RETOUR SUR UN DISCOURS (2)

Billet de blog
le 13 Août 2022
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La semaine dernière, nous avons entrepris de disséquer de façon critique le discours d’E. Macron venant à Marseille, le 2 septembre dernier, présenter son plan « Marseille en grand ». Nous vous proposons aujourd’hui le second volet de cette analyse.

 

Marseille et la Méditerranée

Dans son propos, E. Macron ne dissocie pas Marseille de la Méditerranée. Il a raison, bien sûr : Marseille est bien un port ouvert sur le large méditerranéen. C’est le sens des projets économiques et culturels qu’il évoque dans son discours. Toutefois, il ne faudrait pas enfermer Marseille dans son monde méditerranéen. Pour se développer pleinement, pour connaître une véritable croissance, une métropole ne peut pas se laisser emprisonner dans un monde unique. Marseille ne peut grandir que si elle met en valeur sa situation au croisement des cultures et des mondes méditerranéens et des cultures et des mondes « de l’autre côté » de la France : la croissance viendra aussi de l’Ouest et du Nord et la politique de la France doit aussi consister à concevoir une économie métropolitaine du passage, de l’échange, de la pluralité des mondes et des espaces. La Méditerranée a peut-être trop longtemps constitué le seul horizon de Marseille, mais, aujourd’hui, Marseille doit se libérer de ce passé : elle doit sortir de Massilia. On peut craindre que le propos du président ne traduise une tendance profonde dans la politique de la France, depuis longtemps : celle de réduire Marseille à n’être qu’une ville du Sud et de la Méditerranée, au lieu de lui permettre de profiter de cette situation pour concevoir un projet urbain fondé sur le dialogue entre des cultures multiples.

 

La question de la sécurité

Comme dans tous les discours sur Marseille et comme dans tous les discours du président, la figure de la sécurité est omniprésente. D’abord, peut-être serait-il temps d’en finir avec ce qui est devenu la figure mythique des « quartiers Nord ». C’est encore une manière d’enfermer Marseille dans des clichés réducteurs. Oui, d’accord, il y a des trafics de stupéfiants à Marseille, mais il y en a aussi ailleurs, et, surtout, au lieu de stigmatiser une ville et ses habitants avec cette image, il faudrait s’interroger sur les raisons pour lesquelles Marseille est devenue, peut-être plus que d’autres villes, un lieu de violence et d’insécurité. À ce propos, d’ailleurs, une fois de plus, revenons sur le même propos du président : l’insécurité est aussi sanitaire, sociale, économique. L’insécurité dans une ville est tout simplement la difficulté d’y vivre sans avoir peur. De cela, et surtout des raisons de cette peur, il n’est pas question dans le les mots du président qui, au contraire, accentue l’irrationalité des mythes, en réduisant la parole d’un chef d’État à des propos de bar (et je demande aux bars de me pardonner la référence à cette autre figure mythique irrationnelle).

 

Marseille, l’éducation et la culture

Le discours d’E. Macron évoque, au sujet de Marseille, un « temps scolaire un peu différent ». Je ne comprends pas. De mes années d’enseignant, si j’ai retenu une chose, c’est bien que l’école, au contraire, est là pour unifier, pour aller vers plus d’égalité. Mais, pour parvenir à faire de l’égalité une réalité au lieu de la réduire à un mot creux, l’école doit être le lieu dans lequel le temps et les savoirs proposés aux élèves par les enseignants sont égaux. Quant à la question de la culture, évoquée par E. Macron à propos des nombreux projets que Marseille cherche à élaborer et à mettre en œuvre, ce qui est essentiel, c’est de ne pas la réduire à des images et à des industries culturelles. Au contraire, pour qu’une véritable politique cultuelle se mette en œuvre à Marseille, il est essentiel que les acteurs et les décideurs comprennent enfin que la culture ne se limite pas à du spectacle, mais qu’elle est bien ce qui dit l’identité. C’est par la culture qui s’y met en œuvre qu’un espace d’habitants devient une ville, un lieu de rencontres et d’échanges, un lieu d’histoire et d’imaginaire.

 

La difficulté à concevoir « l’intérêt général »

Terminons ce propos par un questionnement proprement politique. E. Macron évoque, au sujet de Marseille, « une si grande difficulté à définir ce qu’est l’intérêt général de la ville ». En-dehors du fait que ces mots sont comme les autres mots de ce discours : ils sont creux, ils ne veulent rien dire, on peut se demander pourquoi et en quoi Marseille aurait plus de mal que d’autres villes à dire ce qu’est « l’intérêt général ». D’abord, on objectera au président que, justement, cette figure de l’intérêt général est fondamentalement antinomique avec le libéralisme qui repose, au contraire, sur une philosophie politique de la confrontation et du rapport de forces entre les intérêts particuliers. Mais il faut aller plus loin. Une fois de plus, nous sommes devant une stigmatisation : on a l’impression qu’E. Macron ne peut pas concevoir un discours qui ne soit pas une stigmatisation, un rappel au règlement, un jugement de valeur. Ce n’est pas cela, un discours politique : un discours politique n’est pas destiné à juger, il est destiné à convaincre. Par ailleurs, le propos du président ne définit nulle part ce qu’est l’intérêt général d’une ville. Or, justement, c’est bien ce qui devrait orienter l’élaboration d’un plan. « Marseille en grand » devrait être une manifestation de l’intérêt général de celles et de ceux qui vivent dans cette ville pour concevoir ce qui est leur ville, l’identité politique et culturelle dont ils sont porteurs et qui les orientent. Ils n’ont pas besoin de la parole présidentielle pour cela. Au contraire, tout au long du discours du président on aura eu le sentiment qu’il s’empare de la volonté politique de Marseille, qu’il confisque aux habitantes et aux habitants de cette ville le droit d’avoir une volonté générale. C’est dire qu’il y a encore du travail pour que Marseille élabore en toute liberté et, surtout, en toute indépendance le plan qui devrait être le sien, auquel habiter cette ville signifierait adhérer à ce plan et au projet qu’il exprime.

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