Mes châteaux d’If: Serge Livrozet au café, Renaud Garcia à l’école

Mes châteaux d’If: Serge Livrozet au café, Renaud Garcia à l’école

Ce matin de marché, je prends le café au Petit Nice, Libé sur la table. J’ai trahi Jaurès où je passe d’ordinaire mes matinées. Mais aujourd’hui, j’ai envie de me poser en face du kiosque de la Plaine. Bien en face. Et surtout de ne rencontrer personne pour lire Libé, zut alors ! Le kiosque où CQFD regarde Charlie Hebdo en chien de faïence, est bien calé en face de ma table où mon journal tente de se faire la malle avec le vent qui bourrasque comme il se doit.

Le barman découvre la terrasse pour que le soleil nous frappe. En ouvrant Libé, je tombe sur Serge Livrozet, mort mardi dernier à Nice. Guillaume Tion lui consacre un bel article « Serge Livrozet est enfin mort » Ça pour commencer et pour finir : « Mardi, Serge Livrozet a enfin quitté ce monde ou il n’aurait pas dû naître et qui l’aura détenu 83 ans »

La photo extraite du film que Nicolas Drolc lui a consacré est magnifique.

La vue s’étend maintenant au-dessus du croissant. À droite le monument consacré à la traversée en avion de la Méditerranée témoigne d’une ville sur laquelle le temps passe. Imperturbablement. Avec des hommes qui traversent des mers, d’autres qui tentent de casser les murs des prisons. Toujours refuser l’enfermement des frontières, des maisons de corrections, des assignations à résidence. J’en profite ce matin. Quand d’autres me disent que nous n’avons pas été enfermés pendant le confinement, je m’esbaudis.(Hein Dominique ?) Serait-ce dû au nombre ? Quand tout un pays est enfermé, alors personne n’est le prisonnier ? Un beau sujet de philo.

À gauche on vend des caleçons et des clémentines. On s’interpelle entre amis et commerçants habitués de la Plaine. Comme il fait un peu frais, la Poste ne refoule pas de population. La Poste qui refait encore son agence des Réformés. Qui oblige des pauvres et des éclopés à monter à la Plaine. Souvent les mêmes. Encore heureux qu’il y ait le magnifique bus 74 pour faire passer les poussettes, les tubards et les vieilles femmes, de bas en haut. Ce bus c’est l’ascension pour les cathos, un moment de grâce dans l’existence. Un funiculaire à Valparaiso pour les gauchos.

Un vieil ami vient s’asseoir. Après quelques échanges comme au tennis sur nos maladies respectives, on évoque le dernier Renaud Garcia, la Déconstruction de l’école. (Editions de la Lenteur) Un journal ironique de pandémie et de lutte, tout en “fitness”. Le professeur de philosophie y casse de la technologie comme du Blanquer, montre toute la veulerie du monde, retient un « Je vous l’avais bien dit ». Il avoue même avoir distribué un tract devant son école contre le port du masque. Un dangereux fou crypto fasciste ! Alors quand il s’oppose à la numérisation des copies du bac, à Pix et autres absurdités high tech, pour qui passe-t-il ? Bref ? C’est désespérant mais ça fait du bien de trouver des frères dans ce monde.

Il fait froid à notre terrasse mais on est libres. Du moins en cet instant. Le gouvernement n’a pas promulgué une nouvelle guerre, une panne électrique ou informatique. À lire Libé tout est anxiogène, même les pages culture. Sauf Livrozet qui nous plonge dans les années 70 et son vent libertaire.

Résumons, depuis 10 ans la vie des Marseillais : Peur de la révolution avec la CGT, peur de l’insurrection avec les Gilets Jaunes, peur des effondrements, peur du Covid, peur de la guerre, puis peur de la panne. Manquerait plus que l’ OM peurde sa place. Il nous resterait quoi ? Jouer aux boules à Carli, loin du Qatar.

En face du Qatar, l’Iran où on baisse le voile, puis la Chine où on baisse le masque. Et Livrozet qui baisse le rideau.

Renaud Garcia et bien d’autres pièces et mains d’œuvre seront au Ruban Vert à Aix en Provence le mardi 14 Décembre 2022.