Le collectif du 5 novembre met la politique municipale du péril au pied du mur judiciaire
L'association juridique née du collectif du 5 novembre attaque la Ville pour atteinte aux libertés fondamentales dans sa gestion de l'habitat indigne en péril grave et imminent. Ses avocats entendent que la justice enjoigne la municipalité à mettre fin aux carences de sa gestion.
Un immeuble en péril, rue Pythéas dans le centre de Marseille. (Photo BG)
Dans le bureau du maire, une horloge ornementale égraine les secondes qui séparent Jean-Claude Gaudin de son départ définitif de l’hôtel de ville. À quelques heures du jour de scrutin qui choisira son ou sa successeure, l’association juridique du collectif du 5 novembre a décidé d’attaquer la Ville devant le tribunal administratif pour des atteintes aux libertés fondamentales en matière de logement indigne, et singulièrement mis en péril.
Cette affaire arrive à l’audience des référés du tribunal, pour tenir compte de l’urgence que la multiplication des périls graves et imminents continuent de faire subir aux Marseillais. Les avocats de l’association, Shirley Leturq et Antonin Sopéna, citent en exemple la chute d’une corniche de la direction juridique de la ville, rue Sainte, la veille de l’audience. Heureux hasard, un représentant du service juridique de la Ville est d’ailleurs là pour assister l’avocat de la Ville, Olivier Grimaldi.
“Obliger une institution à agir”
Émanation juridique du collectif né au cœur de la crise humanitaire qui a suivi les effondrements de la rue d’Aubagne, l’association entend prouver que par ses errances, la politique municipale de traitement des immeubles en péril est illégale en ce qu’elle porte atteinte à des libertés fondamentales. “C’est la force de la procédure du référé liberté, elle permet au juge de s’appuyer sur une carence pour obliger une institution à agir”, explique Shirley Leturq, avocate de l’association lors de la conférence de presse que celle-ci organise. Elle nie vouloir faire le procès du maire mais veut permettre aux citoyens d’user de la justice pour favoriser la mise en œuvre de décisions structurelles qui viendrait pallier des carences ou protéger les libertés.
Le déclencheur de cette procédure est le courrier interne d’agents de la direction de prévention et gestion des risques (DPGR) adressée à leur hiérarchie et révélée par le mensuel le Ravi, en avril dernier. Une lettre qui a entraîné comme seule réponse une enquête administrative plutôt répressive, toujours selon le Ravi.
Dans ce courrier, ces experts et architectes font notamment état des dysfonctionnements de leur service en demandant à leur direction d’y mettre fin. Signalements non traités, délais incompréhensibles entre le passage de l’expert et la publication de l’arrêté, absence de travaux d’office… Les fonctionnaires inquiets donnent ainsi corps à l’ensemble des griefs que la presse a documenté depuis les effondrements. Pour les militants de l’association, elle permet de porter l’affaire devant le juge des référés afin qu’il enjoigne la Ville à mettre fin à ces désordres.
Quand le conseil d’administration de l’association prend la décision de porter l’affaire en justice au titre de l’atteinte aux libertés fondamentales, les élections sont loin et leur report probable. L’accélération du déconfinement et du calendrier électoral, les contraintes de la rédaction de la requête par les avocats bénévoles amènent finalement cette affaire à l’audience à quelques heures de la fin de la campagne officielle. L’avocat de la Ville arguait de ce carambolage pour demander le report de l’audience. En vain.
Les avocats du collectif demandent donc au juge de mettre en œuvre son pouvoir d’injonction pour obliger la Ville à agir en urgence. “Il ne s’agit pas de la politique de la ville ici mais de l’application du droit pour mettre fin à l’illégalité des manquements de la ville dans une urgence impérieuse”, plaide Shirley Leturq. En appui de ses dires, l’avocate expose “trois grandes familles de manquements” illustrées d’exemples précis.
2600 signalements non traités
Il s’agit donc de ces 2600 signalements non traités, cités dans le courrier interne à la direction de prévention et gestion des risques. L’absence de demande de concours de la force publique pour faire respecter les interdictions d’habiter qui amène “au squat et au saccage” d’immeubles évacués. L’absence de mise en place de périmètre de sécurité comme au 88, cours Gouffé. L’absence de travaux d’office mis en œuvre par la Ville pour pallier l’inaction des propriétaires. “C’est la Ville qui fixe elle-même le délai à l’issue duquel elle est tenue de les faire exécuter, insiste Shirley Leturq. C’est un aspect juridique et non politique”. L’avocate insiste en particulier sur ce point en rappelant qu’aucun marché spécifique ne permet à la Ville de faire réaliser ces travaux qu’elle-même prescrit.
Pour les deux avocats, l’ensemble de ces carences constitue des attentes aux libertés fondamentales comme le droit à la vie, le droit de la propriété, le droit d’accès aux documents administratifs, le droit à la vie de famille pour les 4000 délogés dont certains vivent toujours à l’hôtel.
En face, Olivier Grimaldi souffle et se plaint. Cette procédure ne mérite pas d’être audiencée. Il multiplie les raisons qui la rendent irrecevables. “Elle vise la Ville. Or, cette politique relève des pouvoirs de police du maire”, argue-t-il. Quant à l’association, elle serait dépourvue d’intérêt à agir, le périmètre de son objet social trop vague, trop large et imprécis.
Se prononcer pour ou contre la politique de la Ville
Surtout, l’avocat de la Ville estime que les demandes de ses confrères débouchent sur des mesures d’ordre structurel. “La preuve, c’est que les exemples cités dans les 50 pages du dossier ne sont que des illustrations, argumente-t-il. On vous demande de vous prononcer pour ou contre la politique menée par la Ville”. Il n’y a donc pour lui pas d’urgence qui nécessiterait une ordonnance imposant à la Ville de mettre fin aux carences de sa politique de gestion du péril.
En sus, l’avocat dit être missionné par la Ville pour répondre sur le fond. Il aligne donc les chiffres pour prouver l’action municipale depuis le 5 novembre 2018. “Il y a eu 2764 signalements, 3018 visites des services techniques, 578 évacuations et 571 saisines d’experts du tribunal administratif”, énumère-t-il. Il s’arrête sur ce point, ayant face à lui un magistrat du tribunal administratif. Il cite donc la présidente de ce même tribunal qui, lors de l’audience solennelle de rentrée, faisait le compte de l’évolution de ces saisines, année après année.
“Six saisines d’experts en 2017, 355 en 2018″
“Six en 2017, 355 en 2018, 510 en 2019, 578 en 2020. Cela démontre l’action de la Ville de Marseille”, insiste-t-il. Cela démontre aussi la rupture que la crise de la rue d’Aubagne a créée, agissant comme un révélateur des 40 000 logements potentiellement indignes notamment pointés par le rapport Nicol. Lui préfère déplier un vaste tableau, en illustration des efforts d’un service passé de sept à 25, puis 155 employés. “Ils seront sans doute 200 prochainement, prophétise-t-il. Les moyens humains sont là”. Il n’a donc pas lieu, pour lui, à ce que ça soit le tribunal qui serve d’aiguillon pour que les politiques mises en œuvre respectent au mieux les libertés fondamentales. “Ce sont des mesures d’ordre structurel qui seront décidés par le maire qui sera choisi dimanche soir, conclut-il. Ce ne sont ni moi, ni vous [le juge,ndlr], ni eux [l’association requérante, ndlr] qui vont décider de leur mise en œuvre”.
Au fond, c’est là où tout se joue. Pour l’avocat de la Ville, celle-ci fait au mieux, même si des carences existent. En face, le collectif du 5 novembre qui a manifesté, négocié, dénoncé, parfois en vain, trouve ici une nouvelle forme d’action qui, si elle est suivie d’une ordonnance qui va dans leur sens, peut ouvrir un nouveau champ des possibles. L’ordonnance du juge sera rendue en début de semaine prochaine. “Cela a une importance juridique, insiste Shirley Leturq. Selon la décision qui est prise, elle peut permettre aux citoyens de saisir la justice et que celle-ci prennent des mesures d’injonction d’ordre structurel. Et cela devient pour tous un enjeu démocratique“. Et cela quelle que soit la couleur politique du maire.
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