La nuit en roses
On la dit endormie et sans surprise. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de d'arpenter et de raconter la vie nocturne de la ville. Cette semaine, il passe la soirée avec. N., vendeuse de roses ambulante.
La nuit en roses
Le seau habilement et fortement vissé dans le creux du bras, N. est dans le vif de sa tournée du soir. 19h, sur la Plaine, les terrasses sont bien remplies, et c’est donc une bonne nouvelle, le marché est large. D’un œil expert, elle cible d’abord les tables où on flirte, en s’insérant avec un grand sourire et une fleur déployée entre les deux belligérants : “La rose ?”.
Un refrain bien connu de qui apprécie l’apéro et une part de marché créée de toute pièce. Quel client de bar, appréciant le soleil tardif, les boissons fraîches et la compagnie parfois bonne s’est dit qu’il manquait au tableau une rose à la provenance et à la qualité douteuses pour réellement passer un bon moment ?
Un tour de terrasse peu fructueux plus tard, la vendeuse prend une petite pause. Elle se livre un peu plus, mais toujours du bout des lèvres : elle ne veut pas qu’on puisse lire son prénom. Originaire de Hongrie, elle habite ici “pour le travail”, parce que la vie là-bas était compliquée. Pas qu’ici elle soit simple : elle est mère et responsable de deux enfants, qui ont un écart de 15 ans, seule apparemment. “C’est pas facile hein”.
Vendeuse officielle du cours Ju
Parfois, les gens viennent à elle aussi, surtout les habitants du quartier. On lui demande des nouvelles, on échange des idées profondes (“Il faut chaud hein”). Si elle n’habite pas le quartier, elle en fait clairement partie et certains signes ne trompent pas. Le t-shirt Lacoste au crocodile suspect a été acheté sur le marché de la Plaine et son outil de travail, le seau plein de fleurs, arbore fièrement un sticker des Lodi Gunz, groupe de rock du cours Julien. Sans compter qu’une bonne partie de la recette du soir provient des serveurs et serveuses à qui elle fait la bise, qui mettent régulièrement une partie de leurs pourboires en monnaie juste pour laisser traîner une rose près du comptoir.
Parce que dans le business de la rose de rue, ce n’est pas toujours une rose qu’on achète. “C’est un peu pour aider, je veux pas les laisser en galère. Puis je préfère qu’elles vendent une rose plutôt qu’elles fassent la manche”. Cette serveuse du cours Julien apprécie les vendeuses à petite dose. “Je sais comment les prendre. Je leur dis que c’est pas tous les jours non plus, qu’il faut pas insister avec les clients. En général elles comprennent. Mais quand je veux les énerver, je leur dis que j’ai déjà acheté à leurs copines qui sont passées avant elles”.
Elles sont bien plusieurs, trois ou quatre, exclusivement des femmes à vendre des roses dans le quartier. Mais ça ne veut pas dire qu’elles sont copines : inévitablement la remarque de la serveuse tend l’atmosphère. “Je m’en fous que tu aies acheté aux autres, et moi alors ?”. Une relation peu claire, un peu comme le reste. Le nombre de fleurs qu’elle vend chaque soir ? Haussement d’épaules, “ça dépend”. La provenance des produits ? Sans surprise, “Ça dépend”.
Techniques commerciales rodées
Le prix ? À la tête du client, à la situation. Démonstration : N. est proche de conclure une vente avec un acheteur potentiel. Étape 1 : “Toi, le plus beau, tu veux pas acheter une rose pour la plus belle ?”. Rires gênés, mais la deuxième étape est engagée dès qu’est aperçue une main qui se plonge dans une poche, à la recherche de monnaie. “Choisis, regarde, j’ai gardé une belle blanche pour toi”. Une rose à l’emballage coloré et décorée de paillette est tendue sous les yeux de la jeune femme, pendant que le regard est porté sur le jeune homme et sa monnaie. “Ça coûte combien ?”. “Pour toi, 4€ et je te donne celle-là aussi”. Une fleur que seuls les diplômés de botanique sauraient reconnaître, du fait de la taille microscopique de ses bulbes est à son tour tirée du seau, sortie de sa cachette de roses à paillettes. “Non mais je veux pas celle-là moi.” Il repartira pourtant avec, pour la modique somme de 3 euros. Sans une dernière tentative de tour de passe-passe : après être entrée en possession du billet de 5 euros aux pliures caractéristiques du fond de poche, notre vendeuse suggère fortement d’une grimace appelant à l’empathie qu’on lui laisse la monnaie. Rien n’y fera, la grimace tournera un peu au dégoût et la monnaie sera rendue.
“Pas beaucoup de travail ce soir”. Plus concentrée sur le travail que sur la discussion, elle effectuera une dernière boucle, plus tard qu’à son habitude pour essayer de rattraper le retard. Il est presque une heure du matin, et il faut rentrer à la maison, qui n’est pas loin, mais pas à côté non plus. Aussi énigmatique que familière dans le décor nocturne du plateau, difficile d’en savoir plus sur notre vendeuse de roses.
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