Jeudi 5 août 2021
Carton bleu
La France ne battra pas son record de médailles, mais qu’importe : elle est en passe de faire une razzia sur les podiums des sports collectifs. C’est le fruit d’une longue évolution, et cela entretient la perspective d’un recrutement plus large chez les jeunes.
La caisse de résonance médiatique a changé de rythme. Au lieu de déplorer l’accumulation des déceptions dans les aventures olympiques individuelles, elle salue les succès des sélections françaises dans les sports collectifs. La trilogie BHV, pour basket-hand-volley, ainsi surnommée par le quotidien ‘L’Equipe » depuis les années 1950, va alimenter les colonnes en abondance. Les sélections masculines se sont toutes qualifiées pour la finale de leur tournoi olympique, et les filles du basket et du hand ont déjà réussi leur parcours, même si elles n’y parvenaient pas à leur tour.
Ainsi les échecs des concurrents français engagés en cyclisme sur piste, en natation eau libre, en escalade, en skate board ne seront pas ressassés ad nauseam, puisque les médias peuvent entonner les fanfares autour des parquets.
Les deux sports principaux du programme olympique, la natation et l’athlétisme, n’apportent plus guère de satisfactions à la délégation française, et il semble que cela soit une tendance durable, jusqu’aux Jeux de Paris et au-delà. Il est désolant de constater que des points forts traditionnels (la perche, les courses d’obstacles, les relais) sont progressivement abandonnés par les talents qui se cherchent. Pire, que le capital d’expérience acquis au fil des décennies est en train de s’évanouir.
Parmi les pourvoyeurs habituels de succès, le cyclisme est en crise, parce que les dirigeants n’ont pas su élargir le champ de leur prospection et garantir un confort minimum à leurs représentants. Alors que, par exemple, les Néerlandais, les Australiens et les Néo-Zélandais y sont bien arrivés. L’équitation et l’escrime font le job, mais ce ne sont pas des sports de nature à faire rêver tous les gamins du monde. Dans les nouvelles disciplines, la France ne s’est installée en grande puissance qu’en judo. Mais la concurrence va devenir de plus en plus sévère…
Les sports collectifs apportent moins de médailles, c’est entendu, mais l’empreinte des succès obtenus sera durable, et profitable, aux yeux de l’opinion publique sur la Terre entière.
Le basket avait obtenu deux succès ponctuels aux JO de 1948 et de 1980, parvenant à qualifier la sélection masculine pour la finale… et deux raclées infligées par les Etats-Unis.
Mais c’est le handball qui a amorcé le mouvement actuel vers les sommets, avec une première médaille de bronze aux JO de Barcelone en 1992. Depuis l’arrivée du sport dans le programme, seules l’Allemagne et la Corée du Sud étaient parvenues à se faire une petite place sur le podium, domaine réservé aux pays d’Europe de l’Est. Depuis Pékin, en 2008, la France est toujours en finale, et s’y est imposée deux fois déjà.
Les meilleurs joueurs, formés au pays, ne sont plus contraints de s’exiler, en Allemagne par exemple, pour gagner leur vie. Les clubs français, devenus prospères pour certains, sont maintenant capables de recruter parmi les meilleurs étrangers. Le niveau du championnat a monté, la satisfaction du public et le nombre des licences également.
Les progrès sont plus lents, mais tout aussi réels chez les féminines, qui étaient elles aussi en finale à Rio.
Pour le basket, les raisons de l’embellie sont un peu différentes. La base des joueurs et des clubs formateurs est assez large depuis longtemps déjà, notamment quand il s’agissait du sport favori des “patronages” religieux. Le recrutement des joueurs les plus brillants par le championnat professionnel américain de NBA a fait passer un cap décisif à la sélection. Tony Parker, meilleur joueur français de l’histoire, a montré l’exemple en participant à chaque fois aux compétitions internationales, qui s’ajoutaient pourtant aux fatigues de saisons harassantes.
Là encore, les féminines ont suivi la même piste : les meilleures joueuses vont s’endurcir dans les championnats étrangers les plus lucratifs et reviennent au pays partager leur expérience. La sélection tourne autour d’un titre majeur depuis longtemps, l’heure sonnera peut-être à Tokyo.
Ces résultats n’auraient pas été envisageables sans le travail des formateurs, qui sont d’excellente qualité en France (comme pour le football), et sans le talent des managers, souvent maintenus à leur poste même quand les vents sont contraires. Eux aussi ont progressé en même temps que leurs joueurs.
Le volley semblait avoir pris du retard dans son allumage vers la stratosphère, mais la progression des clubs dans les compétitions européennes est remarquable. Là encore, les meilleurs joueurs s’aguerrissent à l’étranger, mais n’abandonnent pas la sélection pour autant. Un déclic s’est produit à Tokyo, où chaque international prend sa part du succès au lieu d’attendre le signal venu du leader de l’équipe, Earvin Ngapeth. Dans ce nouveau cadre, ses sautes de rendement sont devenues moins pénalisantes, alors que ses coups de génie sont d’autant plus décisifs.
Le résultat à long terme de cette embellie collective est inappréciable mais forcément profitable pour la jeunesse de notre pays. Si on y ajoute les premiers lauriers du basket 3 x 3 et du rugby à VII, les enfants tentés de découvrir un sport, d’y exprimer leur personnalité, d’y rencontrer de nouveaux amis et même de rêver d’une carrière disposent désormais d’un choix très large, qui sera d’autant plus valorisé dans trois ans à Paris.
Bien sûr, il y aura toujours des tempéraments solitaires, qui ne voudront pas que leur succès ou leur échec dépende d’un coéquipier, ou d’une structure fédérale. C’est normal et respectable. Mais la lumière des projecteurs est bien difficile à capter. Si on n’a pas gagné, la tendance est à expliquer l’échec par une kyrielle de problèmes. Mais pas par la qualité de la concurrence, qui ne semble pas disposer des magasins où s’achètent les soucis.
Les individualités n’ont pas obtenu de meilleurs résultats dans les disciplines nouvelles du programme olympique. Sauf pour le karaté, et la médaille d’or de Steven Da Costa. Pas de bol: la discipline va aussitôt disparaître dans le menu des JO, et ne sera pas à Paris. Comme on ne veut pas fâcher des interlocuteurs inquiétants, on ne dira pas ici si on préfère le karaté ou le taekwondo. Les dirigeants de ces disciplines plus martiales qu’artistiques devraient prêter le matériel sophistiqué qui sert à départager les combattants à leurs homologues de la boxe, où certains arbitres comptent encore les points sur leurs doigts, sans retirer les gants.
On ne sait pas bien s’il faut ranger la médaille d’argent de Kevin Mayer au décathlon au rayon des échecs ou à celui des réussites. Il n’a pas l’air de bien le savoir lui-même. Il nous semble qu’il laisse beaucoup trop de gomme dans l’expression de ses joies et tourments successifs, malgré sa conviction qu’aucun autre fonctionnement ne lui conviendrait. Une lichette de traitement anti-inflammatoire éviterait à son moral de passer en permanence des sommets aux abysses, alors que ses dons et la qualité de sa préparation ne sont pas contestables.
Dans trois ans, s’il s’imposait enfin à Paris, il deviendrait l’icône du décathlon et de l’athlétisme français. Mais au fond de lui, souhaite-t-il vraiment abandonner sa vie de vagabond des stades ?
La pression qui s’exerce sur les champions est de plus en plus inhumaine, Jeux après Jeux. L’admiration qu’on éprouve pour Tony Estanguet, trois fois champion olympique lors de quatre éditions des JO, grandit encore au fil du temps. Être exact au rendez-vous de disciplines aussi imprévisibles n’est autorisé qu’à une poignée d’êtres humains.
VIGNETTES
¤ La Chine écrase le classement des médailles et des titres. Et encore, certains voudraient y ajouter le palmarès obtenu par Hong-Kong (5 médailles dont un titre) et surtout Taïwan (ou Formose, ou Chinese Taipeh, comme on voudra), qui a remporté deux titres et onze médailles, pour le moment. Quand le monde entier sera chinois, au moins il n’y aura plus de classement des médailles.
¤ Mal partie dans le concours de l’heptathlon, la Belge Nafissatou Thiam s’est imposée au finish pour rééditer son titre de Rio. Un exemple à méditer.
¤ Les qualités de la piste et des nouvelles chaussures n’ont pas disparu, mais les records se sont fait oublier au 110 m haies, au 400 m et au triple saut masculins. Ce n’est pas bien grave, les compétitions sont superbes, notamment la perche féminine avec quatre concurrentes à 4 m 80 et plus.
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