Radio Grenouille, symbole d’une presse culturelle sur un fil
Radio Grenouille souffle 40 bougies, Ventilo en compte 20... La presse culturelle locale reste vive à Marseille, mais bataille toujours pour trouver un modèle économique viable, entre subventions, partenariats et soif d'indépendance.
Radio Grenouille, symbole d’une presse culturelle sur un fil
La régie de radio Grenouille, en pleine Friche la Belle de Mai, semble comme souvent trop petite pour accueillir tous ses visiteurs. Un public particulièrement nombreux et tout sourire : Grenouille fête cette semaine ses 40 ans. Pour l’occasion un marathon de directs qui s’enchaîneront jusqu’à samedi soir, avec une programmation à l’image du parcours de la radio : on y parle musique bien sûr, éducation, écologie et de nombreux partenaires culturels, associatifs et médiatiques auront leur moment au micro.
Si cet anniversaire est un événement, c’est parce que la radio fait depuis de nombreuses années figure de pierre angulaire à Marseille. Rares sont les grands événements ou grands acteurs de la culture qui ne travaillent pas ou n’ont pas travaillé avec Grenouille [lire notre encadré en fin d’article sur nos relations avec le média]. Cette place prépondérante et son modèle économique régulièrement mis à l’épreuve en font une illustration de ce milieu, de ses difficultés et de ses adaptations.
Association fondée dans les années 80, Grenouille a donc vu passer plusieurs révolutions, et tout n’a pas toujours été facile. Jérôme Matéo, directeur des associations à la tête de la radio, est pourtant optimiste : “On vit en moyenne une crise tous les sept ans, puis on a deux trois années où on rame un peu, puis on est en pleine bourre, comme à l’heure actuelle.” Aujourd’hui, les voyants sont plutôt au vert : on prend le temps de penser à rafraîchir l’antenne – “On s’est dit qu’on allait devenir Radio Sénat !”– de se projeter sur des projets différents. Mais il y a à peine 4 ans, Grenouille demandait de l’aide à ses auditeurs avec des campagnes de financement participatif.
Une de ces crises récurrentes. Partie prenante de la radio depuis le début des années 90, en tant que bénévole d’abord, Jérôme en sait quelque chose : “À l’époque, les dirigeants étaient ceux qui avaient fondé la radio, ils étaient bénévoles aussi et voulaient nous faire grimper.” Depuis, les subventions publiques ont baissé, le numérique a pris le pas sur la radio et Marseille et sa culture ont profondément changé, mais le 88.8 FM fait toujours sonner ses jingles atmosphériques. “Notre modèle et ses piliers sont toujours là : on parle de musique et de citoyenneté. On tient principalement par deux axes : d’abord des ateliers taillés pour différents publics, qui donnent des émissions et des productions sonores différentes. Deuxièmement, la radio a élargi ses champs, sur des thèmes comme l’écologie, la jeunesse.”
S’adapter à l’air du temps
Nouvelles thématiques, mais anciennes méthodes ? À l’heure où la production de contenu audio est dominée par les podcasts, la balance de Grenouille penche clairement plus du côté analogique que de celui du numérique. “Les podcasts sont une vraie question, et on y a beaucoup réfléchi. Au final, c’est un peu comme passer à côté du premier album de Hendrix. Même si ça aurait été bien, c’est pas dramatique, le meilleur reste à venir. On n’est pas si nombreux, on doit faire des choix de temps et d’investissement”. Et si l’équipe a engagé une réflexion sur le numérique, elle croit toujours au pouvoir de la diffusion en direct.
Les fonds publics représentaient près de 80 % du budget il y a quelques années, aujourd’hui on est plus proche du 40 %.
Jérôme Matéo, Radio grenouille
À l’image de la Friche la Belle de Mai où elle est implantée, la radio vit aussi beaucoup directement et indirectement d’argent public. Avec comme épouvantail la baisse constante des subventions. Entre suppression des emplois aidés, baisse globale des aides de l’État et le conseil régional PACA qui a décidé en 2018 de ne plus financer les radios associatives, le modèle basé sur l’argent public est donc remis en cause. “Comme tout le monde, on a dû s’adapter. On a complètement renversé le ratio subventions/partenariats. Les fonds publics qui représentaient près de 80 % du budget il y a quelques années, aujourd’hui on est plus proche du 40 %”, détaille Jérôme Matéo.
Un peu de sub, un peu de pub
Parmi les nombreux invités de cette semaine anniversaire, des “compagnons”, le mot qui revient dans les bureaux de la radio. Ventilo, journal bimensuel gratuit culturel de Marseille, fête par la même occasion ses 20 ans. 20 ans d’agendas, de rédaction, et d’un modèle économique simple, basé sur la publicité locale. Damien Boeuf, président, explique : “On travaillait avec une régie publicitaire nationale qui a fait faillite et depuis ce sont les acteurs culturels locaux qui ont pris le relais”*.
Pour financer un média culturel, la méthode semble donc être là : un équilibre de subventions et de partenariats. Ces derniers couvrent un champ assez large, publicitaire et relationnel. Des arrangements divers : pour Ventilo c’est souvent un échange de visibilité, avec un rabais sur la pub lorsque le festival affiche le logo du journal dans ses propres supports de communication. Pour Grenouille, ça va du plateau en direct payant pour une institution, un festival – comme par exemple avec le FID Marseille -, à la coproduction d’événements.
Garder un regard indépendant malgré tout
Deux sources de revenus qui soulèvent une question : comment gérer son indépendance d’esprit dans ces relations de partenariat ? Le cas se présente régulièrement, comme lorsque Ventilo écrivait des éditos critiques vis-à-vis de l’ancienne municipalité : “On soulevait des questions, comme tout le monde, sur la gestion de la ville. Au bout d’un moment, on a eu un coup de fil de la mairie, qui nous prenait de la pub sur ses événements, et qui nous a dit tout simplement qu’on n’aurait plus rien. Même si on avait su en avance, on l’aurait quand même fait”. Il pointe aussi le risque incarné par la “culture des réseaux sociaux” où “l’achat de pub est un achat d’article”. Mais, assure-t-il : “De notre côté, ça ne changera rien. On couvre un événement parce qu’on veut le couvrir et comme on veut le couvrir, pas parce qu’on nous a acheté de la publicité”.
Éditorialement, on peut casser un événement qui est partenaire, ça ne change rien.
Ludovic Thomas, journaliste à Zibeline
Autre acteur de la presse culturelle, Zibeline est lui un mensuel payant, qui couvre et se diffuse sur toute la région PACA, et même un peu plus loin. Ludovic Thomas, journaliste et éditorialiste, décrit le magazine : “Nous voulons être un journal papier qui donne une place importante à la critique culturelle au sens large. Ça nous semble important que ce soit pour le public ou pour les acteurs culturels eux-mêmes que ça existe”. En plus des abonnements, le journal perçoit des revenus publicitaires et des subventions diverses. Sans que la ligne ne soit influencée d’après lui : “Éditorialement, on peut casser un événement qui est partenaire, ça ne change rien. On est stables à l’heure actuelle, sans être riche, et je pense qu’on ne le sera jamais. Mais ça nous permet de couvrir une actualité culturelle largement, parce que la culture dépasse le simple divertissement.”
La question des partenaires se pose aussi inévitablement chez Grenouille, et Jérôme Matéo concède : “Il nous faut parfois gérer certaines sensibilités, avec des résidents notamment, puisque notre action se croise parfois avec celle des politiques publiques. Nous ne sommes pas des béni-oui-oui, mais à la base, si un événement n’a pas de résonance avec l’équipe, on n’en parle pas. Et même quand on met les choses sur le tapis, notre rôle n’est pas l’investigation.” Les acteurs de la culture et de l’événementiel, qui représentent une bonne partie de l’activité de la radio, sont une source de revenus et de visibilité importante pour la radio, une des activités qui tombent sous ce mot chapeau de “partenariat”. “On s’est vraiment éloignés d’une couverture promotionnelle des événements, tient à préciser Jérôme Matéo. Aujourd’hui, on propose plutôt de la création de contenu en commun, qui eux-mêmes trouvent des financements.” Des coproductions plutôt que de la publicité, avec des contenus réfléchis et écrits et diffusés avec les partenaires.
Ouvrir le micro à une nouvelle génération
“À 40 ans de plus !” En attendant on trinque devant les bureaux de radio Grenouille. Qui n’a pas fini de se creuser la tête, “Il y a de nombreuses questions, comme la diversité, on n’est pas encore au top dans la culture à Marseille, souligne Jérôme Matéo. On essaye de donner la place à la jeunesse : pour les historiques comme moi la question s’est posée de notre légitimité à toujours garder la tête de cette aventure. Il y a sept ans, on s’est dits qu’en période de crise, ce n’était pas le moment de partir. Pour l’instant, on profite un peu des fruits de notre travail.”
La jeunesse commence à se faire une place, avec un nouveau recrutement en interne et de nouvelles arrivées à l’antenne. Parmi eux la Stud, jeune média indépendant qui a une émission régulière sur Grenouille. Aujourd’hui, c’est un site internet alimenté par des bénévoles qui ont pour volonté d’être un média musical indépendant. Marty Oddes, son président, l’a fondé après son bac en 2015, et s’il a une vision, il est conscient des enjeux. “À terme, on aimerait tous ne faire que ça, mais on n’a aucune envie d’être dépendant de qui que ce soit. On ne fera jamais de promo payante, et on voit que la formule de l’argent public a vieilli. Du coup, on n’a pas encore les solutions.”
*Actualisation le 11/10/21 à 12 H 00 : modification de la citation à la demande de l’intéressé, avec précision sur la faillite de la régie publicitaire.
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Il faut écouter les “sons” de Radio Grenouille entre 2 (très bons) morceaux de musique, ça débouche souvent les oreilles ! Par ex : “à Marseille, pour dire du pain, on dit du peîîîn / et pour dire Tais toi, on dit TU LA FERMES TA GUEULE ESPECE DE + suite de gros mots…” Il y en a de toutes sortes, des bouts de films, de terribles accents italiens, vietnamiens, etc. Et lorsqu’ils appellent à l’aide, si on peut faire un chèque, on le fait parce que la radio sans les 3×8 ça serait un crève coeur !
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