LE SOIN ET L’INTERDIT
Photo : LC
À la suite de la conférence de presse du ministre de la santé, Olivier Véran consacrée aux mesures prises par l’exécutif pour répondre à la pandémie du coronavirus, un arrêté du préfet a imposé la fermeture des bars et des restaurants, à Aix et à Marseille, du 27 septembre au 11 octobre.
Une situation d’urgence sanitaire
Certes, Marseille et la métropole font partie des sites les plus touchés par la pandémie, en France. Certes, nous nous trouvons, à Aix et à Marseille, dans une situation d’urgence sanitaire à laquelle il faut bien répondre. Mais, dans le même temps, c’est l’occasion, pour nous, de mieux comprendre la signification politique de la notion d’urgence. L’urgence désigne des situations dans lesquelles l’engagement ordinaire des institutions, les mesures prises par les pouvoirs, les décisions mises en œuvre dans les espaces publics, échappent à l’ordinaire de la vie sociale. L’urgence désigne une situation dans laquelle les institutions ne peuvent plus exercer leur activité régulière, normale. C’est, d’ailleurs, ce que nous dit la Constitution de 1958, dans le cadre de son fameux article 16, qui, dans les situations d’urgence, confie les pleins pouvoirs à l’exécutif. Aix et Marseille se voient ainsi soumises par le ministre de la santé à une situation d’urgence dans laquelle les institutions ne sont plus en mesure d’exercer leurs pouvoirs ordinaires. N’oublions pas que l’urgence n’est jamais une situation démocratique, mais se fonde, au contraire, sur la privation du peuple, du démos, de son pouvoir, de son kratos, et que ce dernier fait entièrement l’objet d’une appropriation – sans doute devrait-on plutôt dire : d’une confiscation – par l’exécutif, par le souverain.
Une situation de censure
Mais sans doute importe-t-il de s’interroger sur le fait que ce sont les cafés, les bars et les restaurants qui sont les premiers touchés par les mesures de l’urgence sanitaire. Cela a trois significations. D’abord, il s’agit de restreindre les rencontres et la vie sociale encore davantage qu’elles ne le sont aujourd’hui dans la situation de crise sanitaire que nous connaissons. Par ailleurs, en fermant les lieux de restauration, l’exécutif ferme les lieux de convivialité d’Aix et de Marseille, ce qui va, à la fois, poser des problèmes aux personnes qui ont besoin de ces lieux pour se restaurer quand elles travaillent loin de chez elles, et instaurer une limitation de la vie festive et ludique de notre société. Enfin, dans le prolongement de cela, nous pouvons comprendre que, face à la pandémie, l’exécutif ne répond pas par du soin mais par de la censure. Nous nous trouvons ainsi dans une situation dans laquelle tout ce que le pouvoir trouve à répondre à l’urgence sanitaire est l’interdit. Le pouvoir n’a pas de politique de santé publique : tout ce qu’il sait faire, c’est interdire. Cela nous évoque les situations dans lesquelles les religions, de la même manière, imposaient des mesures de restriction de libertés, par exemple de jeûne, dans les situations considérées comme des situations d’urgence. Mais l’exécutif, dans notre pays, jusqu’à présent, ne se confondait pas avec des institutions religieuses. En répondant par de l’interdit à une situation d’urgence, l’exécutif exerce son pouvoir sous la forme de la contrainte, sans chercher à répondre à une demande des populations concernées, sans chercher à recueillir leur adhésion.
L’interdit et l’absence du débat
La maire de Marseille, Michèle Rubirola, et le président de la région, Renaud Muselier, n’ont pas tardé à faire connaître leur réprobation à la fois devant les mesures prises par l’exécutif et devant l’absence de débat et de concertation qui caractérise ces décisions de l’exécutif, qui n’a pas cherché à consulter les autorités concernées par les interdits décidés à Paris. Nous nous trouvons ainsi dans une situation dite d’urgence qui entraîne la suspension des échanges entre les acteurs politiques et entre les institutions, qui se caractérise par l’absence du dialogue et de la concertation. Comme si le virus frappait aussi la démocratie elle-même, comme si la démocratie était elle-même tellement frappée par le virus qu’elle ne pouvait plus s’exercer dans des conditions normales. Nous nous trouvons ainsi devant une décision qui engage le pouvoir sous la forme d’un pouvoir absolu, c’est-à-dire d’un pouvoir qui ne cherche pas à se fonder ou à se légitimer par l’adhésion des populations concernées. C’est grave, car, si l’on réfléchit bien, la forme de pouvoir mise en œuvre dans cette situation d’urgence pourrait tout à fait bien l’être aussi dans une situation ordinaire. Finalement, l’exécutif se sert de l’argument de la pandémie pour légitimer un acte d’autoritarisme et pour manifester un pouvoir fondé sur la violence de l’interdit. Mais qui peut nous dire que, demain, le pouvoir ne trouvera pas d’autres manières de s’exercer de façon absolue, lui seul, sans échange ni débat, dans d’autres situations ?
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