UNE MER DE SILENCE
C’était samedi dernier, le 22 novembre. Marseille s’était rassemblée pour rendre hommage à Mehdi Kessaci. Sa mort était un symptôme de plus de l’urgence dans laquelle la ville fait face au crime, à la violence, à la mort.
Le meurtre de Mehdi Kessaci
Mehdi Kessaci a été tué jeudi 13 novembre. Si la police semble n’avoir pas encore identifié l’auteur du crime, elle paraît se fonder sur l’hypothèse d’un meurtre destiné à faire preuve d’une intimidation destinée à empêcher le frère de Mehdi, Amine, de poursuivre à Marseille son combat pour en finir avec la mort. Mais ce meurtre en suivait un autre, celui de Brahim, l’autre frère, tué par des tirs d’armes à feu en 2020. Tous les meurtres sont toujours commis pour rien, mais celui-là peut-être encore plus que les autres. Comme si ses auteurs se savaient trop faibles pour tuer le militant et tuaient son frère pour émettre une menace, pour se faire croire forts, alors qu’ils ne montrent que leur faiblesse en la faisant, en quelque sorte, payer par la mort du frère du militant. Le meurtre de Mehdi était un aveu d’impuissance. Ceux qui l’ont commis montraient ainsi leur absence de force, d’agir, de pouvoir. Mais, au-delà, sans doute ce meurtre est-il une alarme que la ville doit entendre et comprendre, à laquelle elle ne peut pas répondre, car on ne peut pas répondre à ce qui n’a pas de mots, mais qui lui manifeste qu’elle doit prévenir, empêcher, punir.
Le combat et le crime
Comme tous les crimes, le meurtre de Mehdi était à la fois une violence et une absurdité. Le crime se voulait une réponse au combat mené par Amine Kessaci après la mort de son frère, qui avait fondé une association, « Conscience », pour contribuer à débarrasser Marseille de ces crimes, de ces trafics de stupéfiants, de ces morts. Mais, pour cette raison, ce crime montrait que ses auteurs se croyaient forcés de tuer face au combat d’Amine Kessaci. En tuant son frère, les assassins montrent qu’ils ne savent pas parler, qu’ils n’ont pas de mots, qu’ils nie sont capables de se reconnaître que dans le silence de la violence. Le crime ne parle jamais : la parole et les mots sont, eux, du côté du combat, ceux d’Amine Kessaci et de son association. Mais ceux qui ne connaissent que la mort ne doivent pas oublier que le silence ne peut jamais faire mourir les mots.
Le narcotrafic
C’est que nous ne devons pas nous tromper : le narcotrafic est la preuve que le trafic de stupéfiants est une sorte de trafic de morts, celle des usagers des stupéfiants et celles de ceux qui les combattent. La seule chose qui intéresse ceux qui y participent, c’est l’argent. Ce qu’ils recherchent, ce n’est même pas le désir du pouvoir ni le plaisir que certains peuvent imaginer à l’usage. Non, ce qu’ils veulent, c’est le trafic. À supposer même, d’ailleurs, qu’ils désirent quelque chose, qu’ils veuillent, même, quelque chose. Ils n’agissent que comme des fantômes sans mots seulement capables de tuer – de faire semblant de vivre par les stupéfiants qui leur rapportent et par les crimes qu’ils croient les laisser libres. Le narcotrafic n’est qu’une expérience qui, sans mots, laisse la ville à la violence et au silence. Mais ne nous trompons pas : comme tous les trafics, celui des stupéfiants est un marché, il n’est qu’une illustration de ce que le libéralisme est capable de faire. Ainsi poussée jusqu’au bout, la violence des marchés nous fait comprendre que, plus ou moins loin dans le temps, l’échec du libéralisme est inéluctable.
La ville face à un nouvel acte de violence
Nous avons voulu dire, samedi dernier, que notre ville est de nouveau frappée par la violence et par la mort et que nous ne le voulons plus. Ces crimes sont des sortes de symptômes d’une violence qui prend la place de l’engagement et de la parole. Ce ne sont pas seulement les acteurs du narcotrafic qui sont en proie à la violence et à la mort, c’est la ville dans son entier, c’est Marseille dans tout son être. À la violence de la dégradation des quartiers et des rues, voire de leur destruction, à la violence du chômage, de la pauvreté, voire de la misère, Marseille n’en finit pas de se heurter à la violence des trafics et des crimes. À peine Marseille est-elle encore une ville, car elle va finir par être sans cesse un espace de dangers, un lieu de menaces, un espace de crimes – des crimes du libéralisme et du marché comme de la violence des crimes et des meurtres. Quand elle se trouve – ou quand elle se perd – face à la violence, inondée par elle, une ville n’est plus une ville, elle n’est plus qu’un espace à peine habité par celles et par ceux qui y vivent. Si nous n’y prenons pas garde, au lieu d’être comme toutes les villes un espace de mots et d’échanges, Marseille risque de devenir un espace de silence, elle risque de disparaître comme ville, sans parole, sans projets, sans identité.
Les mots, le silence, la marche
Dans la violence de ce silence, la marche de samedi voulait nous donner la possibilité de nous exprimer face à ces morts, elle voulait faire de la rue un espace de rencontre et d’échange au lieu de la laisser livrée aux trafics, à la violence, aux morts. Associés aux mots des pouvoirs, les gestes et les rythmes de la marche ont permis à celles et à ceux qui y prenaient part de dire leur détermination face au silence et à la mort. Nous n’avons rien à dire à ceux qui perpètrent ces crimes, ils ne comprendraient pas. Nous n’avions, samedi, à leur opposer que notre silence nous n’avions à leur dire que nous ne voulions pas perdre nos mots. Après le bruit de la mort et le silence de la marche, Marseille va pouvoir retrouver la voix des mots. La marche du 22 novembre et la rencontre devant le Conseil du département constituent une sorte de défilé destiné à celles et à ceux qui y participent d’avoir la possibilité du silence, des gestes, des mouvements du corps afin de faire face à la possibilité d’être confrontés à la fermeture des destinations du trafic des stupéfiants. Au lieu d’être face à la violence des trafics et au crime des auteurs des meurtres, la marche blanche, les gestes et les paroles des habitantes et des habitants de Marseille, étaient destinés à chercher à libérer la ville des trafics, à dire les mots des acteurs du peuple de la ville.
Le silence de la marche nous permet de retrouver une vraie vie.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Commentaires
0 commentaire(s)
Rejoignez-la communauté Marsactu pour, vous aussi, contribuer au débat local. Découvrez nos offres
ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.