[Sorties de crises] Pour ces jeunes gens l’avenir n’est plus radieux
Alors que le déconfinement s'amorce, que garderons-nous de ces mois suspendus par la pandémie ? Le documentariste et auteur Michel Samson, a proposé à Marsactu de traquer les petits et les grands changements dans nos quotidiens qui pourraient bien laisser des traces sur le long terme. Une série de chroniques à découvrir ce printemps.
Arthur, pas encore 18 ans, a commencé à s'engager pendant le confinement. Notamment dans la préparation de repas, à l'ancien Mc Do de Sainte-Marthe, l'Après M. (Photo M.S.)
Samedi 15 mai, 9h30 : à l’ancien McDo de Sainte-Marthe, des militants, qui semblent souvent issus du quartier, nettoient les abords, installent des tables devant des monceaux de palette en morceaux ou préparent des repas dans une cuisine bondée. Arthur coupe des tomates en compagnie de deux autres jeunes gens. C’est la deuxième fois qu’il vient participer à cette préparation, collective et bénévole, des centaines de repas qui seront servis à midi dans l’Après M. Pas encore 18 ans (« non, mais en 2022 je pourrai voter ») Arthur, que je connais comme un presque-petit fils, s’intéressait à la politique depuis longtemps et a commencé à s’engager plus avant pendant le confinement.
Le premier confinement, il l’a bien supporté en « essayant de voir le positif pour ne pas déprimer » en découvrant « les cours en visio, l’autogestion », même s’il « se sentait presque dans un film apocalyptique ». Le deuxième a pesé plus lourd même si le déconfinement lui a permis d’être « très très heureux de revoir ses ami.e.s », de passer un bel été et de reprendre sa « vie d’adolescent (presque) normalement ». Mais « à la rentrée, avec les masques, les règles sanitaires, les horaires changeants, le couvre-feu » il a eu « l’impression permanente, en tant que jeune de 17 ans, d’être la cause première de la circulation de ce virus, et [il a] fini par ne plus être aussi positif qu’avant ».
” il faut tirer du positif de tout cela, voir ce que les gens ont fait, ensemble “
Il a tiré une leçon de « cette fichue crise : les inégalités sociales creusées, la classe politique qui s’éloigne encore plus qu’avant de son peuple et bien d’autres choses encore » : il est « maintenant convaincu qu’il faut tirer du positif de tout cela, voir ce que les gens ont fait, ensemble ». Cela signifie donc s’engager. Voilà pourquoi il était ce samedi à l’Après M, et qu’il s’est affilié à Youth for climat, ce mouvement sans structure ou organisation bien définie qui organise des manifestations ou des maraudes dont il apprend l’existence sur ses réseaux sociaux.
Une chose fameuse : l’amour
Arthur confie aussi qu’en ces étranges moments, il lui est « arrivé une chose fameuse : l’amour ». Cela lui permet « de penser à autre chose et surtout penser positivement par rapport à la situation actuelle ». C’est grâce à lui en tout cas que j’ai pu parler avec quelques-un.e.s de ses ami.e.s. même si j’ai réussi à obtenir quelques mots autrement, certains à l’oral, d’autre par écrit.
Margaux, en classe de première à presque 17 ans, paraît assez pessimiste. « Si je devais décrire l’avenir avec des émotions, d’abord je dirais que l’avenir me fait peur. Parce que c’est l’inconnu, mais surtout, une angoisse particulière à notre génération, parce que je ne sais pas si on aura un avenir, je ne sais pas si ce que je fais aujourd’hui en travaillant au lycée est réellement utile. Pourquoi travailler si aucun futur n’est possible ? »
Cataclysme médical, humain et social
Ayant eu 18 ans depuis peu, Cléo peut faire médecine alors qu’elle croyait rater le concours d’entrée. Elle semble partager cette triste vision du passé récent : « L’année 2020 fut une année maussade et fade tout en étant une sorte de cataclysme médical, humain et social. Les jeunes se sentent depuis plus d’un an incompris et non considérés ».
Tous restent sinon prudents, au moins sceptiques sur cet avenir qu’ils « ne voient pas », certains qu’il n’est plus assuré « dans un monde viable ». Une « angoisse constante » pour Margaux.
François, à peine plus jeune et lui aussi lycéen, refuse même de parler de ces questions : « On sait même pas si on peut partir en vacances”, dit-il avant de raccrocher ! Comme s’il était touché lui aussi par « cette augmentation de la fatigue due au masque, mais surtout, plus grave, aux crises d’angoisse » qu’évoquait une autre. Et que suggère peut-être Cléo quand elle explique qu’elle « n’a fait aucune rencontre cette année, j’ai même perdu des amis”, avant de se rassurer en ajoutant «…mais ce n’est pas grave ». Optimiste ou réaliste Noémie ? Enfin déconfinée, elle s’amuse « d’avoir fini l’année scolaire à la plage » et « malgré les restrictions et les couvre-feux divers » d’avoir participé « à deux-trois soirées et quelques sorties ensemble ».
” Dans quelques années tous ces événements seront racontés aux futures générations dans les livres d’histoire “
Ces brèves rencontres avec les quelques jeunes gens qui m’ont répondu laissent une étrange impression : ils semblent plus soucieux de leur futur que je ne le fus à leur âge, et plus inquiets : ils l’imaginent, le connaissent et ont compris, eux, qu’il était dangereux et surtout incertain.
Ils se consolent parfois en se disant qu’ils peuvent « profiter des petites choses du quotidien » qui, auparavant, leur paraissaient obsolètes. « Dans quelques années tous ces événements seront racontés aux futures générations dans les livres d’histoire : on pourra dire que l’on aura vécu et vaincu une expérience hors du commun ». Et Cléo de conclure « ‘On verra bien’ est la phrase qui m’aide à relativiser ». Qui fait confiance à « la force vitale » et à l’intelligence de cette nouvelle génération conclurait peut-être avec cette phrase de Noémie : « Personnellement je suis assez optimiste (pour la situation sanitaire en tout cas, le reste c’est une autre histoire). Je ne me fais pas trop d’illusions non plus, les problèmes résolus sont vite remplacés par d’autres… »
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