[Nous, la politique] “Yannick Jadot, il est anti-chasse, c’est un extrémiste”

Série
le 1 Avr 2022
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Jusqu'au premier tour de l'élection présidentielle, Marsactu part à la rencontre de citoyens pour sonder leur relation à la politique et aux politiques. Et offre à un groupe de personnes, liées entre elles par un centre d'intérêt, un milieu social, un combat, un lieu de vie... l'occasion de débattre. Cette semaine, on s'assoit à la table de l'association des chasseurs de Fos-sur-Mer.

Christophe Sassarone et Thierry Brian, chasseurs de Fos-sur-Mer. (Photo SL)
Christophe Sassarone et Thierry Brian, chasseurs de Fos-sur-Mer. (Photo SL)

Christophe Sassarone et Thierry Brian, chasseurs de Fos-sur-Mer. (Photo SL)

En empruntant la route des plages de Fos-sur-Mer, les usines fumantes des sites pétrochimiques occupent le paysage. Au bout, un petit front de mer se dévoile où les seules âmes qui passent en cette matinée pluvieuse de fin de mois de mars sont les livreurs des restaurants. Sur l’avenue principale se trouve le bureau de l’association des chasseurs de Fos, où Marsactu a rendez-vous. L’association regroupe 270 adhérents. Ce matin, ils ne sont que deux. Le président Christophe Sassarone et Thierry Brian sont venus parler de l’élection présidentielle à venir. Le troisième invité prévu n’est finalement pas là. “C’est dur de trouver des gens qui acceptent de parler politique !“, reconnaît Christophe. Marsactu a en effet mis plusieurs semaines pour organiser cette rencontre.

Pourtant, à presque une semaine du premier tour, dans cette campagne présidentielle de très faible intensité, la chasse s’est invitée dans les débats. Il faut dire que l’activité regroupe près d’un million d’adeptes en France, selon la fédération nationale. Ce mardi 29 mars le président national de ce groupement, Willy Schraen, a même déclaré son soutien à Emmanuel Macron pour le premier tour. Une annonce “décevante” pour nos interlocuteurs.

Vote anti-Macron

Dans le bureau des chasseurs fosséens, le quinquennat du président n’a pas convaincu. Christophe, professeur de voile, estimait déjà avoir “perdu” l’élection de 2017, sans préciser s’il s’est tourné vers un vote blanc ou la candidate Marine Le Pen. Cette année, quoi qu’il se passe, son vote ira de nouveau dans l’opposition au président sortant : “Je regarde mes intérêts à moi : la retraite à 65 ans ça m’arrange pas et l’inflation non plus“.

Le pouvoir d’achat revient à plusieurs reprises au cours de la discussion. Les deux hommes, la cinquantaine passée, font souvent la comparaison entre les prix d’aujourd’hui et ceux de leur jeunesse. “Les réservoirs de toute la région sont pleins et on augmente le prix du carburant“, grince Thierry, retraité de la mairie de Fos.

On nous prend pour des cons : quand on veut, on peut.

Christophe Sassarone

Les fonctionnaires ont leur point d’indice gelé, les hôpitaux ferment, on réduit la police. Et quand y a le Covid on dit “quoi qu’il en coûte”. On nous prend pour des cons : quand on veut, on peut“, ajoute Christophe. L’éducateur sportif comptait participer à une manifestation des chasseurs à Paris mais “le président de la fédé ne voulait pas. Maintenant on a compris pourquoi“, raille-t-il. Le but ? “Montrer son mécontentement comme les gilets jaunes“. Un mouvement auquel il confie avoir participé lors du premier jour de la mobilisation, en 2018, à Fos-sur-Mer. Mais il n’a pas poursuivi, n’adhérant pas au principe de bloquer la circulation routière.

Thierry, lui, pratique la chasse depuis son enfance et a, un temps, été adhérent au parti Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT). Il ne s’est pas rendu aux urnes depuis environ quinze ans, mais cette année, il ira voter pour empêcher Macron d’être réélu. Ses principales attentes ? “La justice sociale, l’emploi pour les jeunes et l’environnement“, énumère-t-il. À ce stade, il n’a pas choisi de candidat. “Jean Lassalle…“, songe-t-il en rigolant. Pour lui, c’est le seul qui “défend la ruralité“, mais “il n’a pas le niveau” pour être président, regrette-t-il.

Rejet fort des écolos

Les chasseurs déplorent la focalisation des politiques sur leur hobby et affirment que la chasse sera le dernier des critères pour faire leur choix. “Si je veux aller chasser, il me faut d’abord un travail, la santé, la voiture pour y aller et un espace naturel !”, sourit le président de l’association. Pourtant, il a suivi presque tous les discours des candidats invités au congrès de la Fédération nationale, mardi 22 mars. Il se dit “impressionné par la maîtrise du dossier” du candidat d’extrême-droite, Eric Zemmour.

Le candidat d’Europe-écologie-les-verts (EELV) n’a pas été invité à l’évènement, mais Christophe a sur lui un avis tranché : “Yannick Jadot, il est anti-chasse, c’est un extrémiste“. Ce dernier a proposé d’interdire la chasse le dimanche et les vacances scolaires, tout comme Jean-Luc Mélenchon (LFI). Ces annonces suscitent l’incompréhension, voire l’indignation, des deux hommes. “On ne va pas interdire à un propriétaire de faire ce qu’il veut chez lui. Sur les terrains publics, il y a une réglementation pour partager la nature le dimanche“, s’agace-t-il.

La question qui fâche : les décès par balle

À l’évocation des morts du fait de balles perdues, les deux chasseurs arguent que leur nombre diminue d’année en année et que la chasse est davantage encadrée. Ils ressentent une réelle injustice à l’idée de se restreindre à cause de ces “accidents“. “Si on ne régulait pas les sangliers, combien y aurait-il d’accidents de la route ?, questionne Thierry. On découvre qu’il y a des chasseurs en forêt. Mais la tolérance, c’est d’accepter la différence et de partager“.

Serge M., 76 ans, est l’un des adhérents de l’association des chasseurs de Fos. Par l’intermédiaire de Christophe Sassarone, Marsactu l’a joint par téléphone pour récolter une troisième voix. Cet ancien salarié de l’usine Arcelor Mittal, plus gros employeur de la ville et épinglée à plusieurs reprises pour ses rejets polluants, habite à Entressen, un quartier au nord-ouest d’Istres. Sur les décès par balle, il est sur la même ligne que ses confrères : “C’est dramatique et malheureux mais ce sont des accidents au même titre qu’on a des morts au ski.

J’ai l’impression que Marine Le Pen et Eric Zemmour ont une ligne de conduite et qu’ils s’y tiennent.”

Serge

Ce dernier est certain d’aller remplir son “devoir citoyen” le 10 avril prochain, mais il n’a pas encore choisi son camp. Plus radical que ses deux camarades rencontrés au local, il concède qu’il est plutôt “bleu que rouge” et se qualifie de “vieille France“. Pour lui, l’urgence dont devrait s’occuper les politiques, c’est le “problème d’invasion” qu’il voit dans l’immigration. Et à la religion musulmane qui selon lui “absorberait notre espace culturel“. Il confie ne plus se sentir en sécurité dans la ville de Miramas. Le septuagénaire déroule aussi l’idée chère à l’extrême-droite, selon laquelle les immigrés “viennent avec les crocs dehors” pour bénéficier d’aides sociales.

Serge attend de recevoir les professions de foi pour choisir son candidat. “J’ai l’impression que Marine Le Pen et Eric Zemmour ont une ligne de conduite et qu’ils s’y tiennent”, assure-t-il tout en réfutant le terme d'”extrême-droite” à leur endroit.

Au loin de la Grande Plage de Fos, les portes-containers de marchandises se dirigent vers le port. (Photo SL)

La nostalgie d’un village

La saison de chasse s’est terminée le 28 février dernier. La dernière battue des Fosséens s’est déroulée sur le terrain privé d’Arcelor Mittal. L’image d’une tradition rurale à quelques mètres d’un des plus gros producteurs d’acier illustre l’histoire de la ville. Habitants de Fos depuis leur plus jeune âge, Thierry et Christophe ont aussi vu venir s’installer “des Lorrains et des Savoyards” pour travailler dans les usines pétrochimiques. La ville compte aujourd’hui 17 000 habitants. Et si, au niveau local, la mairie a vu repasser les socialistes aux dernières municipales, au second tour de l’élection présidentielle en 2017, les Fosséens ont voté à 60,7% pour Marine Le Pen. Tout au long de la discussion, la nostalgie d’un monde d’antan se dégage. Celle de l’époque où il y avait des “prés partout” : “Avant il n’y avait pas de Carrefour, de Mcdo, de télé. C’était un plaisir d’aller aux champignons et aux asperges“, se remémorent-ils.

Témoins de la transformation de la ville, ils subissent aussi de près les fumées des industriels. Récemment, une de leurs amies est décédée d’une longue maladie et sa fille “enchaîne les cancers“. La pollution atmosphérique à Fos fait d’ailleurs l’objet d’une procédure en justice, ouverte en février 2022. Quand il troque son fusil pour sa canne à pêche, Thierry observe régulièrement des rejets toxiques des usines. Mais le retraité tempère. Il ne veut pas “cracher dans la soupe“. Il est reconnaissant des avantages de la compensation financière liée aux entreprises versée par la municipalité et s’estime “gâté” : ses fils ont pu faire du foot et passer leur permis à moitié prix.

“Les gens qui achètent des tomates en hiver, ça me rend fou !”

Du fléau des déchets qui s’entassent çà et là, la discussion roule alors sur une critique de l’hyperconsommation. “Aujourd’hui on achète à tort et à travers, nos parents, eux, étaient économes, poursuit Thierry. On va pas se mentir, on est trop sur la planète mais personne ne se sacrifie“. Christophe est au diapason : “Les gens qui achètent des tomates en hiver, de la bouffe en barquette et font du vélo électrique, ça me rend fou !

Leur rejet du candidat Jadot ne les empêche pas d’avoir un discours écolo. Les deux chasseurs constatent souvent les bouleversements climatiques et craignent leurs effets. La ville de Fos bénéficie d’un écosystème particulier, partagé entre les étangs et la Méditerranée, là où se nourrissent des oiseaux d’eau comme le canard et la sarcelle, que traquent les deux hommes. Ces espèces vivent dans les zones humides alors ils redoutent la baisse du niveau d’eau, “comme en Camargue“. “Les trous d’eau se referment à cause de la sécheresse et ça devient un nid à sanglier”, explique Thierry Brian qui ajoute : “On aime la nature et surtout on la connaît“.

Paradoxalement, Christophe rappelle que les espèces ont “toujours disparu” et assure “qu’on ne pourra pas sauver la biodiversité“. Serge pose le même argument : “C’est un cycle naturel dont l’homme n’est pas maître“. Les experts de l’évolution du climat démontent pourtant cette thèse dans leur sixième rapport qui tire encore la sonnette d’alarme sur les impacts des activités humaines.

J’ai dit à ma fille “ne te marie pas et ne fait pas d’enfants“, il n’y a pas d’avenir pour elle quand je vois comment ça s’est dégradé.”

Christophe Sassarone

Derrière tous les sujets abordés, l’inquiétude d’une vie plus chère revient souvent. Surtout pour la jeune génération. “J’ai dit à ma fille “ne te marie pas et ne fait pas d’enfants“, il n’y a pas d’avenir pour elle quand je vois comment ça s’est dégradé depuis l’époque de mes parents“, lâche le président de l’association. Au moment de clôturer la discussion, l’appréhension laisse place à la curiosité. Thierry retourne alors la question “Et toi, qu’est-ce que tu penses de la chasse, et pour qui tu vas voter ?

Actualisation le 01/04/22 : ajout de la nuance concernant le vote de Christophe en 2017 + anonymisation d’une source.

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Commentaires

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  1. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    Oui. Article intéressant car il donne sur une conversation longue, la parole aux chasseurs qui ont des opinions politiques, tout de même. Je constate qu’ils oublient que l’extrême droite à souvent bousculée ”la démocratie” dans l’Histoire. De plus je serais bien curieux d’établir un débat entre ”écolos” de droite et chasseurs. Leurs accords seraient certainement utiles pour l’utilité publique. Quand aux écolos de gauche type Mélenchon, c’est une autre histoire dont l’article ne me convainc pas. Tant pis…C’était une occasion manquée…ou réussie!

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  2. Titi du 1-3 Titi du 1-3

    Ma réponse à Thierry : je pense que la chasse est une ignominie et je vais voter Jadot.

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  3. 9zéros 9zéros

    ils boivent toujours de la Kronenbourg? :=)

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    • AlabArque AlabArque

      … ou une ‘bière locale’ ?-)

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  4. Martine Castino Martine Castino

    Très bon article qui aborde la question sans caricature
    Bravo à la journaliste

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  5. A13xandra A13xandra

    À croire que les chasseurs sont des petits anges amoureux de l’environnement dont le seul rôle serait de réguler, ce qui nous protègerait des accidents de voitures, grands seigneurs !
    Les témoignages relayés sur les pages Instagram « un jour un chasseur » ou du naturaliste Pierre Rigaux donnent un aperçu bien plus honnête de ces accidents, qui sont minimisés sous prétexte qu’ils diminuent chaque année, ou de l’attitude belliqueuse et menaçante de certains chasseurs.
    Oui, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, mais actuellement cette communauté fait tout pour minimiser des choses graves commises en son sein, se prétend écologiste (observer les animaux pour mieux le tuer, étonnant cet amour du vivant) et ne fait rien pour s’adapter aux changements de la société. Ce positionnement victimaire et rempli de mensonge qui vise a surtout ne rien changer à la réglementation démontre bien la mentalité conservatrice qui reigne chez les chasseurs.
    D’autre part, parler de Jadot extrémiste et trouver que Zemmour connaît ses dossiers, grosse blague, mais rien d’étonnant.

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  6. Court-Jus Court-Jus

    C’est super intéressant d’avoir cette parole sans filtre et surtout sans caricature. En termes d’écologie, comme d’économie, on voit tous les problèmes générés par les autres et on est volontiers complaisants sur les nôtres.

    “Les gens qui achètent des tomates en hiver, de la bouffe en barquette et font du vélo électrique, ça me rend fou !”. Ça ne va pas les empêcher de rouler en SUV et de manger de la viande ou du poisson d’élevage à tous les repas.
    Dans le même ordre d’idée, c’est l’inquiétude d’une vie plus chère qui prédomine, quelques lignes après avoir dénoncé l’hyperconsommation …

    Le malheur, c’est que si quiconque les mettra devant ces contradictions, devant ces choix à faire, se fera au mieux ignorer, au pire traiter d’extrémiste.

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