L’implantation de l’industriel chinois Quechen à Fos ou l’histoire d’un fiasco

Décryptage
le 4 Jan 2023
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Le fabricant de pneus verts vient de mettre en pause son projet d'installation à Fos-sur-Mer. Un arrêt qui a tout l'air d'un abandon définitif. Les collectivités, la région en tête, avaient fait des pieds et des mains pour attirer l'industriel chinois en Provence.

La zone du port de Fos où devait s
La zone du port de Fos où devait s'implanter Quechen. (Photo : VA)

La zone du port de Fos où devait s'implanter Quechen. (Photo : VA)

Les six millions d’euros de subvention promises n’auront pas suffi. Le fabricant chinois de silice Quechen suspend finalement l’installation de son usine de “pneus verts” à Fos-sur-Mer prévue depuis 2018, comme l’a révélé Gomet. Des représentants de l’industriel chinois étaient pourtant encore venus dans la région fin novembre. De quoi maintenir l’espoir des acteurs locaux. Officiellement, Quechen Silicon Chemical, dont nous n’avons pas obtenu de réponse, suspend son implantation “en raison de l’actualité géopolitique européenne” confirme le port de Marseille-Fos (GPMM), qui dit avoir été prévenu en novembre. Autrement dit, le coût de l’énergie deviendrait trop important. À Lyon, Safran, grand groupe français présent entre autres dans l’aéronautique, a pris une décision similaire pour la même raison.

Renaud Muselier, président de la région, a une autre version. “Je pourrais vous dire “on est victimes de la guerre en Ukraine, de l’envolée du coût des matières premières etc…” Ce qui serait en partie vrai. Mais ce qui est tout aussi vrai, c’est qu’on s’est tous mis dedans, Ville, métropole, mairie, région et qu’à la fin, on n’arrive pas à les accueillir, à trouver le terrain au niveau du GPMM“, explique-t-il à Marsactu.

Pour ne rien arranger, le contexte économique en Chine ne favorise guère l’investissement à l’étranger. “La situation est très difficile là-bas avec le Covid, la crise immobilière, et le ralentissement de la croissance“, présente Dominique Jolly, co-auteur de “Investissements chinois sortant de Chine : quelles en sont les motivations ?”. “Par rapport à 2016, les investissements directs à l’étranger de la Chine sont aujourd’hui divisés par plus de deux“, souligne-t-il.

Absence de terrains déjà prêts

Un changement de terrain pour l’implantation, nécessitant de renouveler les études, aurait aussi refroidi les dirigeants de Quechen, peu habitués aux longues démarches administratives françaises. Et le temps perdu joue surtout cruellement en défaveur du territoire puisque le site annoncé en 2018 devait être opérationnel pour 2021. Philippe Stefanini, le directeur général de l’agence de développement économique Provence Promotion, directement impliquée dans les échanges, reconnaît “qu’à l’époque nous commencions à peine à démarrer notre travail avec le port, aujourd’hui, nous serions plus rapides“. Du côté des élus, le ton est clairement plus dur. “C’est un désastre, cela montre que nous avons encore beaucoup de travail”, tranche Renaud Muselier, qui parle même d’une “humiliation“.

Les subventions n’ont pas été versées, “mais nous avons perdu tout le temps passé sur ce dossier”, déplore un élu régional

La venue du géant industriel chinois avec 130 emplois à la clef symbolisait lors de son annonce une belle victoire pour la zone industrialo-portuaire sur le terrain de l’attractivité. Fos l’avait en effet emporté sur Rotterdam, grand port du Nord de l’Europe, après des années de difficultés. L’accord a d’ailleurs eu droit à plusieurs officialisations comme pour prolonger le plaisir. Il récompensait aussi un long travail de séduction à coup de visites en Asie, de réceptions des dirigeants et de subventions promises. “Le versement des aides dépend du début de la mise en œuvre définitive de l’usine”, précise toutefois Bernard Kleynhoff, président de la commission développement économique et digital, industrie, export et attractivité à la région. L’argent public n’a donc pas été dépensé. “Mais nous avons perdu tout le temps passé sur ce dossier”, regrette-t-il.

On a les outils, on a les terrains, mais on n’arrive jamais à mettre le bon terrain en face de notre interlocuteur. Donc j’ai demandé une forme d’étude sur le foncier régional, comme je l’avais fait quand j’étais président d’Euroméditerranée, pour savoir quel terrain on peut activer pour combien et dans quel délai“, prévient Renaud Muselier.

“Un pionnier qui a essuyé les plâtres”

Cette demande d’identification n’est pas nouvelle. “C’est le standard aujourd’hui sur les autres territoires“, avance Nicolas Mat, secrétaire générale de Piicto. Cette association dont le nom complet est “plateforme industrielle et d’innovation Caban Tonkin” réunit une quinzaine d’acteurs industriels de cette petite partie de la zone de Fos où devait s’installer Quechen. Elle est née au milieu des années 2010 quand le port voulait attirer des implantations en se libérant des contraintes de compensation environnementale dues aux zones protégées. À l’époque déjà, l’initiative répondait à l’échec d’une implantation.

Cette fois, c’est l’orientation d’aménagement de la zone industrialo-portuaire de Fos à l’horizon 2040 (OAZIP 2040) qui prend le relais. La démarche réunit les acteurs privés, publics, associatifs ou encore syndicalistes. Lors de tables rondes en mars dernier, la représentante de la région, Isabelle Campagnola-Savon, a estimé que : “L’enjeu de l’attractivité régionale est de sanctuariser les espaces fonciers industriels stratégiques et de promouvoir les sites “clefs en main” dont la disponibilité est immédiate et assurée”. Lors de son intervention, elle soulignait aussi la nécessité “d’engager un travail de qualification” des fonciers disponibles et proposait de mettre en place un groupe de travail État-région-GPMM. Selon Philippe Stefanini, l’OAZIP a permis de bien identifier les activités et les terrains potentiels, il reste désormais à définir la mutualisation de l’énergies entre les différents sites.

Pour ce qui est de Quechen, certains continuent de croire à une installation. “C’est possible, les Chinois sont capables de revenir”, avance Dominique Jolly. Concernant le devenir de la zone industrialo-portuaire, Philippe Stefanini est pour sa part déjà passé à autre chose. Il évoque une “demi-douzaine d’accords sur le point d’être signés” avec des industriels pour s’implanter, ce qui générerait un nombre d’emplois nettement supérieur à ceux attendus avec les “pneus verts”. Un brin philosophe il voit dans Quechen “un pionnier qui a essuyé les plâtres”.

Avec Julien Vinzent

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