À Port-de-Bouc, la promesse non tenue d’une consultation pour malades de la pollution

Enquête
le 2 Sep 2022
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Ouverte en 2019, la consultation médicale consacrée aux maladies professionnelles et environnementales était très attendue par les syndicats et les associations accompagnant les travailleurs des industries polluantes de la région atteints de problèmes de santé. Trois ans plus tard, la structure vivote et son unique médecin a annoncé sa démission.

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Rien n'indique vraiment l'emplacement de la consultation dans un immeuble de Port-de-Bouc. (Photo : Feriel Alouti)

Rien n'indique vraiment l'emplacement de la consultation dans un immeuble de Port-de-Bouc. (Photo : Feriel Alouti)

Pourtant située à moins de cinq minutes à pied de la gare de Port-de-Bouc, il faut s’armer de patience et questionner qui on peut, pour dénicher l’emplacement du centre de consultation pour maladies professionnelles et environnementales, ouvert en septembre 2019 par le centre hospitalier de Martigues. “Vous n’êtes pas la seule à me poser la question, lance une employée d’un centre de santé situé en face. Avant, il y avait une pancarte, mais elle a été retirée.” 

Le lancement de cette consultation du risque suscitait beaucoup d’espoir. D’autant plus dans ce coin de France soumis à la pollution industrielle depuis des décennies. L’état de santé des habitants de la zone de Fos-Berre est globalement moins bon comparé à celui de la population de la région Paca”, note ainsi l’Anses qui observe une surmortalité par cancer de 4 % – 9 % chez les hommes -, un pourcentage qui grimpe à 34 % si l’on compare uniquement le territoire de Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône à la région Paca.

Cette situation bien discrète est à l’image du bilan de la structure. En trois ans, l’équipe a étudié le dossier médical et professionnel de seulement 91 personnes, toutes suivies par l’hôpital de Martigues et dont la majorité ont développé des pathologies graves après avoir travaillé plusieurs années dans les usines du coin. “On voulait étudier le cas des patients qui travaillent ou ont travaillé autour de l’étang de Berre mais c’est très compliqué d’avoir accès aux dossiers médicaux, certains sont suivis à Arles ou Marseille“, déplore Michel Mouysset, médecin chargé à temps partiel de cette consultation. Contactée, l’Agence régionale de santé (ARS) reconnaît avoir identifié un “manque de visibilité”. C’est pourquoi, explique–t-elle, elle a envoyé en 2021, un flyer à tous les médecins traitants, spécialistes et professionnels du secteur”. “Depuis, les consultations ont doublé”, assure-t-elle.

Une action jugée insuffisante

Fruit du contrat local de santé signé en février 2015 par le centre hospitalier de Martigues, l’ARS Paca, le Pays de Martigues et la sous-préfecture d’Istres, cette consultation du risque a, avant tout, été pensée pour remplacer l’Association pour la prise en charge des maladies éliminables (APCME), un groupement de médecins exerçant dans les 21 communes du pourtour de l’étang de Berre qui s’étaient donné pour mission de recenser et documenter les postes de travail cause d’au moins un cas de maladie professionnelle reconnue. “Un travail magnifique de prévention qui a été abandonné”, regrette Houcine Rehabi, vice-président de l’Adevimap et conseiller municipal de Port-de-Bouc chargé de la santé. 

Cela faisait dix ans que l’on demandait la création d’une telle antenne au milieu des usines. Malheureusement, les moyens ne sont pas mis pour la développer.

Christiane de Felice, présidente de l’Adevimap

Une fois inaugurée, il faut plus d’un an pour qu’elle devienne opérationnelle. Le temps nécessaire pour former Michel Mouysset à la médecine environnementale et à la toxico-chimie. Un domaine dans lequel, “je ne vous le cache pas, j’étais assez peu formé”, reconnaît-il. Depuis, les critiques à l’égard de son action s’accumulent notamment au sein de l’Association de défense des victimes de maladies professionnelles (Adevimap). Cette structure accompagne depuis vingt ans des salariés ou retraités afin que l’origine professionnelle de leur pathologie soit reconnue par la sécurité sociale. “Cela faisait dix ans que l’on demandait la création d’une telle antenne au milieu des usines. Malheureusement, les moyens ne sont pas mis pour la développer, on attendait autre chose”, admet Christiane de Felice, présidente de l’association. Avant de poursuivre : “Par exemple, on pensait que le centre pourrait effectuer des contre-expertises en cas de refus par la sécurité sociale, mais ils ne l’ont jamais fait. On continue à adresser des dossiers à une association de médecins située à Paris”. 

Christiane de Felice évoque le cas d’un homme dont la veuve envisageait d’effectuer des démarches auprès de la sécurité sociale. À la fin de son courrier, l’un des bénévoles de l’Adevimap écrivait au docteur Mouysset : “Nous avons besoin de votre avis pour savoir si on peut envisager de lancer une procédure de demande d’imputabilité auprès de la CPAM. […] Est-ce qu’il faudrait aussi peut-être demander d’autres documents auprès des hôpitaux, et lesquels, pour éclairer au mieux les causes de ce décès”.

Il n’a jamais obtenu de réponse. Questionné, Michel Mouysset assure n’avoir retrouvé “aucune trace de sa demande” et n’en avoir “aucun souvenir”. De son côté, l’ARS estime qu’elle “n’a pas à porter un jugement sur la qualité des reconnaissances des pathologies professionnelles de la part de la sécurité sociale”.

Du côté des syndicats, le constat n’est pas plus élogieux. “Les missions de ce centre sont mal définies”, estime Alain Audier, représentant syndical de la CGT chez Arcelor-Mittal qui a lancé, il y a deux ans, un comité de surveillance de l’activité industrielle du golfe de Fos.

Le médecin sur le départ

Mais la consultation a tout de même pu mener à bien certaines activités. Depuis l’ouverture du centre, Michel Mouysset est accompagné dans sa tâche par Cyrielle Orenes, épidémiologiste et anthropologue. Elle est chargée de retracer le parcours professionnel des patients de manière à leur permettre d’enclencher auprès de la sécurité sociale les démarches pour la reconnaissance de leur maladie professionnelle.

C’est ce qu’elle a fait en rencontrant à domicile, en janvier 2020, Michel Kuentz, suivi par l’hôpital de Martigues pour un cancer des ganglions. “Elle nous a demandé de détailler l’ensemble de son cursus, lister toutes les entreprises dans lesquelles il était passé, les postes qu’il a occupés dans l’industrie pétrolière, notamment à Fos. Elle a vraiment très bien travaillé. Sans elle, je n’aurais jamais autant détaillé son parcours, je me serais contentée de lister les entreprises dans lesquelles il a passé le plus de temps”, raconte Jocelyne, son épouse âgée de 70 ans. Le dossier de son époux a tout de même été refusé après son passage en comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), malgré le travail fourni par la consultation.

On a bien conscience qu’il y a tout un pan de la mission qui n’est pas réalisé.

Michel Mouysset, médecin à temps partiel sur cette consultation

Pour le reste, difficile de cerner réellement les missions du centre, celui-ci ayant refusé notre demande de reportage, au motif que l’activité n’y est pas suffisamment “importante”. Ainsi, depuis son ouverture, seuls sont reçus les patients atteints de cancers des poumons, de la vessie et de cancers hématologiques type leucémie. Sont exclus les travailleurs et retraités victimes de pathologies respiratoires et cardio-vasculaires. De même pour la “prévention des situations d’exposition” et “l’assainissement des postes de travail”, un axe de travail pourtant inscrit noir sur blanc sur sa plaquette de présentation. “On a bien conscience qu’il y a tout un pan de la mission qui n’est pas réalisé”, admet Michel Mouysset qui a d’ailleurs annoncé en mai dernier sa démission. “Disons que je mesure la distance à effectuer avant d’atteindre un niveau d’expertise satisfaisant et que cela me semble terriblement lointain”, reconnaît-il.

Les données récoltées dorment dans des tiroirs

Cette consultation du risque n’étant pas rattachée à un centre hospitalo-universitaire, elle n’a jamais, non plus, intégré le réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P). Cette plateforme d’échanges entre cliniciens des vingt-huit centres de consultation pour pathologies professionnelles (CCPP) de France a pour vocation d’enregistrer les données des consultations réalisées au sein de chaque centre dans une base nationale de manière à établir un lien éventuel entre une exposition professionnelle et la pathologie ayant motivé la consultation. Résultat, depuis deux ans, les données récoltées par le centre de consultation de Port-de-Bouc restent stockées dans des tiroirs sans que personne n’y jette un œil. 

“Il n’y a pas vraiment d’envie du côté des pouvoirs publics de prendre le problème à bras le corps, juge Patrick Courtin, médecin hospitalier retraité, devenu membre du conseil d’administration du comité de surveillance de l’activité industrielle du golfe de Fos. Quand vous voyez que dans une région industrielle comme la nôtre, il n’y a toujours pas de registre de cancer…” Nous, ce que l’on demande, c’est une véritable étude épidémiologique et un registre du cancer”, lance Daniel Moutet, militant associatif qui lutte contre la pollution industrielle depuis vingt ans. Un projet, très coûteux en termes d’argent et de moyens humains, est actuellement à l’étude et pourrait bientôt voir le jour, mais il faudra attendre encore plusieurs années pour extraire de ces données une véritable étude épidémiologique. Un délai qui apparaît comme une éternité pour les habitants et pour les familles de malades. 

En attendant, pour “monter en puissance” et en “expertise”, le centre de consultation attend d’être rattaché au futur Centre régional de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE) de la région Paca. En mars dernier, l’ARS a publié un appel à candidature auquel le CCPP de La Timone, situé à Marseille, a répondu. La consultation de Port-de-Bouc deviendrait ainsi une unité délocalisée, après signature d’une convention qui permettrait au centre, estime Michel Mouysset, “d’avoir une identité et des missions bien définies“. “L’ARS veut qu’il soit assujetti à La Timone et ça, ce n’est pas possible, déplore Houcine Rehabi, vice-président d’Adevimap et conseiller municipal de Port-de-Bouc chargé de la santé. Cela ferait perdre énormément de temps aux patients déjà restreints par le délai de prescription”.

Si l’on en croit – encore une fois – la plaquette d’information, l’équipe de Port-de-Bouc est déjà censée communiquer régulièrement avec celle du centre de la Timone. Sauf qu’en réalité, il n’y a “aucune connexion” entre les deux services, affirme la professeure Marie-Pascale Lehucher-Michel, à la tête du CCPP de Marseille. De quoi s’interroger sur l’avenir de leur collaboration.

Actualisation : les deux derniers paragraphes de cet article avaient été involontairement coupés lors de la parution de cet article. Ils ont été rajoutés ultérieurement.

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Commentaires

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  1. Louise LM Louise LM

    Comment une question sanitaire majeure est-elle enterrée dans les sables pour que aucune responsabilité ne soit jamais prouvée ?
    Pas de moyens, pas de personnel compétent
    Merci pour la démonstration

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  2. Richard Mouren Richard Mouren

    Il n’y a jamais eu aucune volonté politique de révéler les chiffres de sur-morbidité dans cette zone mer de Berre / golfe de Fos, chiffres qui existent certainement. Depuis que l’Assurance Maladie est informatisée (assez tardivement toutefois, 1980?), elle est certainement en mesure de les extraire de ses data (peut-être le sont-ils, mais non dévoilés). Mettons que cette structure, sans moyens et isolée du tissu sanitaire, a pu servir de cache-misère pendant un temps.

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