La délicate question du harcèlement moral au procès du directeur du service auto de la Ville
Après huit ans d'instruction, le directeur du service auto de la Ville de Marseille, Olivier Proisy, répondait des faits de harcèlement moral à l'encontre de cinq agents municipaux. Le tribunal correctionnel s'est efforcé de tirer au clair la mécanique du harcèlement, sans parvenir à convaincre le procureur.
Olivier Proisy face à ses juges. Dessin : Ben8.
“C’est compliqué, madame la juge”. Olivier Proisy se tient raide, face au tribunal correctionnel, les mains croisées sur le ventre. Invariablement, il a cette réponse, plus ou moins assortie de phrases embrouillées. Les cinq agents dont les plaintes, en 2012, l’amènent aujourd’hui à comparaître pour des faits présumés de harcèlement moral aimeraient en entendre un peu plus. Des remords, des regrets, il en aura esquissés, lors d’une première journée d’audience le 7 novembre explique Christian Bellaïs, avocat de quatre d’entre elles, dans sa plaidoirie. Puis plus rien. Si ce n’est cette attitude inflexible dont le chef du service auto de la Ville de Marseille ne se départ jamais et qui cadre si bien avec ses 20 ans de carrière militaire. Il en garde un esprit carré, déploré ou salué par les témoins, une coupe en brosse drue et une incapacité à faire un pas de côté.
Le service auto : 2800 véhicules, 300 agents
Si la raideur qualifie d’ordinaire la justice, c’est le prévenu qui ici en fait preuve. En face, le tribunal présidé par Marie-Pierre Attali s’efforce de mener une instruction à la barre, toute en nuances, laissant la place à Olivier Proisy pour tendre une main, entendre les souffrances. Il le dit à la toute fin : “tout le monde a souffert, moi aussi, j’ai souffert. C’est compliqué”. Et de la souffrance, il y en a eu depuis 2009, au moment où Olivier Proisy prend la tête de cet énorme service municipal qui compte aujourd’hui près de 2800 véhicules et 300 agents.
Ce service n’est sous la responsabilité d’aucun élu mais sous les ordres directs du directeur général des services d’alors, Jean-Claude Gondard. “Nous sommes sous la pression directe des élus qui sont rarement contents de leur véhicule”, explique Olivier Proisy. Le syndicat FO y est très présent. Les rumeurs de coulage ou de malversations sont incessantes.
L’homme y est entré en 2006 avant de prendre la suite d’un directeur au charisme certain, parti à 67 ans passés et qui continue de jouer de son influence en son sein. Pour les cinq parties civiles, ce jour de mai 2009 où il accède à la direction est une bascule dans leur vie. “Des années noires”, pour leur avocat. Secrétaire de direction, Noëlle D. dit avoir vécu le jour et la nuit. Elle qui gardait la fille de son supérieur pendant la période difficile de son divorce, affronte un mur. “Du jour au lendemain, il ne m’a plus adressé la parole. Je n’ai plus eu accès à mon bureau dont il a changé la serrure”, explique-t-elle aux juges.
“C’est moi le chef !”
Olivier Proisy balaie : “Elle était déjà dans un autre bureau parce qu’elle s’occupait des marchés et non plus de mon secrétariat personnel”. Pourtant tous les plaignants décrivent le même changement subi, la même scène de l’apéro de départ où il dit à qui veut l’entendre, “désormais, c’est moi le chef !” Noëlle D. ne retrouvera une sérénité professionnelle qu’en prenant un nouveau poste au service des opérations funéraires.
Celle qui a le plus souffert, c’est Marie-Josée T.. Assise au fond, dans un coin du banc des parties civiles, elle essuie régulièrement une larme. Son mari derrière elle tente de la rasséréner. Longtemps, elle a été la seule femme cadre du service. Après avoir travaillé sous les ordres d’Olivier Proisy, elle n’a plus jamais bossé. Lors de la première journée, elle a décrit sa lente mise à l’écart au profit d’un nouvel agent, fidèle au directeur. Le couple a détaillé dans un document de 15 pages, la dégradation constante et progressive de ses conditions de travail, la compromission de son avenir professionnel et les atteintes à sa dignité.
Après une nouvelle altercation avec l’agent qui l’a évincée, sous la menace d’une sanction disciplinaire, elle commet l’irréparable et avale une dose massive de cachets. Elle en réchappera au bout de 35 jours d’hospitalisation et quatre mois de soins. “Ce n’est pas la cheffe de bande, pas la présidente de l’association des victimes de monsieur Proisy, défend Christophe Pinel, son avocat, dans sa plaidoirie. Elle a souffert seule et ce qu’elle a enduré suffit à justifier la poursuite”. Emmanuel F. aussi a souffert. Ancien militaire également mais de l’armée de l’air, il a subi la vindicte de son chef dès lors qu’il s’est désolidarisé de sa gestion.
“Mon dossier était bloqué au cabinet du maire”
“Tout ce qu’ils ont dit, c’est faux”, assène Olivier Proisy quand la présidente tente de lui faire reconnaître des éléments à charge. Le directeur du service auto a réponse à tout. Il minimise les brimades, reprend toutes les dates, dénie toutes responsabilités. En face, ses subordonnés l’accusent de tirer les ficelles pour les empêcher d’évoluer. “Quand je suis arrivée au service des pompes funèbres, j’étais très fragilisée, raconte Noëlle D.. Et puis j’avais pris beaucoup de retard sur mon avancement. Mon dossier était bloqué au cabinet du maire”.
L’instruction a duré huit ans, période durant laquelle les cinq victimes se sont senties bien seules face à un cadre qui continuait d’avoir le soutien de sa hiérarchie. Entendu par le juge, Jean-Claude Gondard lui manifeste son soutien. Son supérieur hiérarchique direct a des doutes sur sa gestion des ressources humaines mais n’a que des louanges sur son mode de direction. Le directeur a obtenu la protection fonctionnelle – la prise en charge de ses frais de justice – que ses présumées victimes ont mis des années à obtenir.
En face, il n’y a que des petites choses qui, mises ensemble, deviennent insupportables. Pour Corinne M., tout est parti d’un café qu’elle a refusé de prendre avec son supérieur hiérarchique. “À partir de là, il est devenu cassant”, raconte-t-elle. À ce comportement, elle ajoute des petites mesquineries qui, dit-elle, lui ont rendues la vie impossible. Elle n’a pas le droit à la formation sur le nouveau logiciel Pégase qui révolutionne la Ville. Elle n’a pas la même prime que ces collègues immédiates. “Cette prime, je l’ai obtenue dès mon premier mois dans les 13/14 où je suis désormais”, explique-t-elle.
Olivier Proisy dit n’y être pour rien : il n’a pas le pouvoir sur les primes, ne donne qu’un avis sur les avancements ou les mutations. Il reconnaît la maladresse, la peur de la confrontation, pas l’intention de nuire. La présidente détaille patiemment les nombreuses auditions versées au dossier. Elles ne sont pas toutes en sa défaveur, loin de là mais émanent d’agents toujours en poste sous ses ordres.
Pour les avocats des parties civiles, le harcèlement est bel et bien constitué par tous ces faits qui, mis bout à bout, ont créé tant de souffrances. Emmanuel F. est diabétique, insulino-dépendant. Son médecin assure que cet état est dû au stress. Corinne M. s’est bloqué le dos. Les centaines de jours d’arrêt-maladie accumulés sont pour elle le témoignage d’une souffrance. Olivier Proisy y voit du chiqué. Pourtant les experts psychiatriques font tous le constat d’un état de réelle souffrance liée au travail. C’est à ce titre que Christian Bellaïs demande 25 000 euros pour le préjudice moral de ses clients, comme ses confrères.
“Ce dossier est comme une bulle”
Mais, au moment des réquisitions, l’espoir d’obtenir justice s’effrite. Le procureur, Patrice Ollivier-Maurel, ne tranche pas. Son réquisitoire est d’autant plus balancé que lors de l’information judiciaire, le parquet n’a pas rendu de réquisitions sur l’opportunité de juger le chef de service comme il en a la possibilité. Il se prononce donc pour la première fois à cette audience.
“On ne choisit pas sa communauté de travail, philosophe-t-il. On est obligé de composer les uns avec les autres. Cela conjugue des objectifs contradictoires et concurrents. Ici, on sent de la souffrance, de la colère et de l’incompréhension”. Mais le bilan qu’il en tire est fort nuancé. Pour lui, si on ne retient pas l’idée d’une restructuration du service, de licenciements déguisés, le motif du harcèlement ne peut être que la perversité de l’intéressé. Il ne la voit pas chez Olivier Proisy. “Ce dossier est comme une bulle. On est dans un huis-clos”. Pour chacun des acteurs de ce huis-clos, il aligne les torts. Et ils sont pour lui partagés. Il requiert donc la relaxe pour les cas de Noëlle D. et Corinne M. et laisse juge le tribunal pour les trois autres agents.
“Je suis soulagé par le réquisitoire du parquet”, souffle Thomas Callen, l’avocat d’Olivier Proisy. Avec les avocats des parties civiles, je m’attendais à affronter quatre procureurs, je n’en aurai que trois”. Patiemment, il s’efforce de démontrer que l’accusation, portée par les cinq plaignants ne reposent sur aucun fait. “C’est un dossier interprétatif, argue-t-il. Or, ce n’est pas la perception des parties qui doit dicter votre jugement mais la matérialité des faits. Il y a de la souffrance des deux côtés”.
La rudesse maladroite de son client vient le servir : non, ce n’est pas un bon manager “mais 27 témoins n’ont absolument rien à lui reprocher qui relèverait du harcèlement moral”. Pareil pour ses 20 ans à l’armée ou ses trois ans passés au service auto avant d’en devenir le directeur : “Vous ne trouverez aucune plainte, aucun fait relevant de cette prévention”. Sans surprise, l’avocat demande la relaxe. Le jugement est mis en délibéré au 18 décembre 2020.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Merci pour ce très bel article. Une précision, M. Proisy a obtenu la protection fonctionnelle dès le début de l’affaire et seule une plaignante a pu en bénéficier après. Les autres dont la 1re victime ont essuyé un refus.
Se connecter pour écrire un commentaire.