Georgette T. et Chadi Y., marchands de sommeil ordinaires face à la justice
Le parquet de Marseille promettait une "audience dédiée" symbolique du combat judiciaire contre l'habitat indigne. Au bout de quelques couacs de procédure, seules deux affaires racontent les sales petites affaires de propriétaires indélicats.
Chadi Y., propriétaire d'un immeuble rue Saint-Pierre, a assuré que son immeuble était "refait à neuf". (Dessin Ben8)
La promesse était celle d’une “audience dédiée” à l’habitat indigne. Six dossiers qui méritaient bien un dossier de presse pour dire l’effort fait par le parquet de Marseille dans la lutte menée depuis les effondrements du 5 novembre 2018. Il y a l’intention et la réalité du tribunal : un dossier jamais arrivé jusqu’à la présidente, l’avocat d’un prévenu retenu aux assises, des parties civiles convoquées trois jours avant l’audience… De renvoi en renvoi, il ne reste plus que deux histoires qui touchent la barre du tribunal ce lundi 21 juin.
Georgette T. se présente en clopinant. Elle s’aide d’une béquille et ne peut se tenir face au tribunal. Elle comparaît assise, parle d’une petite voix matinée de l’accent de son Cameroun natal. La présidente Céline Ballerini doit sans cesse répéter ses phrases pour que la greffière puisse noter ses réponses. Il lui est reprochée d’avoir mis en danger “par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence” ses deux locataires et un voisin, partie civile.
Versements de la CAF et petits bricolages maison
Georgette T. n’a pas de métier, elle gère avec l’argent que lui donne son mari des biens qu’elle met en location, comme ces deux appartements, sis au 5 rue Caussemille (3e). Le 22 novembre 2018, les marins-pompiers y interviennent en urgence. En cette sombre et pluvieuse période, ils passent leur temps à procéder à des évacuations. On croise des gens avec des valises, hagards, les hôtels se remplissent.
Dans cet immeuble défraîchi, les désordres sont plus frappants qu’ailleurs : l’immeuble est instable, ça lézarde de l’extérieur. À l’intérieur, c’est pire, le plancher du 1er penche de 15 centimètres. Dans la salle de bain, il s’est effondré laissant passer “le bloc sanitaire”, désormais visible à travers le plafond du hall.
Georgette T. a acheté ses lots en 2007. “Mon mari m’avait donné l’argent”, explique-t-elle. Elle a acheté “à un notaire pour mettre en location”. Le T1 payé 19 000 euros lui rapporte 390 euros de loyer dont 270 euros payés directement par la CAF. Le T3 d’à côté accueille une famille avec trois enfants, qui verse 460 euros à la propriétaire indélicate. Elle gère tout depuis Paris avec son mari bricolo. Monsieur travaille chez Thalès, mais n’hésite pas à jouer les gacha empega. C’est ce qu’il fait dans les toilettes de son locataire, Ali B.
Un “petit trou” et “des poutres imbibées”
Il a réparé “un petit trou” et remis un joint au siphon du lavabo, “parce que les locataires oublient toujours de le remettre”. Céline Ballerini fronce un sourcil : “Les poutres étaient imbibées d’eau au point de céder.” “Mais on ne pouvait pas le voir. On a réparé un petit trou”, essaie encore Georgette T. qui dit se sentir “responsable” mais ne savait pas qu’elle l’était. Elle présente des factures aux faibles montants. Elle n’a pas prévenu son assurance. Elle ne payait plus depuis plusieurs années les charges de copropriété au point que ses voisins ont dû faire appel à un huissier pour recouvrer les sommes nécessaires aux travaux. Même les impôts fonciers n’étaient pas acquittés lorsque les appartements n’étaient pas occupés.
Georgette T. avait déjà été condamnée en 2017 pour une affaire similaire à Bobigny.
Ce n’est pas la première fois que Georgette T. est devant un tribunal. Elle a été condamnée “deux fois” à huit mois avec sursis en mars 2017 : refus de relogement, mise en danger d’autrui et infraction aux règles d’urbanisme. Les faits se sont déroulés à Bobigny, en région parisienne. Là-bas, les marchands de sommeil pratiquent la division pavillonnaire. On prend une maison de lotissement et on la coupe en deux. “L’agent immobilier nous avait assuré que c’était légal”, répond la propriétaire.
Même prononcés à mi-voix, ces arguments ne convainquent pas. “C’est un dossier typique de l’indécence, assène Guillaume Bricier, représentant du parquet, dans son court réquisitoire. Un effondrement de plancher cela peut entraîner de graves blessures, voire la mort”. Il demande donc au tribunal de la condamner à six mois de prison ferme assortis de 10 000 euros d’amende avec possible révocation de ses deux sursis. En défense, Charlotte Martin avance de pauvres arguments pour plaider la relaxe, si ce n’est de ne pas faire de Georgette T., “un symbole”.
Avant la rue d’Aubagne
Les mots sont les mêmes, un peu plus tard dans l’après-midi dans la bouche de l’avocat de Chadi Y. On lui reproche la même mise en danger d’autrui, assortie de la dégradation de bien appartenant à autrui, la dégradation ou la destruction de bien sous arrêté de péril et le refus de reloger ou d’héberger l’occupant d’un arrêté de péril.
L’affaire débute le 29 octobre 2018. Depuis des jours, il pleut sur la ville. Au 44, rue Saint-Pierre, une poutre cède, le toit s’effondre sur le troisième étage et les quatre locataires sont évacués. Quelques jours plus tard, une histoire par trop similaire fera huit morts rue d’Aubagne. Pour ces locataires du 44, rue Saint-Pierre, commencent des mois de galère entre relogement improbable et destruction de leurs biens, restés dans les appartements fermés, comme l’avait relaté La Marseillaise à l’époque.
Petit homme à la voix douce, Chadi Y. répond posément. Cet ostéopathe de métier a longuement préparé sa défense, a convoqué des témoins qui ne pourront pas prêter serment puisqu’ils ont tous travaillé pour lui. Gros propriétaire, il a acheté cet immeuble “refait à neuf” en 2012 pour 500 000 euros. Il assure de sa bonne tenue. Pour lui, tout bascule ce soir d’octobre par un coup du sort climatique. Comme le dit son avocat, Christophe Jervolino, une tempête balaie la France et une poutre rompt alors que rien ne l’explique.
“Un cache-misère”
Les locataires de Chadi n’ont pas la même lecture de l’histoire. Les uns après les autres, ils témoignent d’eau qui dégouline à tous les étages à chaque précipitation. De murs couverts de moisissures, de puces, punaises… “Un cache-misère”, décrit Mélinda qui habitait sous les toits. “Pas de chauffage“, dira Hanane. “Du plâtre tombait du toit, les fils électriques pendaient”, complète Christine. Des témoignages en pagaille, mais pas de preuves formelles de cette insalubrité préalable.
Si ce n’est que quelques jours avant le drame, le propriétaire remet leur congé à ses locataires. Dans ce courriel, il mentionne des problèmes de structure, d’électricité, de mise aux normes qui nécessitent des travaux. “J’ai juste repris une lettre type, sur un site spécialisé”, argue-t-il. “Mais c’est vous qui ajoutez les motifs, il y a même un décalage de police qui le laisse voir”, contre la présidente. Chadi campe sur sa position : l’immeuble était sain. Il avait même fait venir un artisan peu de temps avant, pour qui tout était nickel. Problème, la facture est introuvable et le propriétaire n’a pas pensé lui demander une attestation.
Le parquet souhaite “punir un comportement délinquant”
Et puis il y a Omar, “agent immobilier” sans carte, ni patente. Il sert d’intermédiaire, trouve des locataires qui doivent lui remettre 1850 euros en liquide, versé au propriétaire, dans la rue, non loin de l’hôpital où il travaille. De temps en temps, il intervient aussi pour des loyers impayés, mais ne touche pas aux travaux. Lors de son audition, il dira de Chadi Y. qu’il est un “marchand de sommeil” qui acquiert volontairement “des immeubles en mauvais état”.
ces locataires qui n’ont pas voulu se laisser faire et pour qui le courage a été contagieux.
Aurélien Leroux, avocat des parties civiles
Le tribunal se penche ensuite sur les infractions ayant eu lieu après l’arrêté de péril. La jeune Mélinda est relogée chez un marchand de sommeil du 15e. Son propriétaire paie deux mois d’avance, mais un des chèques est en bois. Quand la jeune femme cherche à s’échapper, Chadi Y. refuse de prendre en charge son relogement. Pour “ces locataires qui n’ont pas voulu se laisser faire et pour qui le courage a été contagieux”, Aurélien Leroux, avocat des parties civiles, demande 15 000 euros par locataire, le remboursement des dépenses occasionnées par leur délogement mais aussi celui des cautions que le propriétaire n’a jamais reversées.
Dans son réquisitoire, Guillaume Bricier ne laisse pas de place au doute. “Nous ne sommes pas là pour faire un symbole, mais avec la volonté de punir un comportement délinquant”, fustige-t-il. Il demande 15 mois de prison dont neuf avec sursis, une amende de 50 000 euros pour lui et 100 000 euros pour la société civile immobilière qu’il détient à 99 %. En défense, Christophe Jervolino pointe le manque de preuves dans ce dossier. “J’ai du respect pour les parties civiles, ce sont des victimes mais de qui ? Y a-t-il un responsable ?”, interroge-t-il. Les deux affaires sont mises en délibéré au 7 juillet.
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Le délibéré a-t-il été rendu dans l’affaire ” L’ILOT JOUVEN, symbole d’une ville gangrenée par les taudis ” ??
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