[Histoires d’ateliers] Chez Frédéric Arcos

Chronique
le 21 Jan 2023
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes marseillais. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, pour raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.

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L'atelier de Frédéric Arcos, croqué par Malika Moine.

L'atelier de Frédéric Arcos, croqué par Malika Moine.

J’ai rencontré Frédéric Arcos par hasard, lors d’une visite improvisée à l’Autoportrait, “galerie de coiffure et salon d’art”, un lieu où je suis sûre de découvrir des artistes en venant me faire couper les cheveux – ou pas. 

Ce jour-là, Frédéric accrochait ses toiles avec l’aide précieuse de Balthazar et Eve. Sur les toiles, des silhouettes de femmes de dos, aux postures singulières. Quelques jours plus tard, au vernissage, j’écoute les enregistrements des femmes peintes qui racontent leur rapport à leur chevelure. C’est au carrefour de l’intime, de l’ethnologie, de la sociologie. En un mot : passionnant ! Et l’artiste est d’accord pour que j’initie chez lui mon nouveau cycle de chroniques dessinées sur le lien de l’artiste à son atelier. 

Logement et atelier imbriqués

Me voilà donc ce beau matin d’hiver au cœur de la Belle-de-Mai. J’ai un peu le trac comme chaque fois que je fais quelque chose pour la première fois. Frédéric m’invite à le suivre à la salle à manger-cuisine. On longe un rideau blanc tiré derrière lequel je distingue une toile sur un chevalet dans une pièce inondée de soleil. Mon hôte prépare un café et on s’assoit autour de la grande table pour bavarder. Je me demande comment il est arrivé là. “Par un alignement de planètes, m’explique-t-il. Avec ma compagne Aline, nous devions quitter notre logement et mon atelier était menacé de destruction. Un ami voulait investir à Marseille et on a fait les petites annonces. Au bout d’un an, on a trouvé ce lieu mais les propriétaires nous ont préféré un promoteur. Mais quelqu’un de l’immeuble a bloqué la vente et finalement, mon ami l’a acheté.” Frédéric me montre le grand atelier qui jouxte la pièce à vivre. “C’était à l’origine une cour couverte après-guerre, devenue un garage, puis un entrepôt de meubles”. C’est immense, le plafond est à 5 mètres. Je m’étonne qu’il n’y ait personne alors que plusieurs artistes y sont installés. Frédéric explique : “Ceux qui le louent y travaillent rarement, c’est plus un lieu de stockage et pour nous qui vivons ici, c’est l’idéal tant les ateliers et notre habitation sont imbriqués !” 

Nous retraversons la pièce à vivre pour gagner le “petit atelier”, où travaille Frédéric. Une immense porte de métal et de verre donne sur la rue. En face, un espace de stockage semble s’étirer vers l’appartement, surplombé par la chambre de l’enfant. Un troisième côté est formé du rideau qui sépare l’atelier du couloir. Cet agencement particulier m’interroge sur l’impact du lieu sur le travail de l’artiste. 

Je suis pour les ateliers partagés. Ça fait avancer le travail, ça bouge les curseurs.

Frédéric a migré du grand atelier à ce plus petit car l’artiste qui le louait est partie et que la chambre de son fils donne dessus, mais pour autant, il est passé à cet espace solo en conscience. “Je suis pour les ateliers partagés. Ça fait avancer le travail, ça bouge les curseurs. Tu n’y travailles pas de la même façon, tu ranges, tu fonctionnes autrement”. Il précise : “Des choses me dérangent dans le folklore du peintre. Il est celui des plasticiens qui garde des cicatrices des représentations profondes de l’artiste. Le travail avec d’autres artistes au sein du collectif “Ici-Même” de Grenoble m’a ouvert sur d’autres disciplines, et le travail collectif”. Fred évoque sa série “Bonjour Monsieur Courbet” dont une des toiles orne la salle à manger. C’est le fruit d’une réflexion sur les peintres et la peinture, qui, après avoir été un art dominant jusqu’au XXe siècle, a été bannie de l’art contemporain. “Dans les années 90, être peintre, c’était comme avoir le Covid ou la lèpre !”

Les outils de Frédéric Arcos. (Dessin : Malika Moine)

Dans l’atelier, malgré la hauteur impressionnante des plafonds, il ne fait pas froid. Tant mieux, car il n’est pas chauffé. “Dans les grands ateliers où il fait très froid l’hiver, il faut bouger ! Je n’ai pas perdu la bougeotte mais je me suis remis à m’asseoir du fait d’avoir moins froid. Je peins debout et dessine assis. Plus les toiles sont grandes, plus la gestuelle est ample… Mais le petit espace ne permet pas d’accrocher et de regarder comment des toiles fonctionnent ensemble”. Heureusement, le grand atelier n’est pas loin…

Une autre question me taraude : les outils qu’il utilise.

Dans l’atelier, des impressions noir et blanc épinglées sur un panneau de bois suggèrent que les toiles urbaines accrochées sur l’unique mur blanc s’en inspirent. Les tubes et les pots de peinture acryliques épars sur le sol voisinent avec les innombrables pinceaux. Les châssis entoilés rangés dans le fond, les encres sur papier au trait rapide et sûr, témoignent d’un travail en cours. “Je me suis remis à l’huile il y a peu, lorsque j’ai découvert un diluant et un vernis sans essence, le « Green Oil ». Les couleurs sont bien plus belles que celles de l’acrylique qui en plus est un dérivé du pétrole. Je fais du « gras sur maigre », de l’huile sur acrylique, comme au XVIe on peignait à l’huile sur tempéra (la peinture à l’œuf). J’ai le même chevalet depuis que j’ai 19 ans”. Ce que l’on ne voit pas sur le dessin, c’est son travail sur les montages sonores, comme pour son exposition “Ça ne vous regarde pas” à l’Autoportrait.

Vivre de la peinture

Si quelques pastilles rouges se détachaient à côté des toiles à l’exposition, je me doute qu’il n’est pas facile pour Frédéric de vivre de sa peinture. Il n’existe pas de système équivalent à celui des intermittents du spectacle pour les artistes auteurs. La question est toujours importante et se pose à chaque instant.

Frédéric confirme : “Je vends quelques toiles, mais c’est très aléatoire. Je connais très peu de plasticiens qui vivent confortablement de leur art. Il m’est arrivé de travailler pour la compagnie “Ici Même”, mais je ne suis pas intermittent”. Il ne perçoit pas non plus de subventions. “Peintre trentenaire dans les années 90, j’étais banni du système institutionnel”. Il note que comme nombre de ses collègues plasticiens, il est un peu “homme au foyer”.  Et depuis peu, il enseigne le dessin et le modèle vivant aux Beaux Arts d’Aix. Sa compagne est intermittente du spectacle. “Ça nous fait une base”. Prévoyant, ils ont acheté un appart et un atelier qu’ils louent. “Heureusement parce que depuis trente ans que je cotise à la Maison des Artistes, comme je suis en couple, je n’aurai droit qu’à un très petit minimum retraite. Et je suis bientôt opérationnel…” Mais je doute qu’à la retraite, Frédéric s’arrête de peindre. Pour l’heure, il retourne à ses pinceaux. 

Vous pouvez découvrir, voir, revoir et suivre le travail de Frédéric Arcos sur son site.

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