Cinq ans d’hébergement illicite de seniors dans un ex-hangar agricole à Charleval
Réelle alternative à l'Ephad aux yeux de la propriétaire, maison de retraite illégale pour les autorités. Fermée en décembre en raison des conditions d'accueil proposées et de l'absence d'agrément, une "coloc pour séniors" arrive devant le tribunal d'Aix-en-Provence ce mardi. À l'aide de plusieurs témoignages, Marsactu retrace l'histoire de ce lieu.
Dans un ancien hangar agricole étaient aménagées sept chambres accueillant onze résidents, à l'arrière de la maison de la propriétaire. (Photo : C.By.)
Au milieu de cette belle campagne posée au pied du massif du Luberon, la villa avec piscine ne renie pas son passé fermier. Des poules caquètent dans le jardin et des moutons broutent dans un champ voisin. Seul le vaste hangar agricole qui prolonge la bâtisse principale a en partie changé de vocation. Depuis 2016, il accueillait des chambres et des locataires. Le 2 décembre dernier, au matin, cette maison de Charleval voit débouler un imposant cortège : représentants de la sous-préfecture d’Aix-en-Provence, de l’agence régionale de santé et du département, encadrés par gendarmes, pompiers et ambulances, viennent frapper à la porte de la SAS Valérie, “colocation pour séniors”. Dans la musette des autorités : un arrêté préfectoral ordonnant la fermeture des lieux et le relogement immédiat des résidents, dix personnes âgées et un adulte handicapé.
En cause ? La nature et les conditions d’accueil des habitants. “Pour la propriétaire des lieux, c’est une colocation. Pour nous et le département il s’agit d’un accueil illicite de personnes vulnérables à titre onéreux à son domicile. En outre, cet accueil ne respectait pas les règles du code de l’action sociale et des familles. Les personnes n’étaient pas accueillies de manière digne et sécure”, cadrent les services de la sous-préfecture d’Aix-en-Provence. La propriétaire de la maison et responsable de la SAS Valérie, Valérie Del Maschio, est renvoyée devant le tribunal judiciaire d’Aix ce mardi 18 janvier, notamment pour mise en danger d’autrui.
J’aimais mon métier d’aide soignante. Alors avec mon mari on s’est dit : On aménage le hangar et on accueille des personnes âgées.”
La propriétaire
Cheveux tirés en une queue de cheval méchée de blond, ongles fuchsia et tatouages de barbelés et de papillon sur le bras, Valérie Del Maschio dit ne pas comprendre ce qui lui arrive. Attablée dans sa cuisine, la quadragénaire, ancienne aide-soignante dans une maison de retraite, rembobine : “J’aimais mon métier. Alors avec mon mari, on s’est dit : on aménage le hangar et on accueille des personnes âgées.” Depuis 2016, dans ce vaste espace qui garde en partie sa fonction d’entrepôt agricole, sept chambres de tailles variables, offrant ou non une ouverture sur l’extérieur, sont aménagées. Jusqu’à douze personnes y vivent. “Ici ce n’est pas une maison de retraite. Ce ne sont pas des résidents, mais des locataires avec un contrat de bail. Moi, je propose une prestation de service : l’entretien du linge, les repas, le ménage”, synthétise Valérie.
Plainte pour mise en danger d’autruiLe 10 novembre 2018, une résidente de la “coloc” est retrouvée dans le coma par l’infirmier qui la visite chaque matin. La famille dépose plainte. Contactée par Marsactu, cette dernière n’a pas souhaité s’exprimer avant l’audience. Selon l’enquête préliminaire de la compagnie de gendarmerie de Salon que Marsactu a pu consulter, la dame, âgée et dépendante, a été victime d’une “absorption médicamenteuse toxique”. “La structure [d’accueil] n’a pas réalisé de surveillance nécessaire et aucun dispositif d’alerte n’était présent”, pointent les enquêteurs. Valérie Del Maschio rétorque qu’elle n’avait pas en charge le suivi médical de ses colocataires et que chaque famille choisissait un infirmier ou un médecin pour le réaliser. Dans cette affaire, elle est renvoyée devant le tribunal d’Aix ce mardi 18 janvier pour “mise en danger d’autrui” et “accueil habituel à domicile à titre onéreux de personnes âgées malgré refus ou retrait d’agrément”. Pour ce seul dernier chef, elle encourt un emprisonnement de trois mois et une amende de 3750 euros.
Le 2 décembre les services de l’État découvrent une situation qualifiée d’indigne. Yves Wigt, le maire de Charleval se rend sur place dans la matinée : “J’y ai constaté des choses pas acceptables, notamment concernant l’hygiène. Dans l’espace cuisine des résidents, il y avait par exemple une machine à laver avec un gros tas de linge souillé juste à côté du frigo. Il n’y avait qu’un seul sanitaire pour les onze habitants. La salle-de-bains était sale, avec des WC sans lunettes. Et dans les chambres, où il y avait parfois deux ou trois lits pour des espaces petits, il n’y avait pas toujours d’armoire. Parfois, le linge était en tas sur le sol.”
Culture de tubercules
Le maire se dit “soulagé” d’avoir vu le lieu fermer : “Je n’imagine même pas ce qui aurait pu se passer en cas d’incendie.” Mais il bat aussi sa coulpe. Il a accordé au couple un permis de construire. “Oui, mais il s’agissait d’aménager un hangar agricole, car à l’époque ils faisaient du maraichage”, répond Yves Wigt. “Culture de légumes, de melons, de racines et de tubercules”, précise le descriptif des statuts de l’ancienne société déposée par Valérie Del Maschio. La SAS créée en avril 2016 est censée œuvrer dans les activités de soutien aux entreprises.
Dans sa cuisine, la propriétaire s’agace. “Ce n’est pas insalubre, chez moi !” Impossible, malheureusement, de constater la réalité des choses : le jour de la visite de Marsactu, Valérie dit ne pas disposer de la clef qui permet d’accéder aux chambres. Elle renvoie à sa page Facebook où des clichés de la maison sont visibles (voir plus bas). Et ouvre son frigo pour donner un exemple, puisque c’est dans sa propre cuisine qu’elle préparait les repas des résidents. Plaquette de beurre entamée dans son papier doré, plats stockés dans des tupperwares, fruits et légumes non emballés et, côté congélateur, de la viande dans des sachets transparents. Le frigo de monsieur et madame tout le monde, en somme. “On me dit qu’il y a des trucs périmés ou sans date limite dans mon congel’. Mais tout le monde fait ça. On achète les choses, on les congèle et on les ressort plus tard ! Et puis mon mari est chasseur. Alors on stocke la viande dans des sachets sans les dater”, peste la propriétaire.
Risques d’infections alimentaires
La direction départementale de la protection des populations (DDPP) qui assure de la présence de blattes dans la cuisine, dresse un constat forcément plus sec. “Au regard des conditions d’hygiène particulièrement déplorables au sein de l’établissement, une toxi-infection alimentaire pourrait raisonnablement survenir”, écrit-elle dans un arrêté pris avec la préfecture le 3 décembre, qui ordonne à Valérie de cesser toute activité de prestation de restauration.
OK, la cuisine ce n’était pas une cuisine industrielle de cantine. OK, ce lieu n’était peut-être pas parfait. Mais pendant six ans j’y suis allé trois fois par semaine, et ce n’était pas le lieu abominable qu’on décrit dans les rapports.
Didier Chorda, pharmacien
Sur place, les services de l’État font aussi part d’une odeur difficilement supportable. “On sortait à tour de rôle pour respirer un peu”, raconte un membre de la délégation présent le jour de la fermeture. L’odeur ? Didier Chorda veut bien en convenir, elle était prégnante. Alors pharmacien à Sénas, l’homme a fourni pendant six ans “couches, médicaments et matériel médical” aux résidents. C’est aussi, tient-il à préciser, un ami du couple Del Maschio. “Mais cette odeur-là – celle des couches entreposées dans la poubelle de la buanderie – vous l’avez dans toutes les maisons de retraite”, insiste Didier Chorda. “OK, il y aurait dû y avoir un container dédié à l’extérieur. OK, la cuisine ce n’était pas une cuisine industrielle de cantine. OK, ce lieu n’était peut-être pas parfait. Mais pendant six ans, j’y suis allé trois fois par semaine, et ce n’était pas le lieu abominable qu’on décrit dans les rapports.”
Une double procédureDeux procédures judiciaires fusionnées sont engagées à l’encontre de Valérie Del Maschio. “La préfecture intervient après une plainte d’une famille pour une intoxication médicamenteuse. Mais aussi à la suite d’un article 40 (une saisine directe du procureur, ndlr) de la part du conseil départemental des Bouches-du-Rhône pour non-respect d’agrément”, résument les services de la sous-préfecture d’Aix. En 2016, le département constate un accueil illicite de cinq personnes et enjoint la propriétaire de la “coloc” à demander un agrément pour devenir “famille d’accueil” (au maximum trois personnes, selon l’article L441-1 du code de l’action sociale et des familles). Cet agrément lui est refusé en juillet 2017. Elle conteste cette décision devant le tribunal administratif qui rejette sa requête le 3 mars 2020. “Malgré le refus d’agrément, madame Del Maschio a poursuivi l’accueil de personnes âgées ou handicapées adultes à son domicile”, précise le préfet dans son arrêté de fermeture.
Pour autant, nul à Charleval n’ignorait les activités de location de la jeune femme. Un panneau accroché à un cyprès l’annonce à tous dès l’entrée de sa propriété. En six ans, Valérie a accueilli une trentaine de résidents dont ses propres grands-parents. Parmi les autres clients, le grand-père du mari d’Édith (*) a vécu là jusqu’à son décès, il y a trois mois. “Papy, il s’y sentait bien. C’était comme sa deuxième famille. Il s’est endormi là-bas. Ce que fait cette dame, moi je trouve ça honorable. Même si on ne savait pas qu’elle n’avait pas d’agrément”, glisse Édith.
Ça pose la question de l’accueil des personnes du grand-âge qui n’ont en général pas le droit de choisir où elles vont finir leurs jours.
La fille d’une résidente
Anne est sur la même ligne. Elle a placé sa maman chez Valérie au début de l’année 2021. “Je l’ai sortie d’un Ehpad où en six mois sa perte d’autonomie a été effroyable. Elle a très mal vécu l’enfermement lié au Covid. Alors j’ai cherché une coloc, j’étais très séduite par le concept. Je l’ai trouvée sur Leboncoin. Et quand j’ai vu le lieu, la maison, le jardin, les oliviers, j’ai dit : ouah !”, se remémore-t-elle. “On me dit que c’était sale. Mais vous croyez que c’est toujours propre dans un Ehpad ? Quand je passais chez Valérie, en tout cas, maman était toujours nickel.” La fille de cette résidente aimerait que l’affaire ouvre un débat. “Ça pose la question de l’accueil des personnes du grand-âge qui n’ont en général pas le droit de choisir où elles vont finir leurs jours. Entre un Ehpad qui ne satisfait personne et une coloc pas encore légale, il doit y avoir la place pour quelque chose.”
Un représentant des autorités pointe la dualité, plus triviale, des lieux. “J’ai été étudiant, je sais ce qu’est une colocation. Là, cela n’avait rien à voir ! Il y avait un côté luxe pour la famille et un côté bien moins reluisant pour les résidents. Et vu leur état de dépendance, je doute qu’ils allaient à la piscine… Même si, c’est vrai, la propriétaire avait l’air très proche des résidents. Mais elle vivait de la misère humaine qui se passait dans son arrière-boutique.”
Appât du gain
Il y a chez eux un vrai goût de rendre service, mais aussi un goût lucratif indéniable qui a causé leur perte
Un proche
Sur sa page Facebook, Valérie poste des photos de chatons, des recettes de cuisine et des petites annonces, pour trouver un locataire lorsqu’une place se libère. C’est le cas en août dernier. Un petit texte accompagne des clichés du lieu : “Petite nouveauté d’ici 2022, le crédit d’impôt sera remboursé tous les mois, c’est génial !! Du coup il vous en coûtera 1500 euros par mois ! 2000 euros – 500 euros du crédit d’impôt !” Le couple engrangeait chaque mois des sommes substantielles. “Il y a chez eux un vrai goût de rendre service, mais aussi un goût lucratif indéniable qui a causé leur perte”, souffle un proche. Yves Wigt, le maire de Charleval, ne dit pas autre chose : “Valérie, c’est une personne tout à fait normale et gentille. Mais elle a trouvé là un bon filon pour se faire de l’argent facile. Et les familles venaient là parce que c’était moins cher qu’ailleurs.”
La propriétaire en convient. Elle gagnait bien sa vie. “Oui. Je travaille pour l’argent, comme tout le monde. Les gens n’ont qu’à faire pareil. On paye des impôts, on a des frais. Le patron d’un Ehpad, il gagne bien, aussi. Mais lui, il ne voit jamais une personne âgée de sa journée !” Du bout de ses ongles rose, elle tapote sur la table de sa cuisine. La proximité de l’audience la stresse. Elle dit qu’elle va sans doute écoper d’une amende. Mais elle est déjà passée à autre chose : “Si je rouvre et qu’on me ferme dans cinq ans, je ne vois pas l’intérêt.” Valérie change donc de cap. Elle veut reprendre une brasserie.
(*) À sa demande, son prénom a été modifié.
Commentaires
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Avec un pot de fleurs sur la cuisinière elle ne doit pas faire grand chose à manger
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Et un hangar agricole transformé en maison de retraite, et hop ! En droit de l’urbanisme ne faut-il pas des autorisations pour un tel changement d’usage M. le Maire ? Ce n’est-il pas de votre responsabilité et la Mairie ne devrait-elle pas se porter partie civile ?
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Honteux
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