Affaire Chervet : comment un des prévenus a tourné en cachette la vidéo devenue preuve-clé
Au premier jour du procès de Renaud Chervet et des entrepreneurs accusés de l'avoir corrompu, l'audience a tourné autour d'un enregistrement montrant une remise d'argent liquide à cet ancien haut fonctionnaire du département.
Renaud Chervet, ancien fonctionnaire du département, lors de son procès pour corruption. (Photo : JML)
Renaud Chervet s’humecte les doigts pour mieux décompter les billets jusqu’à 10 000 euros. Saïd M., un entrepreneur dans le bâtiment, vient de lui en remettre une liasse en guise d’avance. Il attend de lui de rentrer dans la combine que ce cadre a installée au conseil général pour orienter l’attribution de certains marchés publics. La transaction a lieu dans une voiture, à 1h du matin, un lundi de janvier 2016.
Saïd M. a placé une caméra cachée dans son sac à dos, le même duquel il retire les espèces. Il veut avoir une preuve si, en retour, les marchés de travaux promis par celui qui s’occupe alors des marchés à la direction de la construction du conseil général ne lui sont pas accordés. Cette preuve, celui qui est surnommé “Videur” pour son imposante carrure, va la confier à son bras droit.
Une clé USB dans une petite boîte
L’homme n’a pourtant pas le profil du garant de confiance. En 2016, Jean-Pascal B. a déjà été condamné à deux reprises pour trafic de stupéfiants. Et il ne s’est pas retiré des affaires. De fait, il va subir deux mois plus tard une perquisition pour une autre affaire de stups. Les enquêteurs vont ouvrir la petite boîte et embarquer la clé USB. Sa lecture va faire cabrer la machine judiciaire. Rarement, une telle preuve tombe ainsi dans la main des enquêteurs. Les six ans entre le premier coup de filet et le procès qui s’est ouvert ce lundi montrent la relative rapidité de la justice dans cette affaire.
La juge de la sixième chambre correctionnelle bis, Céline Ballerini, est de son propre aveu “friande d’écoutes”. Ce lundi, elle ouvre les débats en diffusant la vidéo en question et d’autres qui évoquent le système de corruption. “Si monsieur M. n’avait pas enregistré ceci, s’il n’avait pas donné de clef USB à monsieur B., qui a subi une perquisition, on ne serait pas là et ça aurait continué”, résume la présidente. “La prochaine fois, faut mettre le sac plus près”, ironise-t-elle face à certains passages peu audibles. Les vidéos s’arrêtent et la présidente laisse entendre le silence qui s’est emparé de la salle d’audience, le décor est planté.
“J’ai été ébloui par les strass”
Renaud Chervet se présente à la barre dans ce contexte. Le matin, il a à peine jeté un œil à la vidéo incriminante. Ses premiers mots sont ciselés et montrent le profil bas qu’il a choisi d’adopter. “Je me comportais de façon totalement inappropriée par rapport à mes fonctions. […] Je reconnais la quasi totalité des faits”, affirme-t-il. Lui dont le foyer gagnait 8000 euros par mois jure avoir été fasciné par la grande vie qui s’offrait à lui via les pots-de-vin qu’il percevait : “J’ai été ébloui par les strass, la vie un peu facile, les cadeaux, les voyages, les sommes d’argent et cela fait qu’on essaie d’accéder au niveau supérieur”.
Un système de facilités, d’habitudes s’est mis en place. Je n’ai pas tiré le frein à main.
Renaud Chervet
Il assure n’avoir travaillé qu’avec le concours d’un ami assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) de la collectivité, Jérôme Disdier, lui aussi titulaire de ce fait d’une mission de service public : “Par l’intermédiaire de M. Disdier, on a fait des rencontres avec des entreprises. Un système de facilités, d’habitudes s’est mis en place. Je n’ai pas tiré le frein à main.” L’ami AMO a assuré lui-même n’avoir pas initié le système. “Les entreprises me demandaient de rencontrer Renaud Chervet”, clame-t-il.
“10%” des entreprises
La présidente insiste pourtant auprès de chacun. “On vous trouve super à l’aise sur les vidéos”, insiste la présidente auprès de Renaud Chervet. Elle a encore dans sa besace plusieurs écoutes qu’elle réserve pour la suite. La défense des autres prévenus n’attend pas pour le presser de questions. “Vous employez sur écoutes le terme de “faire pression””, lance Odile Gagliano, l’avocate de Franck C., un des entrepreneurs. “Est-ce que les entrepreneurs payaient non pas pour avoir un marché mais pour ne pas être blacklistés ?”, pousse un de ses confrères François-Xavier Vincensini.
Renaud Chervet, qui a fondu en larmes à l’évocation de ses enfants, apparaît fragilisé. Il verse à nouveau quelques larmes quand son avocat Frédéric Monneret lui demande s’il regrette. “J’y pense tous les jours, j’ai eu sept mois pour y penser.” Référence aux sept mois de détention provisoire dont il a déjà écopé dans cette affaire. Son avocat l’aide à “relativiser” l’ampleur de la fraude : il estime à “10 %” les entreprises qui passaient par ce pacte de corruption pour obtenir des marchés dans son service. A celles-ci ils fournissaient une information confidentielle leur permettant d’enlever le marché.
Cela signifierait que la fraude se soit circonscrite aux entrepreneurs prévenus dans ce dossier. Une version que les intéressés auront tout loisir de confirmer ou de contester durant cette semaine d’audience. Et Céline Ballerini aura l’occasion de mesurer si ses craintes sont fondées : “J’espère qu’il n’y a qu’à Marseille que ça se passe comme ça. Savoir que, si je suis proche de quelqu’un, je vais avoir la possibilité d’avoir accès à des infos confidentielles, c’est perturbant pour le citoyen ordinaire.”
Actualisation le 25/10/22 à 13h09 : correction de la date de la transaction, réalisée en janvier 2016 et non 2019.
Commentaires
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2019 à 2022 ça fait 3 ans, pas 6 si je puis me permettre.
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Une phrase manque pour introduire la personne de Jean-Pascal B, chez qui a été retrouvé la pièce à conviction, et qui est sous le coup d’une autre affaire judiciaire depuis 2016. Donc oui 2022-2016 = 6 mais l’article tronqué induit en erreur.
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En effet, c’est une erreur de frappe. L’article a été modifié. Merci de votre vigilance.
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Ce genre de procédé n’a plus court, les gros bonnets se font payer en offshore maintenant. C”est une des raisons pour lesquelles l’évolution du code des marchés publics favorise les grosses entreprises (sous prétexte d’objectifs vertueux évidemment). Ce sont elles qui ont les moyens d’entretenir des filiales à l’étranger pour payer les pots de vins sur des comptes off-shore. C’est ça l’Europe : des lois étouffantes pour les petits à l’intérieur des frontières, les gros ont les moyens de s’en exempter par des montages opaques. La transaction criminelle se négocie dans le pays A, puis le paiement d’une prestation fictive se fait dans un pays B . Le montage juridique est irréprochable et bien rôdé.
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C’est quand même rageant de vivre ici, payer des impôts, faire travailler des collaborateurs et lire cela. J’ai l’impression que cela ne s’arrêtera jamais. Celui-ci s’est fait prendre et fond en larmes (de crocodile) … Pitoyable le gars… Il verse des larmes sur lui, mais pas sur les boites qui n’ont pas enlevé les marchés attribués à d’autres, pas sur la trahison de sa fonction… Me concernant, il est interdit de travailler avec les collectivités locales depuis que nous n ‘avons pas été payés et que nous avions dû abandonner des facturations devenues irrécouvrables lors de la fusion de la CAPA dans la Métropole… 8.000 € par mois, le gars… Et personne ne s’étonne d’un train de vie qui n’est certainement plus en adéquation avec la fiche de poste du Zozo ? En tant que contribuable et Chef d’entreprise j’espère qu’il sera lourdement condamné par la justice !
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“J’ai été ébloui par les strass, la vie un peu facile, les cadeaux, les voyages, les sommes d’argent et cela fait qu’on essaie d’accéder au niveau supérieur”
Ah, c’est la Métropole, je croyais que c’était le Qatar et un certain Nicolas S (on me dit dans l’oreillette qu’il occupait des fonctions nettement supérieures à celles de monsieur Charvet, logeait gratuitement dans un palais parisien, et rêvait d’émoluments lui permettant, comment dites-vous, d’accéder au niveau supérieur).
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Quel que soit le montant des travaux,des prestations où du service,l’éthique dans les marchés publics renvoie d’abord à l’intégrité de l’agent. En l’espèce,ce “haut fonctionnaire”,au demeurant chargé du contrôle interne des contrats publics de la plus importante direction de la collectivité,a failli lamentablement à ses obligations.Comment parer aux pulsions de tentation du titulaire de la clé du confiturier? Dans votre société avez-vous confiance à votre comptable en chef?Aujourd’hui, il est nu,sur le chemin du repentir…La gourmandise…
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Bonjour Marsactu, bonjour Jean-Marie Le Forestier, l’enregistrement a été trouvé en 2016 chez Jean-Pascal B mais aurait été réalisé en janvier 2019. Je crois que vous avez interverti 9 et 6 sur le clavier numérique de votre ordinateur
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“J’espère qu’il n’y a qu’à Marseille que ça se passe comme ça. Savoir que, si je suis proche de quelqu’un, je vais avoir la possibilité d’avoir accès à des infos confidentielles, c’est perturbant pour le citoyen ordinaire.”
Et pas à Levallois-Perret? Ni à Neuilly?
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