Une étude documente la “violence ordinaire” de la pollution industrielle autour de Fos
Dans une nouvelle publication parue ce jeudi, les chercheuses du projet Fos-Epseal décrivent le rapport à la pollution des habitants de la zone industrielle de Fos. Après avoir mis en évidence la prévalence de certaines maladies, elles décrivent le "mépris social" vécu par les riverains et travailleurs de la zone.
Une fumée noire au-dessus de l'usine ArcelorMittal de Fos-sur-Mer. (Photo : VA)
Elles ont déjà fait parler d’elles en 2017 avec un premier rapport. Les chercheuses de l’équipe universitaire Fos-Epseal, jetaient alors un pavé dans l’étang de Berre : à Fos et Port-Saint-Louis, les habitants sont deux fois plus touchés par le cancer, le diabète ou encore l’asthme, alertaient Johanna Lees et Yolaine Ferrier. Sous la direction de Barbara Allen, ces dernières ont réalisé une importante étude interdisciplinaire basée sur une enquête participative pour établir ce constat. Les maladies en question, elles, peuvent aisément être reliée à la pollution industrielle du secteur.
À l’époque, les pouvoirs publics refusent de regarder ces résultats. Mais face à la médiatisation et la prise de conscience citoyenne, l’État finit par se pencher sur la question. Et en tire, pour la première fois, une conclusion qui sonne comme un semblant de reconnaissance de la problématique : la méthode de l’étude Fos-Epseal est critiquable, mais le sens de ses résultats sont préoccupants, déclarent les pouvoirs publics, sans pour autant mettre en place des mesures dignes ce nom pour tenter d’améliorer la situation.
Cinq ans plus tard, les chercheuses de Fos-Epseal reviennent avec un “tome 2”. Cette fois-ci, elles ont délaissé les données quantitatives pour se concentrer sur l’aspect qualitatif des témoignages récoltés. Les conclusions de ce deuxième volet, qui reste le résultat d’une démarche universitaire, prennent presque une forme de pamphlet tant elles décrivent une situation d’injustice. Les populations du pourtour de l’étang de Berre, une des zones les plus industrialisées de France, vivent dans un environnement où la mort et la maladie sont omniprésentes, décrivent-elles. Le tout dans un sentiment d’indifférence quasiment totale et de délaissement de la part des autorités. Marsactu vous livre ici les clefs de ce deuxième opus, scientifique mais aussi politique.
La méthode
L’approche choisie est reconnue aux États-Unis, beaucoup moins en Europe. Elle consiste à placer au centre de l’étude les témoignages des citoyens, plutôt que les analyses de ceux que l’on a l’habitude d’appeler “spécialistes”. Les chercheuses de Fos-Espeal se sont donc concentrées sur le vécu, l’expérience et le ressenti des habitants du pourtour de l’étang de Berre. Basé sur un contrat de confiance, le principe est de les ériger en experts de leur santé – ou plutôt de leurs maladies –, et de la pollution qu’ils vivent au quotidien. On parle “d’épidémiologie populaire”, un mélange de plusieurs disciplines, à savoir l’épidémiologie (l’étude de maladies dans la population), l’anthropologie et la sociologie. “C’est du déclaratif, c’est du sentiment et ce n’est pas de la mesure rationnelle”, disait en 2017 Claude d’Harcourt, alors directeur général de l’agence régionale de santé avant que son institution décide de se pencher plus sérieusement sur les résultats.
De façon plus pragmatique, l’équipe de Fos-Epseal a réalisé du porte-à-porte aléatoirement pour recueillir 1254 témoignages dans les communes de Fos, Port-Saint-Louis et Saint-Martin-de-Crau. Un formulaire était alors présenté, avec comme questions principales “Un médecin ou un professionnel de santé vous a-t-il déjà dit que vous aviez (de l’asthme, une maladie respiratoire, un cancer, une maladie auto-immune, etc)”. Les auteures ont également relevé “des données relatives aux symptômes chroniques tels que maux de tête, irritations des yeux, symptômes nez/gorge, saignements de nez.” Mais les chercheuses ne se sont pas arrêtées là. Pour ce tome 2, elles se sont également appuyées sur des échanges plus ouverts, dont une trentaine d’entretiens et une soixantaine d’ateliers participatifs afin “de saisir le quotidien des habitants pour comprendre leur rapport au monde”.
L’omniprésence de la mort et La “slow violence”
Raffineries de pétrole, aciéries, industries chimiques… L’étude décrit le secteur comme un “front industriel”, où la pollution est complexe et se diffuse dans l’ensemble de l’environnement, voire, du corps. Elle met en avant la place conséquente que prennent la maladie et la mort dans le quotidien des habitants du secteur étudié. Les témoignages recueillis sont frappants. “Ce n’est pas Fos-sur-Mer, c’est Fossuaire”, ironise un habitant de cette commune. “Ici, je vous le dis tout net, c’est un cimetière vivant.”, image une femme de 55 ans atteinte d’un cancer. Quand un habitant de Port-Saint-Louis confie : “à chaque fois, qu’ils lâchent le gaz, les odeurs, je pense qu’on va tous crever avant l’âge légal”.
Les habitants, notent les chercheuses, sont “entourés de malades “ ou “vivent la maladie dans leur quotidien”. “Nombreux sont ceux à qualifier leur territoire de mortuaire. Ils inscrivent bien souvent leur parcours de vie, non sans ironie, dans une « chronique d’une mort annoncée ».”
La mort et la maladie sont ici expérimentées, poursuivent-elles sans détours, “de manière ordinaire, répétée et quasiment certaine et ce, du fait de ce contexte industriel. Cette violence n’est ici ni immédiate ni brutale, bien au contraire, pour reprendre une expression importée d’outre-Atlantique, c’est une « slow violence ».” Une violence, ajoutent-elles, “permanente et distillée, invisible, mais conséquente, non spectaculaire et presque délicate, qui opère.”
La “nécropolitique”
Une fois ce constat glaçant réalisé, le tome 2 de Fos-Epseal pousse l’analyse jusqu’à la question de la prise en compte politique de la problématique. Les chercheuses emploient le thème de “necropolitics”. Par cet anglicisme barbare, elles pointent plus précisément une “politique lente et distillée de la mort. Le « necropower » ne cherche pas à tuer, bien au contraire, il se contente de laisser les populations être exposées à la mort et de les laisser mourir.”
Dans ce climat, travailleurs et population sont soumis à une pollution de l’air toxique dont personne ne connait exactement les effets. Ils constatent par ailleurs que les contrôles par l’État sont jugés insuffisants. Et sont aussi témoins des pratiques de dégazage et de l’état défectueux de certaines installations industrielles. “Les industries, on a l’impression qu’ils font ce qu’ils veulent, le soir, la nuit, par temps de vent, ils jouent avec les contrôles, ils gardent dans leurs stocks, puis ils relâchent tout quand l’été est passé, pour pas que ça puisse être mesuré si ça stagne”, raconte par exemple une Port-Saint-Louisienne trentenaire à l’équipe Fos-Epseal.
Tous ces éléments, recueillis grâce aux témoignages des premiers concernés, font de la zone étudiée, “un laboratoire industriel”, selon les chercheuses qui vont jusqu’à parler d’une “zone d’expérimentation à échelle humaine”.
Un rapport aux dimensions politiques
Inégalités territoriales, souffrance et mépris social sont ainsi les termes qui viennent ponctuer ces conclusions de plusieurs années d’études.“Les quelques années de recherche dans la zone de l’étang de Berre et du golfe de Fos ont permis à l’équipe d’observer les difficultés pour les habitants à faire reconnaître leurs problèmes de santé”, conclut l’équipe de Fos-Epseal. La question de la prise en compte des pouvoirs publics de cette problématique est la raison d’être de cette étude, qui, si elle part d’une démarche universitaire, ne cache pas sa prise de position politique.
“Dans ces circonstances de violences ordinaires — qui n’en sont pas moins grandes —, de souffrances sociales « intolérables », le chercheur qui ambitionne de travailler sur ces territoires ne peut s’abstenir à la fois de « prendre part » et de « prendre sa part »”, concluent les autrices qui prévoient une réunion publique ce jeudi à 18 heures dans la salle du conseil municipal de Fos-sur-Mer. En diffusant ce deuxième rapport, elles mettent une fois de plus sur le devant de la scène ce sujet qui empoisonne le quotidien autour de l’étang de Berre. Comme un ultime cri d’alerte.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
S’il y avait une réelle volonté politique (au sens noble du terme) de connaître l’exact état sanitaire de la zone et son historique, l’Assurance Maladie a tous les éléments chiffrés (récoltés depuis des années et des années) qui permettraient à l’Agence Régionale de Santé de faire vraiment (et aisément) son boulot. Tous les médecins locaux qui ont essayé d’avoir une idée plus globale de la situation locale se sont heurtés à une fin de non-recevoir de l’Assurance Maladie.
Se connecter pour écrire un commentaire.
je suis dans la région depuis une cinquantaine d’années, plus jeune, mes plages préférées dès le printemps, étaient fos, ou le jaï sur l’étang…et je me souviens que déjà, certains jours, pas forcément jour de mistral, les odeurs dans l’atmosphère étaient intenables à fos.
je crois que le volonté politique est plutôt surtout de ne rien faire.
depuis des années la pollution est d’importance, connue, ciblée, et depuis des années les industriels sont capables de la diminuer, mais les coûts seraient d’inportance alors tout le monde, la sécu, l’ars, les politiques, passe à autre chose.
les habitants de ces endroits crèvent en silence, ça ne dérange personne.
il y a réellement volonté de nuire.
merci aux chercheuses de fos-epseal, de produire le enième rapport. ces rapports deviendront sûrement de plus en plus significatifs.
Se connecter pour écrire un commentaire.
J’ai vraiment du mal à saisir comment une étude “d’épidémiologie populaire” soit une méthode valide scientifiquement……
Est-ce qu’une étude a été faite selon la même méthode, sur un autre territoire, pour pouvoir comparer ?
Se connecter pour écrire un commentaire.
Bien sûr que DES études ont été menées au fil des ans, en d’autres parties du monde, avant que la ‘méthode’ ait ‘droit de cité’ à l’échelon universitaire. Après, si l’ARS est opposée à la méthodologie et conteste les conclusions de l’étude, il lui est facile de répondre en fournissant les ‘faits chiffrés’ qui démentent cette ‘sensation’ de malaise.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Comme le remarque très justement Richard Mouren, il suffirait que l’ARS fasse tourner un outil statistique ‘de base’ pour établir que ‘NON, les prescriptions médicales démontrent bien que l’asthme n’est pas plus fréquent dans ce secteur que dans (par exemple) celui de la Sainte-Baume’ – et que ‘les maladies auto-immunes ne sont PAS plus fréquentes que n’importe où’, et que (etc). Les chiffres SONT effectivement recueillis, pourquoi ne pas les communiquer et en faire état ? serait-ce parce que les ‘données chiffrées’ ne contredisent pas les conclusions de l’enquête ‘épidémiologie populaire’ ? c’est ça qui serait fâcheux …
Se connecter pour écrire un commentaire.
“L’épidémiologie populaire” n’est pas une méthode scientifique reconnue car emprunte de nombreux biais (biais de sélection car seules les personnes volontaires répondent, effet nocebo, …).
Elle est en effet née aux États-Unis d’une initiative de citoyens vivant autour d’un site contaminé et cherchant à expliquer l’origine de leucémies infantiles.
Dès qu’on cherche à démontrer le lien de causalité entre deux faits, il faut impérativement utiliser une méthode rigoureuse en se basant sur des données indiscutables.
L’épidémiologie populaire tient plus de l’activisme que de la science.
Je vous encourage la lecture de cet article qui donne quelques notions sur cette “méthode” :
https://www.dicopart.fr/fr/dico/epidemiologie-populaire
Se connecter pour écrire un commentaire.
Certes… Il n’empêche que les données scientifiques et statistiques relatives aux maladies et aux morts liées à la pollution des industries autour de l’étang de Berre restent cachées, secrètes, éparpillées… voir le très pertinent documentaire diffusé en 2019 sur France3 dans la collection Infrarouge « Fos, les révoltés de la pollution ». En 2018, une plainte collective au pénal a été déposée pour mise en danger de la vie d’autrui…
Se connecter pour écrire un commentaire.
Rien de neuf sous le soleil. Scientifique or not scientifique… Ça fait bien marrer ce débat ! Je fais toutes les semaines la route Istres-Port Saint Louis, pas besoin d’avoir inventé la machine à courber les bananes pour comprendre que services de l’Etat, autorités sanitaires et élus locaux bien pourris n’en ont rien à f…. A part empocher le fric.
Se connecter pour écrire un commentaire.