LA FOLIE À MARSEILLE

Billet de blog
le 12 Déc 2025
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Comme souvent, ma chronique  de ce vendredi a été suscitée par des articles parus dans « Marsactu ». Il s’agit des textes de V. Artaud sur l’hôpital Édouard Toulouse (30 09 24) et de R. Gocer sur l’augmentation inquiétante du nombre des hospitalisations sous contrainte (paru le 9 décembre dernier).

Les multiples folies à Marseille

Il n’y a pas une seule folie : le mot « folie » n’est que le nom que l’on a toujours donné à ces manifestations d’un malaise de la personne face à sa vie sociale. À Marseille, en particulier, si on la compare à d’autres villes, les folies sont multiples. Il s’agit, d’abord, sans doute, de crises familiales peut-être plus nombreuses qu’ailleurs. C’est qu’il ne faut pas l’oublier : la folie est une crise de la personnalité et de l’identité. Or ces crises de la personnalité naissent, d’abord, d’incertitudes et de malaises liés à des malaises suscités par des difficultés, pour la personne, à trouver sa place et à comprendre qui elle est, et cela, avant tout, dans l’espace dans lequel elle est née et où elle commence par fonder cette place dans la société : la famille et la filiation sont les premiers espaces sociaux que l’on rencontre. À Marseille, les crises de la famille sont liées, d’abord, à des difficultés de la fondation de la famille et à sa pérennité. Si la famille connaît peut-être plus de crises à Marseille qu’ailleurs, c’est à la fois en raison des difficultés du logement et en raison des difficultés de la vie quotidienne, elles-mêmes dues aux difficultés de consommation liées aux prix et à l’inflation et aux inégalités d’éducation, de culture et de formation. Une deuxième origine des crises de la personnalité qui conduisent à la folie sont des crises d’origine économique : le chômage nous prive d’une part de notre identité, l’identité professionnelle, le métier, et, à Marseille, il est sans doute plus important, plus grave et se manifeste pendant des périodes plus longues que dans d’autres villes. Une troisième forme de folie est liée à une autre source de perte d’identité : la migrance. Dans ce domaine encore, Marseille est un espace qui se prête plus que d’autres à l’immigration, parce qu’est c’est un port, parce que le passé de la ville et son histoire sont étroitement liés à la culture de la migrante née, en France, de la colonisation et de la décolonisation.

 

Folie et crises de la ville

Ce que l’on pourrait appeler la folie urbaine est une folie un peu particulière, celle qui caractérise les crises survenant à des personnes qui habitent dans l’espace urbain. La folie urbaine ne peut se dissocier des crises de la ville. Peut-être pourrait-on même dire que les crises de la ville conduisent toutes à l’apparition de formes de folie. Ces crises de la ville qui peuvent conduire à la folie sont, d’abord, liées aux dégradations des espaces de logement et des espaces sociaux. De nombreux immeubles marseillais des quartiers en crise ont été construits dans les années soixante et soixante-dix, à des moments où la population de la ville est devenue plus nombreuse. Ils ont été construits à la va-vite, sans grands moyens, et, ainsi, ils se sont dégradés plus gravement à Marseille que dans d’autres villes. Ces dégradations du bâti ont mené à de véritables maladies du logement qui ne répond plus à ce que l’on attend. On devient fou dans ces tours qui se dégradent. Les crises de la ville qui peuvent conduire à des épisodes de folie sont liées aussi à des crises comme celles qui, comme rue d’Aubagne, sont dues à de véritables destructions de logements fragilisés faute de moyens pour être entretenus. Enfin, les crises de l’espace urbain mènent à des formes multiples de violence, parfois graves, elles-mêmes à l’origine de formes de folie ou, au contraire, dues à elles. Ces crises de l’habitat entraînent des crises de la ville que l’on peut appeler des formes multiples de folies urbaines. 

 

Marseille, une ville qui devient folle ?

Ne nous trompons pas et ne nous réfugions pas dans la fausse tranquillité du déni : au-delà des personnes que l’on peut y rencontrer, peut-être est-ce Marseille elle-même qui est en train de devenir folle. La différence est simple à comprendre : des personnes qui vivent dans une ville peuvent y devenir folles sans que cela entraîne une folie de l’espace urbain lui-même. Au-delà, il peut arriver que la ville elle-même folle, ce qui entraîne le fait que le simple fait de vivre dans cette ville peut rendre fou. On peut se demander si ce n’est pas ce qui est en train d’arriver à Marseille. Quatre aspects peuvent manifester une folie de la ville. D’abord, la violence est une manifestation de folie qui apparaît veut-être souvent à Marseille, et qui peut rendre véritablement inhabitables les quartiers de la ville. La folie de la violence est associée à une autre folie, celle de la peur. Une véritable angoisse peut assaillir, et même en permanence, celles et ceux qui habitent certains quartiers au point de les rendre fous, comme cela pourrait se produire lors de l’attaque au couteau du cours Belsunce rappelée par R. Gocer dans son article du 9 décembre dernier. Un autre aspect de la folie de la ville prend la forme de l’incertitude et de la précarité d’une vie urbaine fragilisée. La violence de la dégradation de l’espace de la ville et l’impossibilité d’élaborer une véritable politique de l’urbanisme et de l’aménagement peuvent faire de l’espace urbain un espace de folie – à la fois caractérisé, lui-même, par une forme d’irrationalité et par une absence d’avenir pouvant mener à une peur de la ville. Enfin, dans l’espace de la ville, de telles formes de folie peuvent conduire à ce que les habitantes et les habitants ne se parlent plus, perdent le regard sur les autres, perdent la conscience d’habiter une ville commune. C’est ce qui mène aux dégradations de l’espace urbain, à la perte du souci de l’entretien de l’environnement, à l’impossibilité de se retrouver soi-même dans un espace dans lequel on ne peut que s’égarer, se perdre. Alors, c’est la ville qui devient folle. Et une telle folie, en quelque sorte par définition, échappe à la politique de la ville, incapable de faire se retrouver celles et ceux qui tentent de vivre dans une ville qui leur est devenue étrangère. Peut-être sommes-nous en train, sans nous en rendre compte, de tous devenir des personnes « en soin sans consentement ». Sauf qu’à la folie de la ville, l’État semble incapable de prodiguer des soins. C’est là que se situe l’urgence.

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