Contre le réseau de deal, les Campanules “occupent le terrain avec du thé et des gâteaux”
Depuis une semaine, des habitants de cette cité du 11e arrondissement se relaient pour occuper le bas des immeubles. Ils manifestaient ce dimanche, entre refus de voir leur cadre de vie transformé et crainte de devoir l'abandonner.
Les habitants mobilisés contre le trafic de drogue ont fait le tour des bâtiments pour faire grossir leurs rangs. (Photo : JV)
La sirène résonne, des volets s’ouvrent dans les étages. Non, ce n’est pas une intervention de police qui trouble le silence de ce dimanche matin. Au mégaphone, une femme harangue : “Résidents des Campanules, on descend ! On se mobilise ! C’est pour votre sécurité, on ne veut pas de dealers ici !” Venue de l’autre bout du département, celle qui a “grandi ici”, dans cette résidence du 11e arrondissement, explique se battre pour son père, qui y réside encore. “Il a 73 ans. Il est hors de question qu’il demande une mutation…”
La police “a tourné ces derniers jours”, commentent entre elles deux dames âgées, satisfaites. Alors qu’une centaine de personnes s’amasse progressivement, une voiture banalisée ne tarde pas à faire son apparition. Informés de la manifestation, les services de la direction départementale de la sécurité publique ont dépêché une patrouille. Pas besoin de plus d’effectifs, le réseau de vente de drogue tout fraîchement installé a fait profil bas.
Mobilisation dans les cages d’escaliers
Mais, depuis le 31 décembre, la confrontation est devenue quotidienne entre les petites mains du réseau et des habitants déterminés à empêcher leur installation. “On occupe les lieux, jusqu’à trois heures du matin, avec du thé et des gâteaux. Quand les clients arrivent et qu’ils voient du monde, ils passent leur chemin”, raconte Camille. Au bout d’une semaine, cette habitante de la tour H, principal point d’ancrage du plan stup, se dit exténuée. “Je dors avec des médicaments, j’arrive à 8 h au travail, dans les vapes…”
Comme beaucoup de participants réunis ce dimanche, elle dit se battre “pour protéger [ses] enfants. Mon fils handicapé qui m’a dit qu’il avait peur de descendre maintenant, ma fille de 13 ans qui va et revient du collège toute seule…” Pour d’autres, c’est un bout de vie passé ici qui se trouve remis en cause. “Je suis là depuis vingt ans, au début j’étais au vingtième étage de la tour, maintenant je suis dans un autre bâtiment au rez-de-chaussée car je suis atteinte de la maladie de Parkinson”, explique Martine. Son chien en laisse, cette sexagénaire est donc aux premières loges des allées et venues et dort “avec un couteau sous l’oreiller”. Mais si elle choisissait de partir, trouverait-elle un logement adapté “dans le privé” ?
L’ombre de la voisine Air-Bel
L’une comme l’autre oscillent entre un refus catégorique de tout abandonner face aux dealers et ces premières pensées de départ, si la situation se dégradait trop. Le choc, qu’il amène détermination ou fuite, vient aussi de l’irruption d’une problématique dont on se pensait à l’abri ici, à quelques mètres de la gare de La Pomme. “Il y a bien eu des petits qui se mettaient dans un coin pour vendre, mais c’est la première fois qu’ils s’installent dans les cages d’escaliers, avec les cagoules et tout”, témoigne Raymonde, 77 ans dont 40 aux Campanules. Avec l’ancrage d’un réseau, la crainte entendue au fil de la déambulation est celle de devenir “comme les quartiers Nord”, comme ces cités “où il faut la carte d’identité pour rentrer”, et où les feux d’artifices célèbrent les bonnes journées de vente.
Ici, on attribue cette incursion à un réseau d’Air-Bel, la grande cité d’habitat social du 11e arrondissement, située à moins de deux kilomètres. “Les jeunes d’ici, on ne les laissait pas s’installer, mettre leur chaise en bas des immeubles, alors ils sont allés à Air-Bel. Et maintenant, ils ont ramené ceux de là-bas, en leur disant que c’est calme et tout. Ils ne viennent pas par hasard”, croit savoir une mère de famille. D’autres pointent l’influence de relogés du programme de rénovation urbaine, qui démarre tout juste. “Il y a bien des soupçons… Mais j’ai une voisine qui en vient, au contraire, elle était là ce matin pour dire “surtout pas ça””, tempère Camille.
Avec leurs allées proprettes, conteneurs de tri, garages à vélo et senteurs de pinède, les Campanules ne sont pas devenues en l’espace de quelques jours un équivalent des Oliviers A. Les plus éloignés du point de deal parlent du bruit, des déchets retrouvés au matin, les plus proches des insultes et bousculades dans le hall. Ceux qui se mobilisent pour tenir les halls disent faire face essentiellement à des adolescents, parfois très jeunes.
“On ne doit pas en venir à l’autodéfense”
Mais face à une opposition plus consistante, voire armée, d’aucuns parlent de faire de même et de s’équiper de “barres de fer”. “C’est une problématique que l’on retrouve avec les groupes de voisins sur les réseaux sociaux“, commente Sylvain Souvestre, maire de secteur (DVD) venu témoigner de son soutien. Ce que je leur dis, c’est que si quelqu’un fait ça, c’est lui qui va avoir des problèmes. On ne doit pas en venir à l’autodéfense.”
De sa modeste estrade constituée par une bordure de pelouse, l’élu LR félicite les participants. “Dès le début, vous avez su vous mobiliser et j’ai rarement vu autant d’habitants réunis. Ce n’est pas à vous de les faire partir, sachez que la police nationale est mobilisée, pose-t-il. En revanche, je regrette l’absence d’Erilia ce matin.” Réparation des barrières, recrutement de vigiles, installation de caméras, les attentes des résidents envers leur bailleur social sont en effet multiples.
Sans rejeter en bloc toutes les demandes formulées, Sylvain Souvestre en montre les limites point par point face aux habitants. “Les barrières, les dealers savent faire. Il faut traiter le fond. La seule solution, c’est de pilonner, tous les jours. C’est ce qui est fait depuis début janvier et il ne faut rien lâcher”, nous certifie ce soutien du gouvernement. Il évoque une configuration similaire traitée avec succès à la cité des Lierres (12e) à l’été 2021.
Contactée par Marsactu, la préfecture de police assure qu’elle porte “une attention particulière” à ce dossier. “Il y a des patrouilles tous les jours, avec des interventions régulières, des arrestations”, en s’appuyant notamment sur les vingt policiers supplémentaires affectés à la division Sud depuis le 1er novembre 2022.
“On en a bavé pendant les travaux”
Pour le maire de secteur, l’enjeu est d’autant plus fort que cette cité des années 70, 420 logements répartis en 14 bâtiments, vient de bénéficier d’une rénovation d’ensemble. “On en a bavé pendant deux ans avec les travaux, confirme Sitti, quadragénaire qui y vit seule avec ses trois enfants. Moi je dis, pas de souci pour l’augmentation des charges, c’est très bien ce qu’ils ont fait. Ma petite peut sortir son vélo ici… Et du jour au lendemain je lui dis “non tu ne descends pas ?” Il faut qu’Erilia réagisse, et là aussi je veux bien payer.”
Dimanche, le bailleur social a expliqué dans un communiqué “travailler depuis lundi dernier à la mise en place d’un dispositif complémentaire aux actions de la police et exceptionnel afin de renforcer la sécurité de ses habitants [qui] sera présenté en début de semaine et déployé dans la foulée”. Erilia annonce déjà que des “barrières, mises en place dans le cadre des travaux de réhabilitation et objet d’une expertise en cours, seront opérantes d’ici 10 jours”.
Sous la pression du réseau, certains habitants en viennent déjà à remettre en cause une partie des aménagements. “On vient de m’expliquer qu’ils sont là, il faut enlever ça”, indique à l’élu une habitante en pointant un petit local ombragé au milieu des allées. “Lors de l’inauguration, on m’a dit que c’était très bien… Et ils se mettront partout où il y aura un espace”, répond Sylvain Souvestre. Même le caractère très passant de la résidence, avec ses deux entrées véhicules complétées par des accès piétons, n’est plus si bien vu. Une configuration qui serait un des atouts recherchés par le réseau. Comme un défi à la recette classique des projets de rénovation urbaine, qui cherchent le plus souvent à désenclaver les cités.
Commentaires
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Bravo à ces habitant.e.s qui se sont mobilisés, et qui ont le courage de le faire. Félicitations à l’élu d’être venu, à la préfecture d’être attentive.
Le problème pris à la racine (empêcher l’installation du point deal) est plus facile à traiter.
D’où la question lancinante : pourquoi ailleurs a-t-on laissé s’installer et se développer les points de deal ?
Les pouvoirs publics ont les moyens d’agir.
Les premieres victimes des trafics sont les habitant.e.s des cités, des enfants, des femmes, des vieux, des gens qui travaillent, des gens normaux ! qui subissent la stigmatisation de leur cité (ou de leurs origines, ou de leur condition sociale…), alors qu’ils sont victimes d’un trafic qui vient d’ailleurs et contre lequel les pouvoirs publics n’agissent pas suffisamment, notamment à l’échelle locale.
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Quant aux clients friqués du 12e, du 5e, du 8e,…il faudrait aussi qu’ils arrêtent d’aller se fournir dans les cités, qu’ils prennent conscience
qu’ils sont un mailon du trafic, donc une cause du malheur des habitants des cités, et qu’ils trouvent d’autres derivatifs à leur mal-être.
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Cest sur que si la demande chute, l offre aussi…
Mais comment faire?
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“Ce que je leur dis, c’est que si quelqu’un fait ça, c’est lui qui va avoir des problèmes. On ne doit pas en venir à l’autodéfense.”
Quand un responsable politique commence à dire “s’il vous plaît pas d’autodéfense”, c’est peut-être parce que les moyens mis en place pour assurer la tranquillité des citoyens ne sont pas suffisants, ou alors pas les bons ? (je sais, le maire de secteur peut pas y faire grand chose…)
Parce que bon, “pilonner” les points de deal, c’est ce qu’on fait depuis des décennies, et si ça marchait on l’aurait vu, je crois…
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““pilonner” les points de deal, c’est ce qu’on fait depuis des décennies”
Je passe une centaine de fois par an devant la Castellanne et je n’y ai vu en 10 ans que 4 ou 5 fois des camionnettes de police. Les autres jours les guetteurs sont confortablement installés dans des fauteuils et les barricades de filtrage mises en place par les dealers sont bien présentes.
Donc on ne pilonne pas tant que ça !
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oui, pilonner ????
et je confirme, comme pascal L, je passe devant des cités, où non seulement il y a des guetteurs de 13-14 ans installés dans des fauteuils mais également des pancartes avec indication des tarifs, des fermetures de voies avec des blocs, ou des barrières…
et qui pilonne ??? une voiture de flics par jour, pas forcément tous les jours, qui passe le plus vite possible devant les cités fermées ?
on ne doit pas avoir la même définition de l’activité pilonnage…..
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A quand un article d’investigation sur les clients ? On a l’impression de lire et d’écouter un peu toujours les mêmes analyses, que ce soit dans la presse écrite et audio-visuelle. Si le business marseillais (et d’ailleurs) de la drogue fonctionne si bien c’est que la clientèle est là, pas très loin. Quel est son (ses) visage(s) ? Ses habitudes ? ses moyens ? sa conscience de la situation ? Osons le mot : sa culpabilité ?
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Je suis en accord avec votre point de vue. On voit bien que les pilonnages et autres ne fonctionnent pas.
Il faudrait en effet prendre le problème autrement
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Je serais en effet très curieux de connaitre la “sociologie” de la clientèle !
Bon sujet pour un journal d’investigation local indépendant et intelligent, non ?! Il y a quand même des risques … Se pointer à l’entrée d’un point de deal pour poser des questions aux clients, ça va pas plaire à ceux qui tiennent la boutique. Il faudrait trouver un moyen d’investigation !
(et on pourrait s’apercevoir au passage que la plupart de ces clients préfèreraient aller acheter leur boulette au bureau de tabac à côté de chez eux …).
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Evidemment qui sont les acheteurs ?? On le sait plus ou moins, mais là encore il faudrait aller jusqu’au bout. Tant qu’il y aura un marché aussi lucratif, il y aura du deal. Alors au delà de toute hypocrisie et morale de bisounours il y a deux solutions : soit on légalise, soit on casse le marché en mettant dans la boucle les acheteurs, sans eux, pas de deal.
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Je crois que ce sont, en effet, les deux seules options.
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Je ne suis pas un spécialiste…mais une question, sans doute idiote, me taraude.
Alors que l on peut se procurer des drogues de synthèse ( qui font des dégâts terribles) en deux clics sur internet, comment se fait il que le commerce du cannabis en passe encore par le point de deal in situ?
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