Douze candidats RN au second tour et un front républicain qui devient l’exception

Décryptage
le 14 Juin 2022
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Face aux nombreux duels qui s'annoncent dans les Bouches-du-Rhône, les stratégies des candidats non-qualifiés pour le second tour en matière de consignes de votes sont à géométrie variable.

Les candidats du Rassemblement national pour les législatives 2022. (Photo : ML)
Les candidats du Rassemblement national pour les législatives 2022. (Photo : ML)

Les candidats du Rassemblement national pour les législatives 2022. (Photo : ML)

Le Rassemblement national sera présent au second tour des élections législatives de dimanche prochain dans douze circonscriptions sur les seize que compte le département. Il sera opposé à la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) dans six scrutins et à Ensemble (la majorité présidentielle) dans cinq autres. Dans la 12e, sur les bords de l’étang de Berre, le duel entre le RN et Éric Diard, apparenté Les Républicains, fait figure d’exception.

Pour battre le RN au second tour, ils ont tous besoin du report des voix des candidats arrivés derrière eux. Au lendemain du premier dimanche de vote, les appels habituels à faire barrage prennent des formes diverses, de l’appel franc aux timides pincettes.

Les héritiers du front républicain

Avec eux, c’est clair et net. Face au RN, ils appellent sans équivoque à voter pour l’autre force en présence. C’est le cas du socialiste Thibaud Rosique pour la Nupes, dans la première circonscription des Bouches-du-Rhône. Sabrina Roubache (Ensemble) y sera opposée à la très discrète Monique Griseti, la tante de Frank Allisio.

Dès le résultat connu, le candidat Nupes appelait à “faire barrage au RN”. Puis précisait, limpide, sur Twitter : “Contrairement à certains membres, parfois éminents, de la majorité présidentielle, je ne mettrai JAMAIS de signe = entre les candidats du camp républicain et les néo-fascistes porteurs de haine, du repli sur soi et du rejet de l’autre. C’est pourquoi, pour le second tour dimanche 19 juin prochain, j’utiliserai le seul bulletin disponible pour barrer la route à l’extrême-droite sur la #circo1301 ; celui de Sabrina Agresti-Roubache”.

Dans la 6e, investie par la Nupes, la socialiste Magali Holagne appelle également “le plus grand nombre à contribuer à battre le RN dans notre secteur et partout en France”. Mais elle ne pousse pas jusqu’à annoncer qu’il faut glisser un bulletin pour Lionel Royer-Perreaut (majorité présidentielle) dans l’urne.

Dans la 3e circonscription des quartiers Nord, Alexandra Louis, sortante sortie (Agir), n’avait, à l’heure où nous écrivons ces lignes, pas encore fait de déclaration. Son suppléant, Gérard Blanc, fait en revanche preuve d’une grande clarté en annonçant soutenir le candidat de gauche : “Je voterai Mohamed Bensaada. Je ne partage pas ses combats et je ne soutiens pas la Nupes. Mais je partage la valeur cardinale d’égalité et d’humanité avec lui, ce qui n’est pas le cas de Mme Lelouis [la candidate RN, ndlr].

Les moitié-moitié

Comme une bonne pizza, les non-qualifiés sont partagés. Et pour la deuxième manche, leur réponse est souvent double. La majorité présidentielle a connu un petit retard à l’allumage sur la question – annonçant d’abord son refus de choisir entre union de la gauche et extrême-droite, avant finalement d’afficher sa volonté que “pas une voix” n’aille au RN.

Saïd Ahamada, député LREM sortant dans la 7e circonscription, arrivé en 3e position derrière la Nupes et le RN s’en tient à un tweet un peu court : “Pour ce 2nd tour, aucune voix ne doit aller à l’extrême-droite. Il faut battre les candidats du RN.” Mais il n’appelle pas pour autant à voter pour Sébastien Delogu (LFI pour la Nupes).

Même nuance chez Mariana Caillaud (Modem), candidate de la macronie dans le pays d’Arles (16e). “La première chose c’est que pas une seule voix ne doit aller au RN”, explique-t-elle à Marsactu. Elle dit voir dans son adversaire de la Nupes, le socialiste Stéphane Caillault “un candidat tout à fait capable de porter un projet républicain”. Pas question néanmoins de donner une consigne de vote. “Sur certains sujets, comme le contournement autoroutier d’Arles, le maintien de la tradition taurine ou le pont de Salin-de-Giraud, je voudrais qu’il clarifie certaines de ses vues. Car il y a parfois une distance entre ses prises de positions personnelles et celles défendues par la Nupes”, cadre-t-elle.

Dans le pays d’Aix, Stéphane Salord, Génération écologie, investi par la Nupes dans la 11e ne pousse pas, lui non plus, l’injonction jusqu’à appeler à voter pour le Modem Mohamed Laqhila qui porte les couleurs de la majorité. “C’est la politique nationale de la Nupes. Nous préférons dire aux électeurs de ne pas donner une seule voix au Rassemblement national car c’est plus conforme à l’origine et aux idées du mouvement”, argumente-t-il.

Même reprise de la position nationale chez Michèle Jung, dans la 15e circonscription. “Nos électeurs sont assez grands et nous ne sommes pas propriétaires de nos voix, approuve-t-elle. Mais il y a une forme d’urgence à lutter contre le RN, à imaginer autre chose que le barrage dont on sent qu’il atteint ses limites. Nous sommes sur le terrain, il y a longtemps qu’on alerte là-dessus, on ne peut pas nous demander des comptes à nous“, pique la militante LFI.

Isabelle Chauvin (LFI) engagée pour la Nupes dans la 12e (côte Bleue) avance, également, ses arguments à mots choisis. Dimanche, ses électeurs auront le choix entre Frank Allisio (RN) et Éric Diard (Divers droite apparenté LR). “Pas une voix pour l’extrême-droite. Ça suffira”, pose la candidate pas plus inquiète que cela du résultat. “Ça suffira par rapport aux réserves de voix, il y a six points d’écart et Éric Diard a toujours su mobiliser son électorat. On ne va pas non plus céder à l’extrême libéralisme, on a vu tout le mal que ça a causé justement.” Un peu poussée, elle pointe aussi “des rapprochements étranges [entre les deux qualifiés]. Quand on se retrouve sur un plateau télé et que chacun y va de sa discrimination, contre le burkini et l’arabe à l’école…”

Les ni-oui ni-oui

Les battus sont parfois encore moins diserts. Voire franchement renfrognés. Investis par Les Républicains, Didier Réault (6e) ou Sarah Aubert-Boualem (1ʳᵉ) n’ont pas encore digéré d’avoir vu les ténors de leur parti et nombre de militants rallier les candidats macronistes (Lionel Royer-Perreaut dans la 6e et Sabrina Agresti-Roubache dans la 1ère). Les blessures de ces duels fratricides peuvent être encore vives.

Interrogé à ce sujet dimanche soir, Didier Réault a évacué rapidement la question. Il ne fait aucun appel en vue du second tour : ni à barrer la route à quiconque, ni à voter pour son ancien collègue LR Lionel Royer-Perreaut.  “Je suis un libéral donc je considère que chacun doit faire ce qu’il veut”, synthétise-t-il. Idem pour Sarah Aubert-Boualem. Pas de consigne de vote. Au second tour, elle ira voter, “bien sûr”. Pour qui ? “Je ne veux pas divulguer mon vote. Il y a l’isoloir, pour ça”, rétorque celle qui est arrivée 4e.

Du côté d’Ensemble, la ligne nationale est parfois portée à reculons. Ainsi, Thierry Boissin (Ensemble dans la 13e circonscription) ne votera pas pour le parti lepéniste, mais se refuse à donner une consigne : “C’est une position personnelle. Je ne suis pas propriétaire de voix de mes électeurs, ce serait un abus de pouvoir. Il faut qu’ils votent en citoyens libres et éclairés.” Le fait que l’élu martégal soit en conflit ouvert avec la majorité municipale dont est issu le candidat Nupes Pierre Dharréville n’y est certainement pas pour rien.

Mais c’est souvent la France insoumise et son leader qui font figure de repoussoir. Véronique Bourcet-Giner (Ensemble), dans la 10e (Gardanne-Allauch) renvoie dos-à-dos ses opposants RN (José Gonzalez) et Nupes (Marina Mesure, issue de LFI). “Si vous avez suivi ma campagne, vous avez vu que j’ai été très dure avec les deux. Pour moi ce sont des extrêmes l’un et l’autre, affirme la postulante malheureuse. Je n’ai pas de problème avec Marina Mesure, que j’ai croisée sur les marchés ou les gens qui l’entourent qui sont plus modérés. Pour moi le problème c’est la tête de liste. Le personnage de Jean-Luc Mélenchon me dérange.” À la lecture des résultats, celle qui revendique “30 ans d’engagement contre l’extrême-droite” reconnaît que “le risque est majeur” mais ne changera pas de position “à moins d’une note de mon siège”.

Dimanche prochain, les résultats du second tour dévoileront les noms des seize nouveaux députés des Bouches-du-Rhône. Et livreront, par la même, les fruits de ces stratégies.

Avec Julien Vinzent et Marie Lagache
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Commentaires

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  1. julijo julijo

    pourtant un front républicain ne devrait pas être exceptionnel !
    avant le deuxième tour des présidentielles, macron, ferrand, castaner…etc nombreux au gouvernement ont expliqué avec force séduction l’intérêt d’une telle pratique.
    leurs éléments de langage répétitifs et aidants en qualifiant d’extrême la nupes (le ps et eelv sont contents !) ils semblent s’être dégagés de ce principe républicain.
    j’espère qu’un “sursaut” républicain arrivera et leur sera salutaire. (le macronisme est suffisamment incohérent pour ne pas en rajouter).
    j’espère davantage dans un éventuel sursaut électoral des abstentionnistes.

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