailleurs, etc. Manifeste Rien va jusqu’au bout de sa démarche.
Pourquoi êtes-vous si peu à organiser ce type de diffusion culturelle ?
Le théâtre est, généralement, organisé sur un lien entre la programmation et les abonnés. Pourtant, certains théâtres bénéficient de larges subventions dont ne bénéficient pas des structures comme la nôtre. Il y a une stigmatisation des populations. Il est bien plus rassurant de rester entouré de son élite. Notre société est organisée autour de castes. Même sur le sujet du théâtre et de la culture en général. Un bourgeois veut-il être assis à côté d’un métèque ?
Comment percevez-vous la société d’aujourd’hui ?
Inégale. Pas simple. Les droits et acquis sont bafoués. Il est vraiment difficile de rester optimiste et on pense à ses jeunes enfants. Les populations travaillent, mais ne s’en sortent pas et, désormais, se chauffer constitue un pôle de budget à part entière. C’est une régression, qui étend ses impacts sur la vie culturelle d’aujourd’hui.
Les inégalités ne devraient plus avoir leur place. Manifeste Rien n’est pas vindicatif, mais prône l’égalité. Est-il normal que le petit commerce doive rester ouvert H24 juste pour payer sa facture d’électricité ? Manifester dans la rue, de nos jours, est devenu dangereux. On se demande si on ne va pas en ressortir avec une balafre sur la joue…
Diriez-vous qu’il y a une montée de la violence ?
Oui mais. La violence n’est pas le moteur. Ce sont les inégalités qui la génèrent. On assiste à la disparition progressive de la classe moyenne et il semble interdit de le dire.
En quoi votre nouvelle création correspond-elle à vos idéaux et réalisations ?
Le spectacle est un solo. Virginie [Aimone, ndlr] est Imma. Et Virginie est, à la fois, tous les autres personnages de la pièce. Elle est la foule et elle est, dans le même temps, cette fille dont la famille, arrivée à Marseille dans les années 20, va être raflée. Elle incarne l’individuel et le collectif à la fois. Un rôle d’autant plus intense que Virginie interprète, également, les urbanistes qui, une seconde fois, après qu’elle sera revenue sur République, l’en éjecteront pour construire Euromed… D’ailleurs, c’est sur la thèse écrite sur Euromed par la propre sœur de Jérémy qu’est construite la pièce. Nous ne sommes pas dans la fiction.
Quelle phrase ou pensée vous viendrait-elle à l’esprit pour conclure cette interview ?
Les Rafles, d’un siècle à l’autre est un spectacle nécessaire, car il permet de remettre les choses dans leur contexte. Il est important de savoir d’où on vient. On sait certaines choses, mais il est vraiment utile de les éclaircir, de les préciser.
Propos recueillis par Jean Madeyski
Les Rafles, d’un siècle à l’autre par le Collectif Manifeste Rien : du 2 au 4/02 au Théâtre de l’Œuvre (1 rue Mission de France, 1er). Rens. : www.theatre-oeuvre.com
Pour en (sa)voir plus : http://manifesterien.com/
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