Dans les quartiers Nord, les candidats aux législatives face au fatalisme et à la défiance

Reportage
le 10 Juin 2022
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À quelques jours du premier tour, des militants de la Nupes tentent de remobiliser les électeurs de Mélenchon à la présidentielle, non sans peine. Dans cette copropriété dégradée des quartiers Nord, les urgences sont loin des urnes.

Sébastien Delugu, candidat FI dans la 7e circonscription des BdR en campagne devant l
Sébastien Delugu, candidat FI dans la 7e circonscription des BdR en campagne devant l'école de la Maurelette. Photo : VA

Sébastien Delugu, candidat FI dans la 7e circonscription des BdR en campagne devant l'école de la Maurelette. Photo : VA

“Ah non ! Moi je vote pas, ça sert à rien !” D’un revers de main, le tract tendu est refusé. Devant l’école primaire de la Maurelette (15e), ce mardi en fin d’après-midi, enfants et parents défilent devant les militants de la France insoumise en campagne pour les élections législatives dont le premier tour aura lieu ce dimanche. Si la plupart des passants font preuve de politesse, voire, de soutien manifeste envers Jean-Luc Mélenchon, la question de l’abstention est ici incontournable. Dans la plupart des bureaux de vote de cette circonscription, la 7e, le leader de la France Insoumise est arrivé en tête au premier tour de l’élection présidentielle. Mais l’abstention y enregistre parmi les plus forts scores de la ville.

La Maurelette fait partie de ces quartiers excentrés – comptez au moins une heure dans un bus bondé depuis le centre-ville – où règne l’habitat indigne. Devant les bâtiments de la copropriété, des grilles sont censées sécuriser les lieux en cas de chutes d’éléments de façade. Les halls d’entrée, dont les portes vitrées ont été brisées, sont dans un état de délabrement flagrant. Seul un enfant qui pénètre dans le hall et le linges aux fenêtres confirment qu’il ne s’agit pas là d’une cité abandonnée. Tout l’enjeu est là pour les militants de la Nupes : parvenir à remobiliser un électorat potentiel, très éloigné des enjeux des élections législatives.

Remobiliser l’électorat de la présidentielle

“Si les habitants d’ici ne votent pas, nous ne passerons pas. Et ils ont plutôt envie de fermer la porte que de l’ouvrir”, analyse Daisy Riposati, l’énergique directrice de campagne de Sébastien Delogu, candidat (FI) de la Nupes dans cette 7e circonscription. “Les gens ont tellement un sentiment d’abandon, de défiance. Le plus grand défi est de regagner la confiance du peuple, la confiance dans le politique”, poursuit la jeune femme, qui ne compte pas baisser les bras. Pourtant, jurent les militants présents cet après-midi-là, quand ils sont accueillis, c’est chaleureusement.

Une militante dans la cité la Maurelette. Photo : VA

“Allez Mélenchon !”, crie un passant, le poing levé, en attrapant le tract tendu. “Certains ont même une photo de lui dans leur salon, au milieu de celles de leurs enfants !”, avance Ratiba Sai, militante et habitante de la Savine, une autre cité dégradée du 15e arrondissement. Sauf que cette fois-ci, ce sont les députés, et non un président, qu’il s’agit d’élire.

Chemise ouverte et pantalon blanc impeccable, lunettes de soleil sur le nez, Sébastien Delogu, qui s’est fait médiatiquement connaître en repeignant avec un groupe de parents une école dégradée de la Viste (15e également), veut incarner, “ce candidat du quartier, qui a quelque chose de touchant et qui est dans la proximité”, explique ses militants. Même avec son air sûr de lui, l’ancien chauffeur de taxi ne peut s’empêcher de douter : “Beaucoup ont l’air de vouloir se mobiliser, le disent, mais on ne sait pas ce qui va se passer…”.

Le tour des quartiers

Tout en insistant sur l’intérêt du porte-à-porte et du travail de terrain, le candidat et son équipe jouent à fond la carte de la continuité avec le premier tour de la présidentielle. En argument principal, Sébastien Delogu érige donc le fameux “troisième tour”, formulation de la FI pour tenter de mobiliser l’électorat de la présidentielle jusqu’aux législatives. Et ainsi, se positionner en force de blocage à l’Assemblée, voire, espère Jean-Luc Mélenchon, atteindre le poste de Premier ministre en obtenant la majorité. Concrètement, Jean-Luc Mélenchon ne sera premier ministre qu’en cas de cohabitation et si Emmanuel Macron accepte de le nommer. Mais pour Sébastien Delogu, qu’importe le cadre institutionnel, l’important réside dans la finalité.

“On ne manipule pas les gens, on essaye juste de tout mettre en place pour que le gouvernement change”, justifie-t-il. Dans la 7e circonscription, les militants de la France insoumise sont mobilisés dans un travail de terrain, principalement axé sur les quartiers populaires, là où Mélenchon a fait ses meilleurs scores. “La Busserine, Font-Vert, le Castellas, la Solidarité, Saint-André, Saint-Henri, la Viste, Campagne Lévêque…”, énumèrent les militants autour de Sébastien Delogu qui jurent ne pas avoir chômé ces derniers jours.

Une membre de la FI répartit les tracts dans les boîtes aux lettres d’un hall très dégradé. (Photo : VA)

Vote de “contestation” et d’opposition

L’argument du “troisième tour” est corrélé à celui de l’opposition à Emmanuel Macron. En plus du discours sur les inégalités sociales et la question du pouvoir d’achat, les militants de la Nouvelle union mettent en avant la volonté de rupture avec la mandature précédente. “C’est cela que les gens ont voulu exprimer en votant Mélenchon. Maintenant, ils vont vouloir rattraper le coup. Beaucoup pensent qu’on s’est fait voler”, veut croire Ratiba Sai. Pourtant, sur cette circonscription, en vue du second tour, l’adversaire n’est pas marcheur, mais bien l’extrême droite. “Ici tout le monde critique Saïd Ahamada [député sortant de LREM, ndlr], personne ne le voit jamais, estime Sébastien Delogu. Mais le Rassemblement national est bien implanté. Beaucoup me disent qu’ils veulent faire la révolution avec Marine Le Pen”.

C’est le cas de Kaliaguine Oumarov. Travailleur social et musulman très pratiquant, cet habitant de la Maurelette votera pour l’extrême droite aux législatives. Il ne connait pas le nom du candidat RN, Arezki Selloum, mais revendique un vote de “contestation”. “Ce sont les seuls qui proposent quelque chose en termes de sécurité. Il y a un problème d’immigration, je suis moi-même immigré mais ça ne m’empêche pas de le voir. Les autres, je ne les crois pas sincères”. Le père de famille énumère et cible “le problème d’engagement citoyen, ceux qui ne considèrent pas le pays, qui ne parlent pas français.”

“Qu’est-ce que Mélenchon va pouvoir faire de plus pour nous ?”

Un peu plus loin, Daisy Riposati tente de convaincre une électrice qui a voté Emmanuel Macron à la présidentielle. “Il a aidé financièrement mes enfants qui ont un commerce quand il y avait le Covid, défend Razia Ahmed, qui compte voter aux législatives, mais n’a pas encore arrêté son choix. Qu’est-ce que Mélenchon va pouvoir faire de plus pour nous ? De toute façon, on n’y croit plus.” Daisy, qui sent là une oreille attentive, tente d’entrer dans les détails des législatives : “Nous aussi on n’en peut plus des politiques. Mais là, on ne vote pas pour un président, mais pour un député. Comme Saïd Ahamada qui vous a promis monts et merveilles. Nous, nous voulons créer une instance qui portera les combats des quartiers.” Stoïque, Razia Ahmed s’en va, tract à la main. “Je vais y réfléchir”, lance-t-elle avant de tomber, quelques mètres plus loin, sur le député sortant.

Daisy Riposati, directrice de campagne de Sébastien Delogu tente de convaincre Razia Ahmed, habitante de la Maurelette. Photo : VA

L’enfant de Félix-Pyat est un véritable marcheur, resté fidèle au président de la République, des premiers jours de son mandat jusqu’à aujourd’hui. Il a choisi ces dernières semaines de se faire plus discret que son adversaire de la France insoumise, en tout cas médiatiquement – il a n’a pas répondu aux multiples sollicitations téléphoniques de Marsactu. Dans les allées de la Maurelette, Saïd Ahamada se montre serein. Face à ceux qui l’accusent d’avoir délaissé les quartiers populaires, il avance l’argument du plan Marseille en grand : “Je suis ici pour faire en sorte que les problématiques locales remontent au niveau national, pas pour faire des barbecues, coupe-t-il net. Jamais Marseille n’a été autant citée et autant été une problématique pour le Gouvernement.”

“L’abstention, il y en aura”

Mais les changements impulsés ont-ils réellement eu un impact sur les plus pauvres qui vivent dans sa circonscription ? Le transport, les écoles, le logement sont des domaines difficiles à faire évoluer en cinq ans, défend encore Saïd Ahamada. “L’abstention, il y en aura. Il faut rassurer les gens sur la politique. Mais cette élection reste locale. Il y a eu un vote de contestation, mais il ne sera pas matérialisé par une vague de députés mélenchonistes. Ce vote veut dire que les gens veulent plus de social, et qui mieux que moi porte ces questions à Paris ?”, avance-t-il sans rougir.

À la Maurelette, une riveraine regarde une affiche de Saïd Ahamada, candidat sortant de cette circonscription. (Photo : VA)

Courant après son fils qui découvre les joies de la marche tandis qu’un autre pend à son bras, Sandrine explique ne pas avoir voté pour l’élection présidentielle. Dimanche non plus, elle ne votera pas. “Parce que je ne l’ai jamais fait. Personne ne le fait dans ma famille. Ça ne va pas changer ma vie. Et je n’ai pas la carte”, détaille la jeune mère au foyer, qui attend un troisième enfant. On lui demande ce que lui évoque le rôle du député. Sandrine répond sans détours : “rien“.

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Commentaires

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  1. Danièle Jeammet Danièle Jeammet

    “Delogu qui s’est fait connaître médiatiquement” ! cela veut il dire que sans les médias Delogu serait un illustre inconnu ? ou bien que Delogu n’a jamais participé à un mvt social, ne s’est jamais inscrit dans les luttes sociales .. La gauche médiatique ?

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  2. julijo julijo

    si si c’est une cité “abandonnée” comme beaucoup dans notre ville. tout a été supprimé au fil des années et des choix de l’ancienne nullicipalité -mais pas seulement- qui ne s’est jamais intéressée aux gens sur place. Comme ils avaient/ ont toujours la réputation et l’habitude de voter à gauche gaudin et son équipe ne voulaient pas entendre parler des “quartiers nord”
    alors évidemment des gens, des électeurs y habitent. ce sont plutôt comme dit macron “des gens de peu”, le taux de chômage atteint des sommets. on voit bien là le mépris et l’arrogance de macron.
    alors ils en ont marre se sentent abandonnés et ont suffisamment de galère pour se renfermer sur eux mêmes, puisque personne ne s’intéresse à eux. et après ont vient s’étonner qu’ils ne votent pas, ou qu’ils disent : “ca ne sert à rien” et ils en ont les preuves dans leur vie quotidienne.
    espérons que gauche médiatique ou pas, delogu les séduira, afin qu’ils ne se tirent pas en plus une balle dans le pied.

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  3. José Deulofeu José Deulofeu

    Le problème n’est-il pas de renouveler l’offre? Nous avons en tout cas essayé dans la 3 eme en nous appuyant sur Régions etPeuples Solidaires voyez sur Facebook la page Norabelka2022

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  4. José Deulofeu José Deulofeu

    J’ai justifié la démarche sur mon blog ici même

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  5. Alain PAUL Alain PAUL

    Excellent reportage
    Les quartiers nord ont été abandonnés par Defferre pour cause de communisme, par Gaudin pour cause de ???, à part peut être Vigouroux.
    ça fait plus d’un 1/2 siècle de déshérence pour des quartiers qui sont l’équivalent d’une grande ville française qui mériteraient d”avoir une mairie à part entière
    On comprend les gens
    J’espère que la mairie centrale va s’en préoccuper avec l’aide de l’état (finances, police) et des département/métropole

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  6. jbbron jbbron

    qu’en est il de son assistante parlementaire?

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