LA PLAINE
LES LIEUX DE MARSEILLE
Cet article est le premier d’une série d’articles que nous vous proposerons de temps en temps, concernant différents lieux de Marseille que nous chercherons à explorer, dont nous chercherons les multiples significations, auxquels nous chercherons à donner une vie « marsactienne ». Sans en faire l’histoire (de nombreux ouvrages ont été publiés sur la question), nous nous proposons de les comprendre dans la culture urbaine de Marseille aujourd’hui.La Plaine lors de sa réouverture en 2021. (Photo : LC)
LA PLAINE
Nous commençons, aujourd’hui, « Les lieux de Marseille » par la place Jean-Jaurès, plus communément appelée « la Plaine »
La Plaine : un trou dans la continuité de l’espace urbain
C’est ce qui frappe quand on regarde un plan de la ville : cette sorte de gigantesque trou, cette béance au beau milieu des rues et des maisons de l’espace de la ville. La Plaine, c’est une déchirure. La place est un aménagement qui propose une discontinuité de la ville, comme si elle était à la fois dans la ville et au dehors. Sans doute cela permet-il de comprendre cette espèce de distance que prend ce lieu à l’égard des normes et des prescriptions qui organisent l’espace de la ville, et qui lui donne un recul. Comme la Plaine n’est pas soumise aux lois de l’aménagement urbain, elle est un lieu insoumis, à la manière, d’ailleurs, de nombreuses places publiques, qui sont des lieux de rassemblement, de manifestations, d’expressions d’une critique engagée des pouvoirs. On va à la Plaine pour se promener, pour y mettre en œuvre des missions, un travail, mais on s’installe aussi à la Plaine pour protester, pour critiquer, pour dénoncer. C’est aussi le sens de cette discontinuité dans le domaine de la ville : elle s’oppose au reste de la ville. On est aussi frappé, quand on accède à la Plaine, par les volumes et les surfaces qui ont une géométrie bien à eux, sas doute difficiles à mesurer. Mais, en même temps, l’espace de la ville a besoin de cette ouverture pour respirer, et, en ce sens, la Plaine est un lieu essentiel de la vie de la ville.
Une place : un forum
« Plaine », cela désigne, comme « plan », cet espace plat et ouvert au milieu de la ville qui est, comme disaient les Latins, un forum, ou, les Grecs, une agora. Mais il faut faire attention aux mots. L’agora ou le forum se situent hors de la ville : c(‘est ce que veut dire ce petit morceau de mot, qui est le même en grec ou en latin, gor ou for, que l’on retrouve dans le français hors. La ville est faite d’un réseau de rues et de voies qui se croisent, qui se continuent, qui nous conduisent dans les lieux de l’espace, mais les places échappent à ce réseau, elles imposent une discontinuité dans le réseau. C’est, d’ailleurs, pourquoi le tram passe sous la Plaine et en ressort après : il impose une discontinuité du réseau des transports publics, la Plaine se met à distance du réseau. C’est bien pour cela que les places ont toujours été utilisées comme des lieux de rassemblement, où les peuples des villes se retrouvent pour y faire leur marché, et, ainsi, pour organiser l’économie propre aux villes, mais aussi pour y parler, pour y chanter et y faire de la musique, et, aussi, parce que cela fait partie des paroles qui se déploient dans la ville, pour y protester, pour y manifester, pour faire entendre la voix des peuples face à celle des puissants.
Des peintures et des graffiti : une façon de donner du sens à cette place
Mais la parole des peuples se fait aussi voir en images, elle ne s’exprime pas seulement avec des mots, mais aussi, beaucoup, par des dessins, des caricatures, des graffiti ou des plages de couleurs. C’est ce qui m’a frappé quand je suis revenu vivre à Marseille, après l’avoir quittée quelque temps : la Plaine était devenue un immense album d’images et d’écriture. On est bien obligé de s’arrêt au milieu de ces images pour les regarder, car elles nous font face au beau milieu de nos parcours et de nos chemins. À côté des espaces de jeux destinés aux enfants – mais les enfants et les jeux échappent à l’ordre imposé – ces images proposent une autre façon, différente, d’exprimer la ville, ses envies, ses désirs, ses impulsions. Album de dessins et d’images, la Plaine pose sur la ville et sur celles et ceux qui y habitent un regard de création et d’élan.
Un espace de rencontres
Comme toutes les places publiques, comme l’agora d’Athènes ou le forum de Rome, la Plaine est un espace de rencontres, de paroles qui s’échangent, de regards qui se croisent, un lieu empli d’une véritable musique de murmures. Cette musique des rencontres fait exister le peuple de la ville en lui permettant de se reconnaître lui-même. On va dans les rues pour se déplacer, justement pour échapper aux places, mais on va sur la place pour s’y retrouver dans le regard de l’autre. Et, ainsi, la Plaine est un des lieux de la ville où l’on prend le temps de chercher à se reconnaître dans l’évidence du regard de l’autre. C’est pourquoi ces espaces de rencontres sont nécessaires pour habiter la ville en compagnie de l’autre, en faisant partie, avec lui, du même peuple. Et, comme sur la Plaine, il y a, donc, aussi des lieux où les enfants jouent, cette place est aussi un lieu dans lequel les enfants apprennent à vivre entre eux en habitant un espace différent de celui des autres. On n’oublie pas ce temps de la vie où l’on s’affranchissant de lois que nous ne reconnaissions pas encore : en jouant ensemble, les enfants se donnent des lois qui ne sont pas les nôtres. À côté des images et des graffiti, les jeux sont une autre sorte de rencontre. Dans l’espace de la Plaine, les échanges sont ceux d’une économie informelle, d’une économie étrangère aux normes et aux lois de l’économie imposée, parce que cette économie informelle est, justement, celle des rencontres, les seules sortes de normes et de valeurs qui y ont cours. Ce n’est pas en vendant et en achetant que l’on institue l’économie de la Plaine, c’est en échangeant des mots et en jouant à la marchande : en jouant l’économie imposée, les échanges de la Plaine sont ceux des jeux et, ainsi, de la distance et de la critique. Sans les places comme la Plaine, la ville ne pourrait pas être l’espace politique des citoyennes et des citoyens assez fous pour être libres.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Un billet élégiaque parfumé à la weed et à la 8\6
Se connecter pour écrire un commentaire.