LA VILLE ET SES DÉCHETS
UN NOUVEL URBANISME À MARSEILLE (2)
LA VILLE ET SES DÉCHETS
La grève qui a eu lieu aux établissements Derichebourg, prestataire de la métropole pour l’enlèvement des déchets dans le 2ème, le 15ème et le 16ème, vient de se terminer. Elle nous amène à questionner le sens de la relation entre la ville et ses déchets, dans le cadre de la série que nous proposons sur le nouvel urbanisme à imaginer pour Marseille.
Les déchets : une manifestation de la vie urbaine
Même s’ils sont, en quelque sorte, faits pour être enlevés pour être détruits, puis, dans une économie politique fondée sur une véritable logique politique de l’économie, recyclés, les déchets font partie intégrante de la vie urbaine ; ils en sont même le témoignage. De la même manière que le corps des humains et des animaux manifeste sa vie en produisant ses propres déchets, ce sont les déchets qui témoignent de la vie de cet organisme politique particulière que l’on appelle la ville. Cependant, comme les excréments, les déchets sont produits en quelque sorte en cachette. Sans doute même la production des déchets fait-elle partie de ces pratiques qui se situent à la rencontre de la nécessité biologique et de la pudeur, cet arsenal d’interdits et de règlements qui manifestent le poids de l’institution dans notre vie quotidienne. Les déchets mettent en évidence les activités sociales qui fondent l’urbanité sur des médiations politiques qui constituent une véritable économie politique de la ville. C’est pourquoi ils sont nécessaires à notre existence, un peu comme une soupape qui assurerait l’équilibre social du fait urbain et la représentation de l’identité politique des villes.
L’enlèvement des déchets : une opération de salut public
C’est bien pour cela que l’enlèvement des déchets dans une logique d’économie de l’espace et du paysage et leur traitement dans une logique économique du recyclage, de l’énergie et de la maîtrise de la consommation constituent de véritables opérations de salut public : en effet, c’est grâce à cette économie politique du déchet que la ville peut pleinement vivre, peut pleinement assumer la dimension d’un espace social dans lequel on peut vivre – cela s’appelle habiter – et dans lequel on peut mettre en œuvre son identité d’acteur social. L’enlèvement des déchets est une opération dont la nécessité doit apparaître à la conscience de toutes celles et de tous ceux qui vivent dans la ville. C’est bien pourquoi il s’agit d’une opération de salut public. La ville n’existerait pas si elle ne produisait pas ses déchets, comme tous les organismes vivants, et elle ne pourrait pas vivre si des acteurs urbains ne mettaient pas en œuvre les opérations qui permettent son nettoyage, son entretien – et, en particulier, l’enlèvement de ses déchets.
La privatisation de l’enlèvement et du traitement des déchets
Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la pertinence de la privatisation de l’enlèvement des déchets et l’institution d’un véritable marché de l’enlèvement et du traitement des déchets dans une économie libérale. D’abord, il s’agit d’une des fonctions de la ville que l’on pourrait définir comme ses fonctions régaliennes. Les déchets et les richesses que peuvent éventuellement produire leur traitement et leur recyclage appartiennent au champ de l’économie politique de la ville qui devrait être municipalisé, soumis au pouvoir municipal démocratiquement désigné, parce que la production des déchets fait partie des fonctions premières de la vie de la ville. Par ailleurs, comme toutes les activités qui fondent la vie sociale, le traitement des déchets devrait échapper à la libéralisation de l’économie à laquelle on assiste en ce moment. Enfin, il s’agit d’une activité nécessaire, et, en ce sens, la soumettre aux lois du marché constitue une forme de prise en otage de l’espace de la vie sociale. En donnant au marché une forme de pouvoir sur l’enlèvement et le traitement des déchets, la libéralisation de l’économie urbaine affaiblit encore l’autorité de l’acteur politique majeur que constitue la ville.
La ville, la métropole et les déchets
Reste, à Marseille en particulier comme dans d’autres villes françaises, la question du partage des pouvoirs et des autorités entre la ville et la métropole. Si l’on fait aujourd’hui le bilan de la métropolisation de Marseille et de l’institution de la métropole, on peut dire qu’il est plutôt négatif. D’abord, en effet, soumettre la métropole au marché signifie priver ses habitants de la reconnaissance de leurs droits civils élémentaires, puisque c’est le marché qui les gouverne. Par ailleurs, se produit, depuis le début, un incessant conflit d’intérêts et d’orientation entre la ville et la métropole. Or il n’y aurait pas de métropole s’il n’y avait pas, à son fondement, la ville de Marseille. Enfin, c’est cette dualité des pouvoirs qui rend impossible l’engagement d’un véritable dialogue, d’une véritable concertation et d’une véritable négociation entre les salariés de l’entreprise chargée du traitement des ordures et des déchets et des institutions pour qui ils travaillent, puisque plusieurs interlocuteurs aux politiques différentes sont en jeu.
Commentaires
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« …soumettre la métropole au marché signifie priver ses habitants de la reconnaissance de leurs droits civils élémentaires, puisque c’est le marché qui les gouverne »
Une phrase qui mériterait un développement.
D’abord, expliquer le sens du mot « marché ». Est-ce la notion économique généralement utilisée pour désigner les échanges plus ou moins régulés entre des entités qui demandent et des prestataires qui offrent ? Est-ce le marché qui résulte d’une consultation « régulière » pour confier à un prestataire le soin de réaliser un service lié à une compétence obligatoire des collectivités ?
Dans le premier cas, il ne fait aucun doute que les habitants n’ont aucun droit sur des dispositifs qui ont été adoptés au niveau européen au regard de solutions plus ou moins efficaces constatées sur la planète pour satisfaire les besoins des pays membres.
Dans le deuxième cas, ce sont bien les habitants qui ont confié à leurs élus le soin de mettre en place les mesures destinées à organiser les services. Leurs « droits civils élémentaires » sont donc reconnus, sauf à considérer que les conditions de la représentativité ne sont pas démocratiques ou que les élus qui sont tenus de respecter le Droit dans l’établissement des marchés n’ont pas la maîtrise des moyens à mettre en œuvre.
La plupart des règles qui conditionnent l’établissement des marchés publics étant issues de directives européennes organisant la « concurrence libre et non faussée », on admet facilement que les habitants et leurs élus sont étrangers aux modalités de désignation des prestataires auxquels ils confient un service.
Bref, on voit bien que c’est la notion large de « marché » qui contribue à isoler les pouvoirs démocratiques des instances qui en ont la maîtrise.
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Cela attaque fort sur 2021 !. Entre la métaphysique du traitement des déchets et la césure des citoyens au travers de la notion de marché d’avec les élus et les instances européennes, ça chauffe dur . La problématique du traitement des déchets est très simple . D’un côté des appels d’offres où tout le monde peut se faire du pognon , il y a d’ailleurs des affaires judiciaires soit jugées soit en cours, et de l’autre des équipes qui sont là dans le travail pour en faire le moins possible et en tirer le maximum d’avantages au travers de l’équation fini/parti + FO depuis des années , d’où de sales habitudes et les résultats connus et sentis au sens olfactif du terme.
La résultante de tout cela , des budgets faramineux avec une qualité et une quantité de service dotées d’ une exécution déplorable , il suffit de voir la crasse et la saleté de Marseille.
Après reste l’éternel problème de ce que font les élus de leurs promesses. 25 années de gaudinisme nous l’ont appris , du vent et rien derrière. La métropole étant la digne héritière de cette lignée, il ne faut pas en attendre grand chose et le dernier conflit étant une illustration flagrante du climat.
Tout ce que demandent les habitants de cette ville , comme dans d’autres domaines d’ailleurs , c’est que le travail soit tout simplement fait, pas plus pas moins et que les rues soit nettoyées et que les gens ( entreprises, citoyens et propriétaires de chiens ) dégueulasses soient sanctionnés. Mais là il faut du courage politique et cela n’est pas gagné car toutes ces catégories votent.
Et puis si il faut “créer un nouvel urbanisme” selon certains ce qui créer d’ailleurs un très bon exercice pour les petits neurones , il y a un excellent jeu à cet effet :Sim City , il faut bien occuper les longues soirées de confinement.
Que les gens se mettent au boulot et fassent le pourquoi ils sont payés , déjà cela, et après nous pourrons refaire Marseille.
Malheureusement cela fait des décennies que l’inverse se produit grâces aux études de sociologues d’architectes , de bureaux d’études, de politiques de tous poils .Nous en voyons le résultat , une ville exsangue, à la dérive .
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100 % d’accord avec vous !
Par ailleurs, j’ai récemment payé la taxe sur les ordures ménagère (TOM) pour un 3 P de 60 m2 dans le 2° arrondissement, soit la somme de 365 €, ce que je trouve très excessif. Pour les jours de grève de la fin d’année, j’espère que la métropole ne va pas payer pour le service non fait ? Si non, c’est un scandale ; si oui, et si la TOM n’est pas réduite pour les habitants qui ont subit cette grève, cela ne m’étonnerait pas, mais ce serait une escroquerie supplémentaire …
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