Radioscopie des Rosiers, un quartier abandonné : retour sur un plan de sauvegarde pour rien
Une nouvelle opération de réhabilitation des Rosiers est envisagée, dans le cadre du plan "Initiative Copropriétés", énième dispositif d'intervention des pouvoirs publics dans les copropriétés dégradées. Cette résidence a pourtant déjà fait l'objet d'un plan de sauvegarde de 2006 à 2008, avec 5 millions d'euros de travaux. Dix ans plus tard tout est à refaire.
Remis à neuf dan le cadre du plan de sauvegarde, le centre social des Rosiers est aujourd'hui à l'abandon.
L'enjeu
La cité des Rosiers est de nouveau une priorité des pouvoirs publics. Or, la copropriété dégradée a déjà fait l'objet d'un plan de sauvegarde de 2006 à 2008, sans redresser la situation.
Le contexte
Le gouvernement a fait des grandes copropriétés de Marseille, la priorité de son vaste plan de lutte contre le mal-logement. Les Rosiers ne sont pas classés en priorité nationale.
C’est la fête aux Rosiers. Ces journées “Architecture et environnement” de ce dernier week-end de novembre 2007 sont à marquer d’une croix. Pour son cinquantième anniversaire, la résidence s’est vu attribuer le label prestigieux de “Patrimoine du 20e siècle” par le ministère de la culture, avec une plaque posée en grande pompe en présence d’officiels. Les travaux de rénovation, commencés quelques mois auparavant, sont déjà bien avancés. Le centre social, partie intégrante de la copropriété, a aussi fait peau neuve. Au programme des festivités : l’inauguration des équipements culturels, un spectacle de coupé-décalé, et un théâtre-forum sur l’habitat.
Treize ans plus tard, il ne reste pas grand chose de ce premier programme de travaux. Le centre social a fermé. Si le bâti ne menace pas ruine, la copropriété offre toujours un paysage dégradé (lire le premier volet de notre série “radioscopie d’une cité”). Les Rosiers figurent parmi les priorités des pouvoirs publics, au titre du plan Initiative Copropriétés signé par l’État et la plupart des collectivités locales. En 2001, les Rosiers en étaient déjà une priorité : la copropriété venait d’être placée en plan de sauvegarde par le préfet des Bouches-du-Rhône.
Un outil pour une intervention publique dans le privéSi le droit à la propriété est inscrite dans la constitution, il existe plusieurs dispositifs permettant aux pouvoirs publics d’intervenir dans une copropriété qu’ils estiment en difficulté. Ainsi le Plan de sauvegarde est conçu pour influer sur l’ensemble des problèmes rencontrés par la copropriété- sociaux, techniques et financiers. Il se décline en plusieurs étapes, sous l’égide du préfet qui met en place une commission réunissant les représentants du département, de la mairie, des services concernés, mais aussi des représentants des propriétaires. Concrètement, il permet d’intervenir sur le traitement du bâti (parties communes et privatives), en faveur de l’assainissement des comptes et à rétablir la situation juridique de la copropriété.
À l’époque, les copropriétaires des Rosiers avaient sollicité les pouvoir publics pour une participation financière aux travaux de réhabilitation de la résidence, ainsi que pour une assistance concernant les problèmes sociaux et financiers. En janvier 2001, au moment de la signature de la convention du plan de sauvegarde, la copropriété des Rosiers cumule déjà une dette de plus de 521 000 euros, le bâti est dégradé et les habitants vivent sous tension, à cause de la rotation des locataires et de la petite délinquance.
“Situation comparable à celle des cités d’habitat social”
La cité prenait les flots depuis plus d’une décennie. Gabrielle Carles, l’ancienne présidente du syndic autogéré jusqu’en 1997 – récemment décédée – la portait à bout de bras, animant elle-même les assemblées et tenant les comptes dans ses cahiers, assortis de petites chroniques. “Les Rosiers accueillent de façon croissante et désordonnée des ménages très démunis, et se trouvent dans une situation comparable à celle des cités d’habitat social des quartiers en grande difficulté, à quoi s’ajoute une dégradation du cadre de vie”, y lit-on. Aujourd’hui, elle ferait sans doute le même constat.
En 2007, ce plan de sauvegarde est donc perçu comme l’ultime chance de redresser la cité de la dégradation, et lui redonner son lustre des premiers jours. Une commission est mise sur pied, réunissant L’État, la région, le département, la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, la Ville, le conseil syndical des Rosiers et Cogefim Fouque – son mandataire depuis 1997.
4,7 millions pour un vaste plan de rénovation
Les rôles sont répartis entre les différents intervenants : l’action sociale, la sécurité et le désenclavement des Rosiers seront pilotés par les pouvoirs publics, les travaux de rénovation par Cogefim en tant que maître d’ouvrage délégué. Pour ce faire, un budget de 4,7 millions d’euros est prévu, dont 15% – soit plus de 700 000 euros – à charge des copropriétaires. Une commission ad hoc est même créée pour apurer les comptes de la copropriété.
Tout le monde est mobilisé. L’agence d’architecture Baldassari-Sibourg, dont les clients principaux sont des sociétés de HLM présentes à Marseille, établit les plans et le cahier des charges. Les appels d’offres sont lancés pour les différents chantiers : étanchéité des toitures, ravalement et peintures des façades, consolidation des balcons, installation de compteurs individuels d’eau, mise aux normes des ascenseurs, etc. Bref, des travaux de grande envergure.
Dérapages dans les chantiers
Cependant, rien ne se passe comme prévu. Les travaux de façade démarrent, mais des incidents ont lieu : les ouvriers se font caillasser par des jeunes du quartier, largement touchés par le chômage. L’entreprise qui a remporté ce marché est une habituée des chantiers des copropriétés gérées par Cogefim, et a déjà ses ouvriers.
Alors, officiellement pour débloquer la situation, le président du syndic des copropriétaires de l’époque propose l’entreprise de son frère, KL Maçonnerie Peinture Façade, créée pour l’occasion. Celle-ci obtient des chantiers de peinture en sous-traitance et embauche des habitants du quartier.
D’après plusieurs témoins de l’époque, le travail a été bâclé. “Les façades n’ont même pas été nettoyées avant l’application de la peinture. Et j’ai même vu nos pots de peinture hydrofuge et anti-tags emportés vers un autre chantier à peine livrés aux Rosiers”, raconte l’un d’entre eux.
Quoi qu’il en soit, des travaux prévus dans le plan ont été oubliés. Les baies vitrées des plateformes, qui devaient être changées, ont été retirées mais pas remplacées, ce qui entraîne des inondations en cas de fortes pluies. La réfection des parties communes et le changement des portes fenêtres défectueuses sont passées à la trappe. Quant aux ascenseurs, huit mois après leur mise aux normes, ils ne fonctionnaient pas.
L’opacité du syndic
Pourtant, une commission de contrôle technique était prévue. Mais sans le dossier du plan de sauvegarde, détenu par le Syndic Cogéfim qui ne l’a pas restitué au conseil des copropriétaires des Rosiers, il est impossible de savoir précisément ce qui a mal tourné dans l’exécution du plan. Le rapport d’audit de Coproconseil, cabinet d’experts comptables indépendant spécialisé dans le contrôle des syndics (voir l’épisode 2 de notre série consacrée aux Rosiers sur sa gestion désastreuse) pointe d’ailleurs cette opacité. “Les travaux ont-ils été finis et tous facturés ? (…) Tous les fonds [les 700 000 euros à charge de la copropriété,ndlr] à percevoir ont-ils été perçus ?”, demande l’expert. Il souligne également que l’assemblée générale des copropriétaires des Rosiers avait voté une résolution autorisant Cogefim à assigner les acteurs du plan de sauvegarde “au titre des fautes et erreurs commises dans la gestion des travaux”.
Et de conclure sur ce point : “le syndic devra présenter au conseil syndical un bilan complet du dossier travaux « Plan de sauvegarde », aussi bien sur le plan technique que comptable (montant des marchés, facture des travaux réalisés, honoraires des différents prestataires, financement et fonds perçus)”. Des questions et une demande restées à ce jour sans réponses.
Un nouveau plan pour les Rosiers
Depuis 2018, les Rosiers ont été rattachés au plan “Initiative copropriétés” qui sera piloté localement par la métropole Aix-Marseille-Provence. “La copropriété des Rosiers, tout comme les copropriétés Bellevue, le Mail et Kalliste, a effectivement fait l’objet d’un plan de sauvegarde dans les années 2000, la Métropole n’existait pas alors”, explique Arlette Fructus, vice-présidente déléguée à l’habitat.
Elle poursuit : “redresser une copropriété de la taille des Rosiers est un tout autre engagement, qui nécessite de mobiliser plus de moyens et pas uniquement financiers. L’intervention peut aller jusqu’à la maîtrise foncière d’immeubles entiers. Ce sont des interventions longues. Si l’on prend l’exemple de Kalliste, c’est près de 40 millions d’argent public qu’il faudra injecter.” Et de conclure qu’un diagnostic technique est d’ores et déjà programmé pour les Rosiers courant 2020, afin “de bien comprendre l’ensemble des dysfonctionnement et ne pas se contenter d’invectives contre les marchands de sommeil, même si ce sujet n’est bien entendu pas à négliger”.
Les Rosiers, objet de tensions politiques
Adjointe à l’habitat jusqu’au dernier conseil de l’ère Gaudin, Arlette Fructus fait référence sans la nommer à la députée LREM Alexandra Louis qui réclame depuis plusieurs mois, notamment par voie médiatique un programme d’urgence pour Les Rosiers. Il y a un an, Arlette Fructus signait un communiqué commun avec deux autres élus municipaux pour fustiger “l’étrange amnésie” de la députée, accusée d’oublier les 4,3 millions d’euros du plan de sauvegarde pour la cité des Rosiers. Sans en tirer de bilan, Arlette Fructus rappelle que la cité est de nouveau prioritaire :
La copropriété des Rosiers fait ainsi partie des ensembles privés identifiés qui feront l’objet d’un diagnostic complet juridique et foncier afin que soient mises en place les stratégies adéquates d’interventions pour protéger les familles les plus fragiles. Ce programme d’actions est évalué à 300 millions d’euros.
Pour bâtir son Programme Initiative Copropriété, l’État a en effet pris conscience de la nécessité de mobiliser des moyens financiers accrus, ainsi que ceux de tous les acteurs concernés par la politique de la Ville. Avec la signature d’un accord partenarial en 2017 pour une stratégie d’intervention sur les copropriétés dégradées, les pouvoirs publics ont choisi de concentrer leurs moyens pour intervenir en priorité sur les 10 copropriétés qui rencontrent à Marseille le plus de difficultés.
Le Plan Initiative Copropriétés semble donc plus ambitieux qu’un Plan de sauvegarde. Il vise notamment, par l’acquisition d’immeubles des copropriété par des organisme HLM, à endiguer l’anarchie locative… et à accroître opportunément le parc de logement social de la ville de Marseille pour atteindre les 25% réglementaires sans avoir à mobiliser du foncier dans d’autres arrondissements.
“Il n’y a pas que le bâti, il y a l’habitant”
Ce énième plan suffira-t-il à résorber les problèmes pluri-dimensionnels des Rosiers ? Bien sûr, le Conseil des copropriétaires s’en réjouit d’avance, mais avec certaines réserves. “Notre priorité c’est que la résidence soit sécurisée, que sa voirie et ses accès soient entièrement refaits, indépendamment des travaux de rénovation. Ce nouveau plan doit contribuer à faire en sorte que les Rosiers ne soient plus un quartier sensible”, insiste Ludovic Candella, président du conseil syndical, après avoir fait l’inventaire de tout ce qu’il faudrait changer aux Rosiers… y compris la population.
“Il n’y a pas que le bâti, il y a aussi l’habitant. C’est pour cela que la Politique de la Ville est très importante”, avertit, sceptique, un responsable d’une association d’insertion par le logement. “La copropriété c’est un petit morceau de ville. Ce n’est pas parce que tu vas faire une OPAH [Opération programmée d’amélioration de l’habitat, ndlr] sur un quartier que tu auras tout gagné. Si tu ne mets pas une dynamique sociale, si tu n’introduis pas de la mixité, si tu ne travailles pas sur le commerce, le désenclavement, la mobilité des habitants, tu auras tout faux. On l’a vu à Bellevue où l’intervention n’a rien changé, et sur Kalliste où les plans de sauvegarde n’ont servi à rien.” Aux Rosiers comme ailleurs, tout commence par la volonté politique de mettre fin aux ghettos sociaux.
Actualisation le 26 février 2020 à 16 H 03 : suppression de la mention d’une société pour un marché qui lui était attribué par erreur.
Commentaires
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ok je veux bien tout entendre, argent détourné, ghettos mais lorsque je lis que les ouvriers du chantier sont caillassés, je ne comprends plus !! flûte pensez vs que les italiens, espagnols et portugais, fuyant par la misère dans leurs pays, qui sont arrivés pour travailler en France se retrouvait dans la même précarité et leurs enfants ne cassaient pas tout. Je pense que malheureusement (et je vais me faire traiter de racistes) certains habitants issus d’une immigration plus récentes laissent leurs enfants à la dérive !!
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Madame, je vous rappellerai un “petit detail” : au début des années 60, quand mes camarades de classe tournaient mal leurs parents, leurs instits leur disaient : ” si tu fiches rien à l’école on te mettra à l’usine”. Et je voyais mes voisins parqués à l’école communale en classe dite de “fin d’études” jusqu’à 14 ans (en cm2 le caïd qui copiait mes devoirs et me protégeait dans la cour avait 5 ans de plus que moi !) bientôt “devenir des hommes” parce qu’ils “ramenaient leur paie à la maison” chaque samedi et s’achetaient leur premier vrai blouson noir, plus tard leur première mob. Ce n’était pas le paradis des pseudo Trente Glorieuses, ils n’étaient toujoursiop pas des enfants de choeur mais ils avaient un de but de statut social identifiable.
La sécheresse des statistiques de l’emploi ne dit pas tout, mais elle se traduit très brutalement dans la vie des familles, et dans les formes de la délinquance juvénile — passage de vie adolescente ou dérive sans retour.
Ça, ce sont des souvenirs de vieux schnock, si vous en voulez une version sociologique et littéraire lisez Charlie Bauer.
Denier “détail” : beaucoup de ces anciens blousons noirs, n’ayant pas ou peu connu le chômage, ont été les premiers occupants des barres d’HLM qui poussaient partout où il y avait des usines, ont acheté ensuite leur appart, l’ont ensuite revendu ou y ont mis des locataires… et habitent aujourd’hui des banlieues pavillonnaires ou des noyaux villageois. Et ont peur de ceux qui ont entamé après eux le même parcours social et urbain mais ont été arrêtés à la case chômage et ghetto.
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Rien n’est simple, il est facile de dire c’était mieux avant. Avant la guerre de 1940 puis à l’époque des 30 glorieuses à Marseille le grand banditisme prospérait. La ville avait acquis avec la French connexion, le surnom, peu enviable, de petit Chicago. Certains des animateurs, si l’on peut dire, du grand banditisme étaient des Français d’origine italienne , telle que SPIRITO ou Mathieu et Gaëtan ZAMPA. Pourtant à Marseille et dans toute la région ,à l’époque les emplois, qu’on apprenait sur le tas , sans avoir fait « de longues études » étaient nombreux dans les industries alimentaires, les constructions et la réparation navale, la marine marchande, le commerce, la pétrochimie etc.. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En conséquence il est difficile pour des parents qui ont perdu leur emploi et ne parviennent pas à en trouver de servir d’exemple à leurs enfants. Quant aux parents qui ont un emploi, il ne leur est pas toujours possible de surveiller leurs enfants. Pensez par exemple à ces agents de sécurité qui travaillent la nuit ou à ses femmes qui nettoient également la nuit des locaux commerciaux, les bureaux etc. il faut lire sur ce sujet « le quai d’Ouistreham » par Florence Aubenas
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réponse à PromeneurIndigné :
que j’ai lu bien évidemment, car grand reporter, de gauche comme moi. Mais je reconnais ce que vs dites l’époque mafia, qui a commencé avec defferre etc.. Des familles dans la précarité avec beaucoup d’enfants, un salaire de misère qui ne permet pas de vivre. Mais car il y a un mais j’ai fait du soutien scolaire durant 7 ans dans des quartiers (Manosque 04) qui n’ont rien à voir avec ceux de Marseille. Et force a été pour moi de constater que beaucoup de parents ne travaillant pas (je ne dis pas qu’ils sont coupables de ne pas avoir de travail) mais ils sont chez eux et j’y ai vu leurs enfants en bas âge traîner jusqu’à très tard. Des enseignants désespérés de voir beaucoup de leurs élèves (ZEP à l’époque) absents de nombreuses fois, ils savaient très bien que les excuses n’étaient pas justifiées. On va pas refaire une politique de la ville maintenant mais je pense à mon âge (69 ans) qu’ils auraient fallu prendre ces familles en charge, les acccompagner, car venant de pays à la culture à mille lieux de la nôtre, des habitudes de vie qui n’avaient rien à voir avec l’immigration européenne du 20ème siècle, donc plus grandes difficultés à s’intégrer. (mais à l’époque je ne voulais pas le reconnaître), dédoubler les classes bien avant, ne pas créer de ghetto
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