Trésors coupables : le musée d’histoire expose les pilleurs et leurs trouvailles illégales
Jusqu'en novembre 2023, le musée d'histoire de Marseille se penche sur le sujet pas si anecdotique des pilleurs de trésors. En racontant cette pratique très répandue, l'institution espère alerter sur ses dangers.
Dès l'entrée du parcours, trois objets archéologiques retrouvés chez des particuliers donnent le ton. (Photo : LC)
Veste à poches et chapeau couleur sable, sac en bandoulière, la panoplie du chercheur de trésors est fermement arrimée à l’imaginaire collectif. De Tintin à Indiana Jones en passant par Les cités d’or et Lara Croft, c’est à ce mythe de l’aventurier que s’attaque l’exposition Trésors coupables, installée au musée d’Histoire de Marseille jusqu’en novembre prochain. Un parcours qui met face à ces personnages romanesques la réalité des pillages d’objets archéologiques et leurs conséquences néfastes pour la connaissance de l’Histoire.
Xavier Corré, attaché de conservation qui a participé à son élaboration, démarre la visite par un point réglementaire : “depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, fouiller sans autorisation est un délit”. Problème, quelques années plus tard naissait le détecteur de métaux, outil qui allait donner des ailes à la pratique de la fouille amateur, quand bien même son usage est aujourd’hui très encadré et même prohibé pour les recherches sans autorisations.
“C’est une exposition très atypique, poursuit-il. On n’a pas l’habitude d’exposer des objets saisis, mais c’est nécessaire.” Nécessaire, le mot est posé. Car au-delà d’exposer des milliers de découvertes dont la plupart ont été récupérées par la justice, la démarche vise à informer le public du danger de la pratique. “Il y a une vraie volonté de sensibiliser de notre part : ce n’est pas anodin et cela peut avoir des conséquences dramatiques. Il faut faire cesser ce fantasme du chasseur de trésors et imposer une figure de l’archéologue plus réaliste.” C’est donc sur cette ligne de crête entre documentation et mise en garde qu’évoluent les visiteurs.
Marseille, terre de fouilles
Première exposition sur cette thématique d’une telle envergure, Trésors coupables s’appuie sur un fort ancrage local. On y croise de nombreux objets originaires du département et de la région, retrouvés lors de saisies bien souvent chez des particuliers, dispatchés aux quatre coins de la France. Par ailleurs, “la région est très en pointe sur la lutte contre les pillages, ajoute Xavier Corré. Sans parler du lien entre Marseille et l’histoire de l’archéologie moderne : première fouilles urbaines menées au centre Bourse, mais aussi premières fouilles d’archéologie sous-marine scientifique menées à proximité de l’île de Riou sur l’épave du Grand Congloué, par les équipes de Jacques Cousteau.
Forcément, ce terreau est aussi fertile pour les aspirants découvreurs de merveilles enfouies : 1000 “détectoristes” ont été identifiés en région Paca. “Ce qui laisse penser qu’il y en a certainement bien plus”, souffle notre guide.
La preuve par l’exemple arrive assez vite. Dans une vitrine où sont alignées de nombreuses statuettes et céramiques, façon mise en scène policière avec scellés et fiches d’identification, notre guide s’attarde sur un masque en bronze. Le cartel indique qu’il a été saisi en Haute-Garonne en 2007, mais pourrait venir du site de la Sainte-Victoire. “Étrusque ?”, questionne le document. Impossible à dire dans ces conditions, déplore Xavier Corré.
Bien souvent, la justice ne peut pas remonter le parcours de ces objets passés par de nombreuses mains, des pilleurs aux revendeurs en tout genre. “Le scientifique peut comparer avec les bases de données, essayer de dater, mais c’est tout ce qu’il pourra en dire. Avec les objets saisis chez des particuliers, on ne sait pas d’où ça vient, l’époque, le contexte. Ils sont perdus pour la science”.
“Tout se vend”
Juste à côté, une photo symbolise quant à elle une disparition. Celle d’un autel de culte dédié à Zeus, datant du 1er ou 2e siècle après JC, inventorié lors de fouilles du site archéologique des Carmes, à proximité de la porte d’Aix. Problème, il est aujourd’hui introuvable et a été signalé chez un particulier avant qu’on perde à nouveau sa trace. “On court après”, glisse l’attaché de conservation.
Car même un bloc de marbre massif pareil peut s’évaporer et trouver acquéreur. Ce qui donne du fil à retordre aux autorités, notamment pour la surveillance de sites archéologiques ouverts aux quatre vents comme on en trouve plusieurs à Marseille, du Baou de Saint-Marcel à l’oppidum de Verduron. “Tout se vend, observe le spécialiste. Il y a des gens chez qui on retrouve des huisseries par dizaines, des hublots d’épaves, à quoi ça sert ? Ça s’oppose à la démarche scientifique, qui justifie chacune de ses fouilles, qui la délimite”. On imagine bien les archéologues s’arracher les cheveux quand ils ont appris qu’un affût de canon du 18e siècle, installé à l’entrée de l’exposition, servait, avant sa saisie chez un particulier, comme ornementation à côté d’une piscine.
Un peu plus loin, un panneau met en valeur l’histoire plus heureuse d’une lamelle de plomb enroulée, trouvée lors de fouilles légales, elles, place Bargemon, derrière l’hôtel de Ville, en 1993. “Les scientifiques ont pu le dérouler, on y a trouvé des inscriptions en grec, du 3e siècle. C’est une lettre d’un armateur pour un de ses employés qui a dû tomber du débarcadère après avoir été lue, on peut la faire parler. Un chercheur de trésor aurait certainement rangé ça dans un coin avec d’autres choses dont il ne saurait pas quoi faire”, pointe Xavier Corré.
Amphore recollée au mastic
Sans parler du désastre pour la conservation des objets pillés, illustré par la suite de l’exposition. Sous une plaque de verre, cinq pistolets de la Deuxième Guerre mondiale saisis en 2022 achèvent d’être rongés par la rouille, tandis qu’un bracelet gaulois est figé, collé à la glu par ses acquéreurs à l’intérieur d’un cadre bon marché de couleur pastel, en forme de maisonnette. On croisera aussi des pièces romaines attaquées par un lavage à la javel ou à l’acide, ou encore une assiette grecque sur laquelle a été subtilement ajouté un symbole maçonnique. Crève-cœur pour experts, à quelques mètres de là, une amphore massaliote fracturée témoigne d’une tentative très maladroite de réparation avec des gros morceaux de mastic.
La visite s’achève par “le graal” du chercheur de trésor, les pièces de monnaie. L’affaire du “trésor d’Alésia” est rappelée. Découvert par des “détectoristes” amateurs en 2012 qui en ont vendu une bonne partie, les pièces sont aujourd’hui éparpillées à travers la France et au-delà. Plus proche de Marseille, une saisie a permis de mettre au jour un petit rond de métal, qui pourrait avoir joué un grand rôle dans l’histoire de la Ville. Il semble qu’il s’agisse d’un “coin”, objet servant à frapper les pièces, et en l’occurrence, celles de l’obole de Massalia.
“Les faussaires sont doués”
“Au musée d’Histoire, on n’a pas de coin comme celui-ci, et on adorerait savoir où il a été trouvé, s’enthousiasme Xavier Corré. S’il est authentique, ce qui reste à prouver, il a servi à frapper la première monnaie de France, l’obole marseillaise. Pour l’instant, il appartient aux fonds nationaux. Un coin comme ça, on aimerait bien pouvoir le présenter”. Mais l’absence d’éléments précis sur les conditions et le lieu de sa découverte risquent de rendre l’authentification délicate. D’autant plus que, le spécialiste le reconnaît, “les faussaires sont très doués”. Un objet en métal ancien peut par exemple avoir été refondu pour avoir un aspect plus net, la datation au carbone 14 n’y verra que du feu.
Après plusieurs salles visitées, le message est passé : les circuits parallèles regorgent de merveilles inaccessibles au public et aux archéologues. Les objets culturels se rangent au troisième rang des trafics mondiaux, derrière les stupéfiants et les armes. Un chercheur de trésor, vu sous cet angle, est donc loin d’être un simple archéologue amateur. “Les scientifiques sont là pour faire parler, mettre leurs découvertes à disposition des chercheurs et de tout un chacun. Alors que les pilleurs le font soit pour mettre les objets chez eux, soit pour en faire du trafic, par appât du gain”, tranche Xavier Corré.
Si l’amour du travail scientifique et de la connaissance universelle ne suffit pas à dissuader les accros aux frissons, le musée n’a pas oublié de glisser les peines encourues par les pilleurs : réaliser des fouilles sans autorisation est passible de 7500 euros d’amende et le vol ou la “pseudo-restauration” de matériel archéologique peut coûter jusqu’à 150 000 euros assortis de 10 ans de prison. De quoi ravaler bien vite ses ambitions d’Indiana Jones et signaler sagement ses découvertes inopinées à la mairie la plus proche, ainsi qu’à la direction régionale des affaires culturelles.
Trésors coupables, au musée d’Histoire de Marseille jusqu’au 12 novembre 2023. En savoir plus ici.
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