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Histoire d'atelier

[Histoire d’atelier] La photographie volubile de Driss Aroussi

Chronique
le 27 Déc 2025
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants. Cette semaine, rencontre avec le photographe touche-à-tout Driss Aroussi.

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L'atelier de Driss Aroussi. (Illustration : Malika Moine)

L'atelier de Driss Aroussi. (Illustration : Malika Moine)

Depuis le début de mes visites dans les ateliers d’artistes, je souhaite chroniquer un atelier de la Ville de Marseille, car je pense que l’art est l’affaire de tous, que l’État et les collectivités devraient le financer, permettre à tous et toutes de s’y adonner. Je sais, ce n’est pas dans l’air du temps, mais il faudra bien y réfléchir puisque de plus en plus, on remplace les hommes par des machines et que jamais ChatGPT ne remplacera la créativité humaine… De la même façon que le cirque devrait être remboursé par la Sécurité sociale, les artistes devraient être rémunérés par l’État — qui bien sûr ne contrôlerait pas leurs créations. Ne me dites pas qu’il n’y a pas d’argent, on pourrait aisément le trouver si on voulait. Enfin, tout ça pour vous dire que les ateliers d’artistes de la Ville, c’est un bon début !

Comme je ne suis pas archi-branchée “art contemporain”, j’ai demandé des conseils à ma copine Paulina Salminen de l’association Image Clé. Elle m’a donné les contacts de Badr El Hammami et Driss Aroussi qui partagent un des ateliers de Lorette au Panier. Badr est en résidence à La Réunion et c’est Driss que je vais rencontrer ce jour.

Driss Aroussi. (Photo : Baptiste de Ville d’Avray)

Je suis venue il y a plusieurs années dans ce grand bâtiment de la place Lorette, avant que le quartier ne devienne si touristique. J’en garde une image floue, mais effervescente : ça devait être à la Fête du Panier, et les ateliers étaient ouverts et joyeux, façon squat d’artistes…

Par ce matin un peu glacé d’hiver, la porte est fermée et Driss descend m’ouvrir. Du grand hall peint en blanc, on gravit l’escalier de fer jusqu’au premier étage, on passe une porte et soudain, une vaste pièce éclairée par de grandes fenêtres. Devant une verveine, je prends des notes tandis que Driss raconte en dévorant sa soupe : “C’est une ancienne menuiserie. Des artistes étaient locataires d’une partie du bâtiment. Quand la société est partie, les artistes ont proposé à la Ville de racheter l’endroit. Ils sont restés et une partie a été mise en location à d’autres artistes. C’est le plus ancien des ateliers de la Ville. Il y a aussi les ateliers Boulle et les ateliers Boisson.” Je me demande comment Driss est arrivé là. “Avec Badr, on a répondu en binôme à un appel à projets artistiques en 2023. On est ici depuis début 2024, locataires de la Ville pour deux ans avec un loyer modéré.”

Expérimentations diverses

Une porte s’ouvre sur un autre espace, plus investi. C’est “l’espace poussiéreux. Il prenait l’eau, mais des travaux ont été faits il y a un mois. Ici, c’est dédié au bricolage et aux expérimentations diverses”. Justement, c’est un vrai début de réponse à mon questionnement sur la façon dont l’espace induit ou influence son travail… Cette interrogation me semble d’autant plus pertinente qu’au départ, Driss est photographe.

“Focale”, de Driss Aroussi.

“Le premier espace est un espace d’accrochage et le second de bricolage. Je fais beaucoup de photo documentaire et expérimentale, des films et des installations. Je travaille sur cette grande table, j’aime bien étaler le travail, ça permet de regarder de manière globale, poser les choses pour réfléchir à des associations qui ne pourraient pas avoir lieu dans un petit espace. J’utilise la partie bricolage pour fabriquer des objets fonctionnels, comme un support pour une installation. J’essaie aussi d’autres pratiques que je ne fais pas habituellement, comme la céramique…”

Le fait que ce soit un atelier partagé est propice à cet échange et à cette ouverture. Driss, enthousiaste, raconte­ : “Ça nous permet aussi d’échanger sur des questions prosaïques, techniques, et des questions artistiques, de réfléchir ensemble sur nos travaux personnels. Et on s’accompagne pour les dossiers administratifs. On fait des « open studios », des visites d’atelier pour des historiens, des commissaires d’exposition… Au départ, on est deux, mais des artistes comme Yassine Balbzioui et Yasmina Ben Ari travaillent ici avec nous. On essaie d’avancer seul ou collectivement. Il y a des repas communs, des expositions… La dernière, Sur la tête de ma mer, a eu lieu dans le cadre du Printemps de l’art contemporain. Elle a réuni plusieurs artistes avec diverses disciplines, dessin, installation, sérigraphie…”

“Manipulations” de Driss Aroussi.

Collages hyper graphiques

Je cherche des yeux les outils de Driss. Le principal est bien sûr l’appareil photo. Je le suis dans la seconde pièce chercher un appareil, mais “les autres appareils photo, argentiques et numériques, sont chez moi, car ils craignent l’eau et jusqu’à il y a peu, c’était trop humide ici”. Sur les étagères, il saisit un fer à souder pour le poser sur la grande table de la pièce d’exposition, à côté des boîtes de papier photo et du petit matériel de bricolage, un crayon, un tournevis, des pinces…

Les outils de Driss Aroussi. (Illustration : Malika Moine)

“Je dessine pour accompagner une exposition, parfois avec des « lettres transfert », pour mon travail sur le signe et la typographie.” Il me montre des collages hyper graphiques ainsi que des photogrammes. “Tu vois, comme Man Ray, je pose des objets sur le papier au labo.” C’est un travail au long cours, une réflexion profonde sur le langage et l’image… Il n’y a pas de labo photo ici, Driss va tirer ses photos à la Compagnie, rue Francis de Pressensé, à Belsunce, quand il n’œuvre pas à partir de cartouches périmées de polaroid pour des travaux plus expérimentaux.

Vous vous posez peut-être comme moi la question “Comment gagne-t-on son pain quotidien lorsqu’on est artiste contemporain ?” Driss répond : “Avant, j’étais graphiste et je faisais des commandes photos, par exemple, sur des chantiers de construction suite à mon exposition En Chantier. Aujourd’hui, je suis prof de photo dans une école d’art à Toulon, ce qui assure mon quotidien.”

Je vous invite à voir ou revoir le travail de Driss Aroussi sur son site ou lors d’une exposition à l’atelier Lorette ou ailleurs…

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