Derrière le projet de vente des œuvres de la CCI, l’impossible transfert au musée
L'annonce d'une prochaine vente aux enchères de près de 200 œuvres de la collection de la chambre de commerce a suscité de multiples oppositions, notamment chez les élus locaux. Mais les tentatives de faire vivre ce patrimoine dans des musées publics n'ont pas abouti. La CCI appelle désormais à venir abonder un fonds commun.
L'ancienne salle coloniale du Musée de la marine. (Photo : Valérie Simonet)
La nouvelle a fait un tollé. Dans un article publié la semaine dernière, nos confrères de La Marseillaise révélaient l’intention de la chambre de commerce et d’industrie d’Aix-Marseille Provence, d’organiser une prisée, une estimation des valeurs – puis une vente aux enchères de 187 de ses œuvres. Des objets issus de la collection historique de la chambre, accumulés depuis des années et intrinsèquement liés au patrimoine marseillais. Parmi ces œuvres, entre autres, des tableaux de peintres provençaux tel que Raphaël Ponson, de sculpteurs locaux comme François Girardon ou encore des maquettes de bateaux ancestrales.
Le but de l’opération ? Éviter que ces œuvres ne prennent la poussière, dit en substance la CCI dans un communiqué en réponse à la publication de La Marseillaise. Elle ajoute qu’elle souhaite ainsi “mettre en lumière auprès du plus grand nombre, des collectionneurs publics en passant par les collectionneurs privés et tous les amoureux de Marseille et de la Provence”. Une explication un peu confuse qui n’a pas rassuré les aficionados et professionnels de l’art. Contacté, le président de la CCI Jean-Luc Chauvin n’a pas répondu à Marsactu.
Un inventaire et “plus rien”
Quoi qu’il en soit, sa volonté de vendre une partie des œuvres de la CCI apparaît pour beaucoup comme brutale. Et vient relancer le débat sur l’avenir de ce patrimoine, jusqu’alors dans l’impasse. Ces dernières années, un certain nombre d’acteurs ont en effet été mobilisés pour réaliser une opération qui aurait permis à des œuvres de la CCI de prendre un tout autre chemin. “Nous avions démarré un travail en collaboration avec le Mucem pour sortir des œuvres. Ce travail, qui a commencé après 2013, a été arrêté et cela est navrant”, explique ainsi Jacques Pfister, président de la CCIMP de 2004 à 2016. “Nous avions entrepris un travail d’inventaire, la dernière réunion a eu lieu en 2018. Depuis il ne s’est rien passé”, confirme pour sa part Jean-François Chougnet, directeur du Mucem. À l’époque, rien n’est encore fixé mais les équipes du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée envisagent le transfert d’une partie de cette collection.
“Nous avons suggéré, dans une logique de valorisation, d’effectuer un travail sur la collection d’affiches. Il y avait un autre fonds intéressant, pas énorme mais volumineux de maquettes”, se souvient encore le directeur du Mucem. S’agit-il précisément des œuvres concernées par la prisée et la vente aux enchères que veut organiser la CCI ? En partie, oui, puisque les 187 œuvres désignées sont celles qui se trouvaient au musée de la marine de la CCI, lequel a fermé ses portes en avril 2019 pour être remplacé par une brasserie. On y trouvait notamment des peintures du port de Marseille et surtout de belles maquettes. Selon le directeur du Mucem, elles méritaient d’être valorisées. Dans le musée phare de Marseille, comme dans ceux de la Ville. Le musée d’histoire, par exemple, auraient pu accueillir les objets coloniaux, entre autres.
Le budget pour transférer les collections a “affolé la chambre”
La Ville n’est en effet pas étrangère à la collection de la CCI. Il y a quatre ans, elle était déjà dans la boucle. Aujourd’hui, l’élu à la culture Jean-Marc Coppola, ne peut que faire part de son indignation : “Il faut empêcher cette vente. Ces œuvres ont été acquises par des institutions publiques, les mettre aux enchères signifieraient que les plus fortunés et les plus avertis vont mettre la main dessus.”
Aucune de nos démarches, à notre grand regret, n’a pu aboutir.
Jean-Luc Chauvin, président de la CCI
Mais pourquoi donc, que ce soit vers le Mucem ou vers la Ville, ce transfert n’a pas eu lieu ? Des affaires de gros sous, répond-on en premier lieu. Dans une interview accordée à Destimed, Jean-Luc Chauvin s’explique en longueur : “Aucune de nos démarches, à notre grand regret, n’a pu aboutir. Pour tout dire, seul le Mucem nous a proposé un stockage d’une petite partie de nos collections… pour un montant de plus de 400 000 euros.” Le président de la CCI assure qu’il n’a pas pris la décision de priser pour éventuellement vendre sans concertation : “Rien n’est plus faux. De nombreuses démarches ont été entreprises, notamment auprès du Mucem, des musées de Marseille, des archives départementales pour une valorisation de nos collections”.
De son côté, le directeur du Mucem évoque plutôt le chiffre de 300 000 euros pour récupérer les œuvres : “Il comprenait le conditionnement, la restauration, éventuellement un travail scientifique pour l’attribution des pièces et la numérisation. Ce budget a affolé la chambre.” Un cofinancement semblait pourtant possible. “D’autant que l’on peut mobiliser des fonds du ministère de la Culture, en particulier sur la numérisation des collections”, insiste Jean-François Chougnet.
“Bien sûr, si l’on doit débourser des millions, ça va être compliqué”
Une donnée financière que la Ville garde en tête. “Bien sûr, si l’on doit débourser des millions ça va être compliqué. Mais nous avons contacté la DRAC [direction régionale des affaires culturelles, un service de l’État, ndlr] pour empêcher cette vente”, ajoute Jean-Marc Coppola. Du côté de la Ville, se pose également la question de la surface disponible dans ses musées pour stocker ces œuvres. Jointe par Marsactu, la DRAC n’a pas répondu à nos questions dans les délais impartis à la publication de cet article. C’est pourtant vers cette instance que les regards se tournent désormais, tandis que la CCIAMP, comme toutes les chambres de commerce, se trouve dans une situation financière compliquée.
Autre acteur désormais impliqué, le président du conseil régional Renaud Muselier, a fait connaître sa “stupéfaction” et son “profond désaccord”. Dans un second communiqué, publié après les réactions politiques multiples, où l’on sent poindre l’ironie, la CCI se dit “heureuse de constater l’intérêt de nos collectivités pour nos collections et leur volonté affirmée de participer au financement et à la mise en lumière de notre patrimoine”. Elle annonce la création d’un fonds de dotation pour permettre “aux entreprises marseillaises” mais aussi, donc, “aux collectivités territoriales” de soutenir “la remise en état, la mise en lumière et l’exposition dans un espace digne de ce nom (évalué par certains porteurs de projets à plus de 10 000 mètres carrés)” de la collection. Impossible de dire si la mise aux enchères pourrait ainsi être empêchée. Pour l’heure, les Marseillais attachés à leur patrimoine espèrent qu’une réaction de l’État, dont dépend la CCI, interviendra bientôt. Car déjà, dit-on dans le milieu, la nouvelle de la vente “est arrivée jusqu’à New-York”.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Région, Département, Mucem,Mairie cumulés pourraient faire quelque chose de ce magnifique patrimoine que j’avais plaisir à visiter régulièrement.Se pose la question du J4 ,cela ferait un truc sympa: Mucem,Regards de Provence,Cosquer,St Nicolas,La Major,St Laurent et musée de la Marine dans le même périmètre, alors ce fond au J4 , pourquoi pas.
Ce qui est pitoyable dans cette affaire,c’est quand même la position de Chauvin dont la notion de patrimoine lui est totalement etrangére,mais que pouvons nous attendre d’un agent immobilier marseillais dont la notion de patrimoine ne lui évoque que le mot pognon.
Alors un peu d’ambition,ne restons pas au niveau d’un syndic de copropriété.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Remplacez J4 par J1, l’âge sans doute,
Se connecter pour écrire un commentaire.
Quelle belle et bonne idée !-)
Se connecter pour écrire un commentaire.
Il serait intéressant de connaître le coût de location des bureaux de la tour “La Marseillaise” et de rapprocher ce montant de la vente des Bijoux de Famille mais ne voyez nulle allusion perfide dans nos propos.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Oui mais , la tour de la Marseillaise est un copain de Chuvin , et quand l’on aime ,l’on ne compte pas.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Illustration de la médiocrité des dirigeants locaux prompts à publier des communiqués outrés quand un scandale est dénoncé. Pourquoi tant d’inertie de la part de tant de «responsables »? Et ce fameux musée de la Marine attendu depuis un certain temps pour une ville comme Marseille. Il est vrai que les affairistes de la Chambre de commerce n’ont pas très envie de s’occuper de l’intérêt général présenté par des œuvres culturelles préférant encaisser les subventions publiques et ouvrir une brasserie.
Chauvin et culture ça fait au moins deux. Quant au directeur général de la CCIM une traçabilité de sa carrière serait éclairante : Délégation du service public de l’eau (privatisation) quand il était en poste à la communauté urbaine de Marseille.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Et dire qu’un directeur/rice des musées de Marseille n’a toujours pas été nommé!!! au secours!
Se connecter pour écrire un commentaire.
L’ingénieur Rué doit faire passer les entretiens de recrutement,il n’a pas encore trouvé chaussure à son pied ou bien degun ne veut plus venir vu l’ambiance marseillaise.FO ce qu’il FO
Se connecter pour écrire un commentaire.
Stupéfiant ! patrimoine acquis par l’argent du contribuable, privatisé par le CCI ! C’est vrai que la culture coûte cher, mais le public Marseillais le vaut bien. Monsieur Chauvin expliquez-moi comment une fois la collection (dispersée, ou pas) après une vente aux enchères, pourra être montrée et mise à la disposition du public ? De plus son entretien était de la responsabilité du CCI. Vous montrez que vous n’êtes pas digne de la responsabilité de ce patrimoine. Toutefois, ne laissez pas partir ce patrimoine hors de notre sol. Il existe d’autres possibilités : un Musée de la marine si ce n’est celui de Marseille au moins celui de Paris, le MUCEM, ou l’un des musées marseillais.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Quelle est la légitimité des chambres de commerce et de leurs dirigeants?À part à caser les copains, les enfants de copains et parfois les amis des copains,que font-elles ? ? Aux dernières élections la participation s’est élevée à 4,6 % des électeurs pour la CCi de Marseille .Les taxes prelevées pour les financers seraient mieux employées pour aider les entreprises qui souhaitent relocaliser leur outil de protection en France.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Petit rappel: Patrick Boulanger a été responsable des collections de la CCI durant quelques belles années. Il y a gagné sa place à l’académie de Marseille en bonne compagnie mais cette collection n’est toujours pas inventoriée et ne dispose pas d’instruments de recherche à la hauteur de l’intérêt de la plus ancienne chambre de commerce de France. Enfin, le scénario d’une répartition entre le Mucem (institution d’Etat), le musée d’histoire et les archives départementales n’est pas plus satisfaisant. Cela s’appelle un démembrement. Le mucem qui est un musée à vocation nationale n’est pas le mieux placé pour gérer cette histoire marseillaise tant qu’il n’aura pas valorisé ses propres collections d’ethnographie française. Une dynamique existe entre les projets issus des anciens chantiers du port, les collections de la CCI pour un musée portuaire. Le J 1 ne présente pas toutes les qualités pour accueillir des pièces patrimoniales dans de bonnes conditions, il y fait 60° en été. Le toupet de la CCI est d’avoir créé ce pb en dynamitant un des beau musée de Marseille, accessible à tous, gratuit, riche sur le plan historique, pour ouvrir une brasserie chic. Les collections de la CC i relèvent juridiquement du domaine public voir le précèdent, pour ce qu’il a de différent, de la vente de décors de Martin de la la CCI de Toulon. Pour une fois que cela en vaut la chandelle ou sont les révoltés spontanés de la corderie. Et pendant ce temps la mairie commissionne des bureaux d’étude pour savoir ce qu’ils peuvent faire du fort saint-Nicolas, j’entend d’ici le spectre de Gaudin suggérer un hôtel de luxe ;)…
Se connecter pour écrire un commentaire.