750 enfants en danger laissés sans protection dans les Bouches-du-Rhône
Les professionnels de la protection de l'enfance dénoncent les délais de prise en charge des mineurs en situation de danger. Ils sont des centaines dans le département à ne pas être accompagnés par des travailleurs sociaux, alors qu'une décision judiciaire a ordonné qu'ils soient suivis.
L'association Sauvegarde 13 affirme ne pas avoir les moyens de suivre tous les enfants que lui confie la justice. (Photo d'illustration Jelleke Vanooteghem)
Dimanche 9 mai, un enfant âgé de cinq ans est tombé de sa fenêtre, depuis le deuxième étage d’un immeuble dans le troisième arrondissement de Marseille. Lui et sa famille auraient dû être suivis par l’association Sauvegarde 13 depuis dix mois, suite à une décision de justice. Ils ne l’ont pas été en raison des délais d’attente interminables. Si le pronostic vital de l’enfant n’est plus engagé à ce jour, la justice a ouvert une information judiciaire sur les circonstances de ce drame. Mais il illustre déjà la crise profonde que connaît la protection de l’enfance actuellement dans les Bouches-du-Rhône.
Sauvegarde 13 est la principale structure habilitée par le conseil départemental pour exercer des actions éducatives en milieu ouvert (AEMO). Mais aujourd’hui, l’association n’est pas en mesure de les effectuer toutes et la direction a donc établi une liste d’attente. Elle compte à ce jour 750 enfants. Ce qui signifie que ces derniers ne sont pas accompagnés par des travailleurs sociaux, parfois pendant plus d’un an. Ce dispositif indigne les syndicalistes. “Sauvegarde 13 a trouvé ce moyen pour réguler, mais c’est une malveillance à l’encontre des enfants”, s’exaspère Stéphane Pianetti, secrétaire général de la CGT Sauvegarde 13. En grève ce mardi 18 mai, des salariés étaient rassemblés pour clamer leurs revendications, avant de se rendre au siège de l’association pour rencontrer le directeur général. Parmi celles-ci, “l’arrêt immédiat de la liste d’attente en AEMO “.
Le suivi AEMO est l’ultime étape avant le placement en foyer.
Les AEMO sont le fruit de décisions de justice qui visent à protéger des enfants tout en les maintenant au domicile de leurs parents. Un rapport de la chambre régionale des comptes paru en juillet 2020 relate qu’un peu plus de 4000 mesures de ce type sont prononcées dans le département chaque année – un chiffre qui ne prend pas en compte la situation des mineurs non-accompagnés étrangers, pris en charge par un dispositif différent, qui connait lui aussi de lourds dysfonctionnements. Cette procédure judiciaire ordonnée par un juge des enfants consiste en un suivi effectué tous les quinze jours au domicile de l’enfant par des travailleurs sociaux, pour accompagner et aider la famille et l’enfant dans leurs difficultés. “C’est l’étape qui permet d’éviter un placement en foyer ou en famille d’accueil. Régulièrement, l’éducateur rédige des rapports à destination du magistrat. L’AEMO peut durer six, douze ou dix-huit mois et elle peut être renouvelée si besoin”, explique un éducateur de l’association. Lorsqu’un juge décide d’une telle mesure, elle est exécutoire ; c’est-à-dire qu’elle doit être effective immédiatement.
Une liste d’attente pour palier le manque de moyens
Si le personnel dénonce un manque de moyens financiers, il souligne aussi un souci d’organisation et d’appréhension de la protection de l’enfance. “L’argent n’est pas forcément utilisé pour les AEMO ; c’est-à-dire que les assistantes sociales se retrouvent avec d’autres tâches administratives qui sont ponctionnées sur le budget des AEMO”, explique Marina Franceschi de Sauvegarde 13. “Dans notre service, ça fait un an que l’on n’a pas de pédo-psychiatre et qu’on attend le remplacement. Il y a un turn-over très important et les collègues qui arrivent ne restent pas longtemps. Il y a beaucoup d’arrêts maladie“, témoigne aussi Laurence Pascal, assistante sociale à Sauvegarde 13.
L’actuel directeur général de l’association, Marc Monchaux, reconnaît l’existence de cette liste et confirme le chiffre de 750 enfants en attente de mesures de protection. Il estime toutefois que le service AEMO des Bouches-du-Rhône n’est pas plus dysfonctionnel que d’autres sur le territoire national. “J’ai alerté depuis plus d’un an sur le risque de cette liste d’attente qui a été ouverte dès juin 2016, affirme-t-il. Après des alertes des syndicats sur les risques psycho-sociaux des employés, j’ai clairement indiqué au conseil départemental qu’on ne ferait pas plus de l’activité pour laquelle nous sommes habilités, c’est-à-dire 3825 AEMO, soit 28 mesures par éducateur. J’ai indiqué que si nous n’avions pas de réponses, on enverrait un courrier aux magistrats et aux familles leur indiquant une surcharge de l’association.”
Pour Stéphane Pianetti, les courriers ne règleront pas le problème. “C’est au département de prendre ses responsabilités et de faire face à la demande. Nous avons besoin d’une réunion de consensus avec tous les acteurs : associatifs, conseillers départementaux, magistrats“.
Un audit de l’association en cours
Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, daté de septembre 2019, a étudié cette situation à l’échelle du pays. Il constate notamment des délais de prises en charge qui nuisent au parcours de l’enfant et le mettent en danger : “Le maintien au domicile sans un accompagnement attentif de la famille du mineur […] peut le mettre en danger.” Sans omettre que cette situation est liée aux conditions de travail des salariés : “Lorsque le respect des délais d’exécution des mesures se fait au prix d’une augmentation du nombre d’enfants suivis par travailleur social, la qualité de l’accompagnement s’en trouve également dégradée.” Les Bouches-du-Rhône ne constituent pas un cas isolé, mais le problème y semble particulièrement prégnant au regard des statistiques nationales. La chambre régionale des comptes l’explique par “une proportion de familles monoparentales élevée (11,7 % pour une moyenne nationale de 9,2 % en 2017), un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale (14,9 % pour 13,9 % au niveau national en 2017) et un revenu médian inférieur à celui observé au niveau national”.
La Protection judiciaire de la jeunesse et le conseil départemental ont entamé une étude pour dysfonctionnement au sein de Sauvegarde 13. Depuis quinze jours, des contrôleurs sont sur place et des salariés ont été entendus. Un pré-rapport sera rendu à la fin du mois de mai. Les salariés et les syndicats ont plutôt bien reçu cette nouvelle. “On considère qu’un contrôle est quelque chose de vertueux, même si des choses ne sont pas agréables à entendre. Ce signal fort des autorités sera utile pour réajuster le projet de Sauvegarde 13“, estime Stéphane Pianetti.
Des discussions en cours au conseil départemental
Sollicité, le département, principal financeur de l’association et responsable de la protection de l’enfance sur le territoire, ne conteste pas le nombre de 750 enfants en liste d’attente que nous lui avons transmis et admet les risques encourus. “Cette liste d’attente obère la prise en charge de mineurs qui peuvent être en situation de danger”, nous ont répondu ses services par écrit. La collectivité envisage aujourd’hui de “diversifier ses modes d’intervention” notamment en matière de prévention dans l’espoir de diminuer les recours au juge des enfants. Le budget alloué à l’aide sociale à l’enfance a augmenté de 32% entre 2017 et 2021, tient encore à préciser le département.
Des agents du conseil départemental affectés à ce secteur étaient présents mardi aux côtés des manifestants de Sauvegarde 13. Eux aussi constatent les manquements de la prise en charge et travaillent à des négociations en interne. “Il faut que la collectivité soit informée. Si 750 mesures ne sont pas exécutées, on est fautifs, estime Valérie Marque, déléguée syndicale CGT. Nous réclamons que des places en foyers soient créées, mais on n’arrive pas à augmenter ces quotas de 3825 mesures et le personnel qui va avec”. Elle sera reçue avec des membres de la FSU par le directeur des ressources humaines du département ce jeudi. “Ils sont plutôt ouverts à la discussion notamment sur des renforts de postes dans les maisons de solidarité”, ajoute la syndicaliste. Mais de mobilisations en discussions, les enfants, eux, doivent encore patienter.
Commentaires
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Encore une fois des choix budgétaires, donc politiques, mettent en danger, ou en grandes difficultés, les plus faibles des plus faibles : des enfants sous protection de la Justice.
Mais les salariés de la Sauvegarde 13 payent aussi ces choix (turn over, maladie…) avec une Direction, bien pleutre, qui laisse couler et qui semble être terrorisée à l’idée d’oser se retourner vers son financeur : le CD 13. Les membres de cette direction auront ils le courage de reconnaitre leurs incompétences et d’en tirer des conclusions ?
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Merci pour cette enquête qui m’attriste et me met en colère. Décidément, je n’ai aucun exemple de réussite, action positive et/ou constructive sur les actions des institutions, filiales de Marseille et son département.
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750 enfants sans suivi alors qu ‘une décision de justice ordonne leur protection.
Il s’agit d’un manque de moyens ah oui et l’humanité là-dedans, elle est où ? Je ne parle pas de responsabilité. Il semble que chacun s’en lave les mains. C’est général, alors c’est normal quoi.
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Pour le social, on est toujours sur des schémas qui avaient une validité au siècle dernier mais qu’il faudrait maintenant réinterroger à l’aune des évolutions de la société.
Une grande partie des associations qui ont aujourd’hui une sorte de délégation de service public (UDAF et bien d’autres) sont des émanations d’associations religieuses plus ou moins laïcisées de la fin du XIXe et d’autre créées par les mouvements ouvriers un peu en réaction aux premières.
Confortées en 1945, elle avaient de nombreux adhérents – militants et donc une capacité d’action et de gestion bien réelle.
Le militantisme s’étant largement émoussé dans nos sociétés depuis cette époque, ces associations sont maintenant des coquilles presque vides adossés à des professionnels de l’associatif pour qui c’est davantage un métier qu’un engagement.
Il serait peut-être temps que l’état gère directement ce service public avec des recrutements par concours donc plus transparents et une gestion moins opaque.
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Bonjour Mr Pascal L,
L’Union Départementale des Associations Familiales (UDAF) est une association loi de 1901 reconnue d’utilité publique dont les statuts sont définis par le Code de l’action sociale et des familles.
Elle relève de la politique familiale française, au titre de la loi, elle est apolitique et areligieuse en s’efforçant au mieux, d’être le représentant des familles et des associations adhérentes auprès des pouvoirs publics.
En 2021, l’UDAF 13 c’est : 110 salarié.e.s, 37 administrateurs bénévoles et actifs, 110 associations, 14 000 familles représentées et plusieurs milliers de personnes protégées sur l’ensemble du département.
Notre militantisme est intact que cela plaise ou non. Ainsi que notre capacité d’action, ils sont toujours deux piliers forts de notre Union et s’en sont trouvés renforcés par la crise sanitaire actuelle.
Plus que jamais au cœur de la défense des intérêts et des droits des familles, nous nous efforçons au quotidien de maintenir le lien et d’être un support efficace sur l’ensemble des actions familiales des Bouches du Rhône.
Pour réellement nous connaitre, nous vous invitons à prendre connaissance de nos rapports d’activités, à suivre notre actualité, ou mieux venir nous rencontrer afin d’apprécier le sens de notre engagement associatif.
Enfin, dans un souci permanent de nous améliorer nous vous incitons aussi, à saisir directement notre service de gestion d’information à l’adresse mail suivante : qualité@udaf13.fr
En vous souhaitant une bonne journée.
Jean Maurice A
Président de l’UDAF 13
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OK, mais moi j’aurais aimé savoir qui sont réellement ces enfants en danger.
Les premiers à devoir être responsable de leur éducation devraient être leurs parents biologiques. Je ne vois pas comment des éducateurs extérieurs pourraient se substituer, fusent-ils compétents ou en nombre suffisants. Si actuellement ils doivent disposer d’une heure par mois par famille, ce n’est certainement pas eux qui vont empêcher un enfant de tomber d’une fenêtre. La plupart des familles dans ce type de situation habitent déjà dans des citées où même les policiers ou les pompiers n’ont pas la possibilité d’accès, alors les éducateurs qui n’ont pas envie d’exercer ces types de visites, on comprend que les vocations s’effritent…..
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une honte ! ces centaines d’enfants laissés en danger.. Tout comme les mineurs étrangers isolés! comment cela ne fait-il pas la une des JT ? plutôt que les polémiques hystériques sur tout ce qui touche à l’islam…
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