[Au fond des filets] En mer avec les derniers tenants d’une pêche artisanale
Au petit jour, Georges annonce les poissons qui apparaissent à mesure que le filet remonte. Photo : SL
Une douce quiétude règne sur le port de la Madrague de Montredon. À 4 h 45, seule une lumière parvient du cabanon des pêcheurs. Georges Cuias et Jean-Jacques Padovani partent tirer leur filet de pêche à bord de Santa, leur bateau de onze mètres de long. Ils sont tous les deux des pêcheurs dits de petit métier, ceux qui pratiquent une pêche artisanale, pas très loin de la côte, avec des bateaux de faible tonnage. Le port de la Madrague en compte treize. Si ces “gens de mer”, comme ils aiment s’appeler, ont tous un parcours de passionnés, leur nombre diminue depuis une dizaine d’années.
À bord, chacun est à sa place : Georges pilote et Jean-Jacques gère le filet. Ils se sont associés en 2013. Tous les deux sont habillés d’une salopette et de manchons en toile cirée puis de gants pour se protéger “de toute la carnasse”, ce dépôt visqueux et marron des fonds marins que ramène le filet.
En quête de liberté
Après trente minutes de navigation, le bateau s’arrête près de l’île du Frioul. Jean-Jacques attrape le drapeau accroché à un bois où est notée l’immatriculation du bateau, puis le passe dans le treuil jusque dans la cale à filet. Des gestes automatiques qu’il a répétés depuis son adolescence, il y a plus de quarante ans.
Jean-Jacques est peu loquace mais sait pertinemment pourquoi il est là. Casquette sur la tête et cigarette en bouche, il sourit : “C’est pas le plus beau bureau du monde ? Moi j’ai jamais eu l’impression de travailler.” Comme beaucoup d’autres pêcheurs il a choisi ce métier pour “la liberté !” Une liberté tout de même limitée par les caprices de la météo : s’il y a trop de mistral, le travail est plus difficile et la pêche n’est pas bonne. “Nous on prend des vacances quand il y a mauvais temps, mais si on voit pas la mer pendant une semaine, on se sent mal“, reconnaît Georges.
J’ai jamais eu l’impression de travailler !
Jean-Jacques
“Pageot, deux“, annonce-t-il, pendant que Jean-Jacques s’occupe de détacher les poissons et de placer le filet dans la cale, pour que les mailles ne s’entremêlent pas. Deux heures seront nécessaires pour remonter les deux kilomètres de longueur. Maquereaux, pageots, sévereaux, rougets… Au milieu des poissons il faut aussi enlever les pierres, les déchets et même un serpent de mer qui s’y est coincé. Alors que le soleil commence à se lever, on aperçoit les premiers bateaux venus de Corse.
Menacés par la crise climatique
Ce matin la pêche n’est pas excellente et ne couvrira pas les frais de gasoil et les charges sociales. “Les poissons sont encore vivants, on a levé trop tôt“, estime Georges. Par leur expérience d’une vie passée en mer, les pêcheurs confirment tous les deux un constat établi depuis longtemps : les poissons sont surexploités en Méditerranée et les prélèvements dépassent la capacité de reproduction des espèces.”On est pas des cultivateurs nous, on met pas des graines. On prélève seulement.” Dans la matinée, deux dauphins nagent non loin du Santa. “Ils n’ont rien à faire là, maugrée Georges. Ils viennent manger dans le filet parce qu’il n’y a plus rien au large.”
Pour lui, depuis qu’un quota de pêche est imposé sur les thons rouges, il y a moins de poissons. “Les thons rouges mangent tout ! Il n’y a plus de sardines qui sont la base de la chaîne alimentaire en mer“. Et comme d’autres pêcheurs de la Madrague, il mentionne le déversoir des eaux usées de l’anse de Cortiou quand il parle de la pollution.
7 h 30, une fois la récolte terminée, direction la Côte Bleue. Les deux associés espèrent y pêcher des rougets, un des poissons les plus rentables. Pour caler le filet, Jean-Jacques installe deux cylindres en plastique au-dessus de la cale, puis active le moteur. C’est le moment le plus délicat où le pêcheur doit veiller à ce que le filet ne s’emmêle pas et à ne pas se coincer le bras dedans.
Un métier vieillissant
En ayant quitté l’école à l’âge de 11 ans pour monter sur les bateaux, Georges observe d’un œil sceptique l’évolution du métier. Patron à 19 ans, il a travaillé pendant quarante ans à Port-de-Bouc. “À l’époque on était quatre à travailler sur le Santa, on se levait à deux heures du matin pour aller caler.” Comme lui, tous les autres pêcheurs se sont formés sur le tas, en allant pêcher. Aujourd’hui, des bacs professionnels et des BTS sont nécessaires. Et les pêcheurs ne peuvent plus emmener des personnes non qualifiées en mer, sous peine d’amende. Une aberration pour Georges. “C’est trop dur pour se lancer aujourd’hui. Le permis coûte un bras, il y a trop de restrictions et trop de papiers à remplir pour déclarer les poissons. Pour un jeune qui veut acheter une maison et une belle voiture, c’est plus possible.”
Une fois les poissons triés par espèces dans des caisses, le Santa se dirige vers le marché du Vieux-Port où une amie des deux associés vend leurs poissons. C’est l’occasion pour les pêcheurs de saluer leurs confrères, peu nombreux. “Il y avait plein de pêcheurs avant, maintenant y a plus personne”, regrette Georges. Un document de 2016 de la direction interrégionale de la mer Méditerranée sur l’état du littoral d’Argelès-sur-Mer à Menton confirme ce constat. Il indique que depuis les années 1990, “la flotte des 12-18 mètres a perdu près de la moitié de ses navires”.
Sur le chemin du retour, Georges tient à préciser : “On n’est pas malheureux nous”. Ce passionné refuse de se plaindre mais n’a que peu d’espoir dans l’avenir de ce métier qui n’attire plus.
Commentaires
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Treize bateaux de pêche à la Madrague ? des bateaux, oui, mais des rôles déclarés, il se dit qu’il n’y en a que quatre.
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Les quotas sur le thon responsables en partie de la disparition des poissons côtiers ?
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