Contre les discriminations, une maison, des déceptions

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le 14 Déc 2020
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Né en 2017, le projet de centre associatif LGBT s'est mué en maison départementale dédiée à toutes les formes de discriminations, suscitant des incompréhensions chez certains des initiateurs. Alors que le lieu ouvre enfin, la Ville de Marseille relance de son côté un autre projet, plus proche de l'idée d'origine.

Contre les discriminations, une maison, des déceptions
Contre les discriminations, une maison, des déceptions

Contre les discriminations, une maison, des déceptions

L’ancienne antenne de la mission locale de Marseille a été aménagée entre confinements et déconfinements. Et ce mercredi 9 décembre, Martine Vassal inaugurait enfin la première maison départementale de lutte contre les discriminations, avenue de Toulon (6e). “Nous avons de grosses associations comme le Refuge, l’Autre Cercle et SOS femmes, qui ont travaillé avec nous sur ce projet et qui sont ravies de ce bel outil : plus de 200 m2 de locaux”, se félicite Sylvie Carrega, vice-présidente (LR) du département chargée du dossier. Outre un accueil téléphonique, sept petits bureaux permettent à l’équipe et aux associations d’accueillir le public de manière isolée et deux salles de réunion leur sont destinées, avec une capacité pouvant aller jusqu’à 100 personnes pour une assemblée générale. Le lieu se veut aussi un centre de documentation voire un “observatoire”, à partir des témoignages recueillis.

Mais au sein du secteur associatif, l’accueil est mitigé. “C’était un peu laborieux, tout le monde s’est essoufflé là-dessus”, ne cache pas Philippe Amidieu, secrétaire général de Fierté Marseille, organisation qui pilote la Pride locale, et ancien président de L’autre cercle Provence Méditerranée, qui se focalise sur le monde du travail. “C’est assez éloigné du projet initial, nous sommes assez déçus. Même si bien sûr toute initiative pour lutter contre les discriminations est positive”, complète Céline Gross, co-déléguée de SOS Homophobie PACA, qui n’a “même pas été prévenue de l’inauguration”.

Le projet associatif réécrit en maison départementale

Car, à l’origine, ce projet est porté par un collectif d’associations LGBT, qui veulent doter Marseille d’un centre spécifiquement dédié à cette cause, comme dans plusieurs grandes villes de France, dont Nice et Avignon. En septembre 2017, il est présenté au conseil d’orientation et de lutte contre les discriminations (COLD), créé quelques mois plus tôt par le département avec l’objectif de faire remonter “des propositions concrètes”, dixit la présidente du département. Du concret, ce projet de maison de lutte contre les discriminations en offre au COLD, qui ne s’est guère rendu visible que par une campagne de communication “Retirons les étiquettes”, lancée quelques jours après sa création.

Trois ans après et un changement d’adresse plus tard – motivé par un litige sur les deux immeubles acquis pour l’accueillir rue Mazagran (1er) – l’équipement est effectivement loin du projet initial, dont Marsactu avait pu consulter une version de travail. Exit le modèle associatif ou la coopérative et même le terme LGBT. “C’est une maison départementale, entièrement financée par le département”, rappelle Sylvie Carrega. Selon elle, le virage est cependant motivé pas “des problèmes juridiques suite à une décision à Nantes [début 2018, ndlr] qui aurait pu faire jurisprudence.” Ce qui n’a pas été le cas, puisque la cour administrative d’appel de Nantes a validé en octobre 2018 la subvention municipale au centre LGBT installé dans cette ville.

Élargissement thématique

“Nous avons été obligés d’élargir à la lutte contre toutes les discriminations et au final je pense que cela nous a permis d’aller dans le bon sens”, reprend l’élue. Le lieu englobe ainsi les trois thématiques prioritaires du COLD – homophobie mais aussi sexisme et harcèlement scolaire – et met dans la boucle les associations qui les défendent. Même si “une personne qui pousse la porte avec un problème de discrimination raciale sera aussi reçue. C’est un lieu pour toutes les victimes.” Des “ponts intersectionnels sur la question du harcèlement scolaire et du sexisme” qui sont salués par Philippe Amidieu de Fierté Marseille. 

Mais derrière l’élargissement, la focale se resserre sur les discriminations, là où les centres LGBT portent “également des actions sur la santé, la sensibilisation, le sport inclusif”, rappelle Céline Gross. Dans le projet initial, la dimension “lieu de vie, de culture et de détente” figurait en bonne place. “Ce sont d’abord des agents du département qui vont gérer, ce qui signifie que l’amplitude horaire n’est pas celle que l’on imaginait”, commente Philippe Amidieu. “Nous fonctionnons essentiellement avec des bénévoles, donc le soir et le week-end”, souligne Céline Gross. Des critiques que Sylvie Carrega met sur le compte de la “déception” face au modèle institutionnel retenu par le département. “Ils voulaient la mainmise sur le projet, avoir les clés, un lieu qui leur serait réservé”, résume-t-elle.

Arrivée en trombe de la Ville

La maison LGBT+ est un dû, une dette des institutions, attendue depuis trop longtemps.

Michèle Rubirola lors de la pride.

Soit l’esprit du projet d’origine, qui semble aujourd’hui repris par la Ville de Marseille. Quelques semaines après son arrivée, et alors que la date d’ouverture de la maison départementale se faisait encore attendre, la nouvelle municipalité a en effet soufflé le secteur en se disant prête à reprendre le projet. “Une maison autonome, qui vous permette de travailler, de développer vos associations et vos projets. Une maison qui vous donne de la visibilité, a lancé Michèle Rubirola le 4 septembre à l’occasion de la Pride, devant un hôtel de Ville éclairé aux couleurs de l’arc en ciel. La maison LGBT+ est un dû, une dette des institutions, attendue depuis trop longtemps.”

Après des années de tractations compliquées, “là, on a une mairie qui arrive et qui nous dit qu’elle entend ouvrir quelque chose très vite. Et on voit face à nous des gens qui comprennent les enjeux et qui ont envie d’avancer”, commentait Philippe Amidieu après une première réunion.

“Je ne suis pas persuadée qu’ils ne rencontreront pas les mêmes problèmes que nous.

Sylvie Carrega

Sylvie Carrega, qui s’est entretenue avec son homologue municipal Théo Challande-Névoret, confirme la similitude : “Tout ce qu’il m’a exposé, c’est ce qu’on n’a pas pu faire nous.” De là à coiffer le département sur le poteau… “Je ne suis pas persuadée qu’ils ne rencontreront pas les mêmes problèmes que nous – trouver un budget, un local, voir le juridique – et qu’au final l’accouchement ne soit pas tout aussi long.” Sollicité par Marsactu à plusieurs reprises depuis septembre, Théo Challande-Névoret avait souhaité attendre que le projet soit mûr pour présenter “une communication concertée” en accord avec les autres partenaires. Nous n’avons pas réussi à le joindre à temps pour la publication de cet article.

Il y a un enthousiasme, avec des signes forts, des drapeaux sur les mairies de secteur”, confirme Céline Gross, qui reconnaît cependant avoir “assez peu d’infos depuis”. “Lors d’une réunion avec les associations on nous a dit que c’était en cours. A priori nous serons associés pleinement.”

Le département financera-t-il un deuxième lieu ?

En septembre, Michèle Rubirola avait été jusqu’à “annoncer, le soutien de la région, du département et de la métropole. C’est un front commun, une union sacrée, pour co-élaborer et co-financer trois politiques publiques importantes ainsi que la feuille de route que nous continuons de construire ensemble.” Au département, Sylvie Carrega confirme avoir indiqué à Théo Challande-Nevoret que “les discriminations ne sont ni de droite ni de gauche et qu’il fallait essayer de travailler en coopération”. Mais, si la maison LGBT fait partie des trois sujets sur la table, avec le développement de la Pride jusqu’en 2025 et l’hébergement des jeunes rejetés par leur famille, le département se garde bien de commenter ce “soutien” qui lui est prêté. Surtout après avoir porté à 100 % son propre équipement. Idem à la région, où Nora Preziosi (LR) préfère développer le “soutien aux associations” de la collectivité.

Du côté des militants, Philippe Amidieu s’interroge sur sa capacité à “réussir à investir les deux lieux“, avec des équipes bénévoles réduites. “On aurait pu être relais de la maison départementale, apporter des ressources au centre de documentation. On verra si on nous recontacte, mais c’est vrai que pour l’instant les yeux se tournent vers la mairie”, considère Céline Gross.

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Les coulisses de Marsactu
En dépit d'une demande formulée dès septembre sur ce projet - sans suite - qui marquait notre intérêt pour ce sujet, Marsactu n'a pas été convié à l'inauguration ce mercredi, contrairement à d'autres médias. Nous n'avons ainsi pu échanger directement avec la présidente Martine Vassal à cette occasion ni faire de photo, mais Sylvie Carrega a accepté de répondre à nos questions le lendemain.
Julien Vinzent
Journaliste.

Commentaires

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  1. LN LN

    Sylvie Carrega… Éjectée du CCAS, la voilà qui resurgit dans le domaine des discriminations. Je rêve là non ? Va t elle pouvoir se payer des voyages aux couleurs de l’arc en ciel ?
    J’en peux plus de ce recyclage perpétuel au
    département ou à la Métropole.

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour, Sylvie Carrega est à ce poste depuis 2015, il s’agit plutôt d’un (ancien) cumul de mandats.

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Je rejoins le commentaire précédent. Mme Carrega avait eu les honneurs de Marsactu non pour sa compétence mais pour avoir largement trempé ses doigts dans le pot de confiture, à son profit personnel.

    La droite marseillaise, si prompte à dénoncer les voyous “d’ultra-gauche” (sic), devrait faire le ménage d’abord chez elle, où elle tolère visiblement la présence d’individus malhonnêtes qu’elle recycle sans honte. Mais pour cela, il est vrai qu’il faudrait d’abord avoir un minimum de dignité.

    Sur le fond du sujet, je ne suis pas surpris que la même droite, qu’on sait particulièrement peu ouverte sur les sujets de société, ait fait le nécessaire pour invisibiliser les associations LGBT+ et leurs luttes. Il n’y a rien à en attendre de ce côté-là, en dehors de grands discours.

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  3. pas glop pas glop

    Lorsque le département a fait connaître ce projet à certains interlocuteurs, il fallait faire vite du genre faites-nous savoir si vous êtes intéressé par ce projet car il se fera avec ou sans vous. A ce moment-là il fallait faire très vite notamment parce que des échéances électorales arrivaient… Pour autant plusieurs associations ont fait un énorme boulot qui débouche 3 ans et demi après sur quelque chose de très éloigné du projet initial. En espérant que ça ne soit pas juste une vitrine pour le conseil départemental…

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  4. Vitamines Vitamines

    Tout ce qui permet d’éviter de parler de la lutte des classes rend heureux le bourgeois de gauche.

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