L'intimité d'Andy Warhol dévoilée en huit cartons

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le 4 Fév 2015
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L'intimité d'Andy Warhol dévoilée en huit cartons
L'intimité d'Andy Warhol dévoilée en huit cartons

L'intimité d'Andy Warhol dévoilée en huit cartons

"When you're growing up in a small town". Un air de musique glisse dans le creux de l'oreille tandis que l'on fouille dans l'intimité d'une personnalité. Celle de l'artiste pop art Andy Warhol, dont les boîtes de carton de souvenirs déversent leur contenu – des bribes de vie et de sa carrière – dans les galeries du Musée d'art contemporain (MAC). Sur les 612 Time capsules qu'Andy Warhol a décidé de remplir d'objets, lettres, dessins et photos collectionnées de 1974 jusqu'à sa mort en 1987, huit ont été retenues et empruntées au musée éponyme de l'artiste à Pittsburgh (Pennsylvanie).

Chacune des Time capsules contient des éléments retraçant les évolutions de la carrière de l'homme, ses rencontres à la Factory – son atelier d'artistes ouvert à New-York en 1964 où se mêlaient fêtes, création artistique et consommation de drogues – mais aussi des morceaux éparpillés de sa vie intime. Le tout sur fond de l'album Songs for Drella, enregistré en 1990 par Lou Reed et John Cale en hommage à Warhol qui les avait accueillis au moment de la fondation du Velvet Underground. Les chansons tissent un lien invisible entre chaque capsule temporelle, dessinant une cohérence et un contour sensible à cette icône artistique du XXe siècle. Pendant près de deux ans, le commissaire de l'exposition, Thierry Ollat a travaillé avec l'album en fond musical pour qu'un "dialogue s'instaure avec Andy Warhol".

Ce jour là, le directeur du Mac organise la visite guidée pour Marsactu et décrit le cheminement de ces drôles de boîte : "Andy Warhol discute avec ses amis pour savoir quoi faire de ces Time capsules. Il pensait les sceller et les vendre à l'unité, mais finalement, il les garde ensemble et décide que ce sera une oeuvre posthume". Quand, en 1965, il rencontre Lou Reed et John Cale au Café bizarre de New-York, "il est séduit par leur musique assourdissante d'un genre nouveau". La porte de la Factory s'ouvre aux musiciens.

Open house

 

 

De son côté, Warhol entame déjà un tournant de sa carrière et annonce qu'il souhaite arrêter la peinture pour explorer d'autres contrées artistiques. Depuis 1962, "Warhol a déjà basculé dans le champ du pop art" notamment avec sa sérigraphie Green Coca-Cola Bottles​ qui détourne les codes de l'imagerie publicitaire. Il réalise également des portraits sérigraphiques de stars au destin tragique qui le fascinent comme Marilyn Monroe, Jackie Kennedy ou encore l'actrice Elisabeth Taylor alors atteinte d'une pneumonie. Mais c'est avec la série Death and Disaster (1963) où il réalise Silver Car Crash (Double Disaster), des photos d'accident "présentées comme des bandes de films qui sautent" qu'il s'essaie aux images animées.

Le chapitre cinéma s'ouvre donc alors que Andy Warhol acquiert une caméra Bolex qui permet de filmer des séquences de deux ou trois minutes. L'artiste réalise Eat, Sleep, et Kiss (1963), des séries de microfilms mis bout à bout avec une seule action. Il y filme nombre de ses amis comme Robert Indiana (Eat) ou encore John Giorno (Sleep), comme la plupart des personnes qui passent à la Factory. "Andy Warhol revient à l'origine du cinéma, décrit Thierry Ollat, il n'y a aucun effet de montage, on montre les raccords, l'enchaînement des bobines. Le ralentissement de l'image à ce moment-là donne l'impression d'être un peu flottant, comme si nous étions nous-même sous hallucination".

C'est aussi le cas de l'Empire, en 1964, où il est question de filmer l'Empire State Building nuit et jour, en plan fixe. Couch (le divan, 1964) dans lequel des couples homosexuels font l'amour, fait partie des films qui attirent l'attention du FBI, en croisade contre la pornographie ou ce qu'il considère comme tel. "Parce que le FBI demande la saisie des films lors des transports de bobine, Warhol devient un peu parano". Plus forte est l'obsession de Warhol pour les vidéos, comme le décrivent Lou Reed et John Cale.

Style it takes

 

 

Une Time capsule dévoile les interviews de diverses personnalités extraites de son magazine éponyme, "créé au départ avec Gérard Malanga en 69 pour montrer son cinéma expérimental, puis pour réaliser la promotion de jeunes artistes". Parmi ces entretiens "sélectionnés sous forme de reliques" apparaît celle de Truman Capote lequel, las de se sentir poursuivi par Warhol, laissera sa mère rabrouer l'artiste.

Au mur, un portrait de Mao Zedong paraît fardé de couleurs vives. Il est réalisé en 1972 au moment du retour de Warhol à la peinture et à la sérigraphie, lorsque celui-ci se lance dans les portraits des grands de ce monde. "La posture hiératique de Mao sur le petit livre rouge laisse place à une transformation du dirigeant en travesti," décrit amusé Thierry Ollat.

Comme un épisode douloureux que l'on souhaite oublier et ranger au fond d'un tiroir sombre de sa mémoire, l'une des Time capsules contient les souvenirs éparses d'un drame qui a failli ôter la vie à l'artiste. Ce jour-là, le 3 juin 1968, une activiste féministe Valérie Solenas – à qui Andy Warhol a donné des rôles mineurs dans des films – connue pour son appel à la lutte violente contre les hommes publié dans le SCUM Manifesto, tente d'assassiner Andy Warhol. A deux reprises, elle lui tire dessus à la Factory. Grièvement blessé, il survit tout de même à ses blessures. De nombreux témoignages de soutien lui sont envoyés tant par ses proches que par des admirateurs inconnus. "Avec toutes mes cicatrices, j'ai l'air d'une robe de Dior," plaisante-t-il alors. Pourtant, le traumatisme est réel. Celui de la contamination par le sida de certains de ses amis et compagnons s'ajoute bientôt. Toute la violence de cet épisode tragique est contenue dans la chanson des deux compagnons du Velvet.

I believe

 

 

Le disque arrive à sa fin tandis que le personnage dans tous ses excès de folie continue de se révéler par fragments. On apprend notamment – petite anecdote – qu'il envoie un jour un sosie à sa place pour présenter une conférence devant les étudiants de l'université. Malheureusement un étudiant découvre la supercherie, obligeant Andy Warhol à honorer ses futurs engagements. Son originalité ne s'arrête pas là : "Il devient un peu ésotérique à la fin de sa vie. Il pensait que les femmes vivaient plus longtemps parce qu'elles portaient des bijoux avec des pierres", raconte le conservateur du musée. Si Warhol en a peint une série (Gems – 1979), cela ne suffit pas à conjurer le sort : il meurt en 1987 des suites d'une banale opération de la vésicule biliaire et laisse derrière lui un empire du Pop art  et des compagnons de route qui chantent, "tout a l'air de se terminer avant même de commencer".

 

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    Merci.
    Très impatient de découvrir.

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  2. JL41 JL41

    Je ne fais que découvrir Andy Warhol, par la filière du Modern Pop Art. Cet article, minutieusement construit, est un petit bijou, avec les vidéos et chansons de Lou Reed et John Cale, qui font partie de cette exposition temporaire qui rehausse l’offre du MAC.
    C’est une exposition avec beaucoup de texte aussi, mais jamais lassants. On y découvre ce qui était attaché à la créativité de l’artiste, venu des Carpates et mort banalement vers ses 60 ans d’une opération de la vésicule biliaire. On y découvre aussi sa mère, venue partager son appartement, ainsi que ses amis et sa vie intime. On comprend à travers les images qu’il a retravaillées, qu’il avait une perception des « forces » de son époque au travers des personnages emblématiques qui l’ont marquée, ou qu’elle a mis en exergue. Manifestement, Andy Warhol pense que l’individu peut avoir une influence sur son époque et se saisit de personnages comme Marilyn Monroe et Mao, dont il se fait des modèles picturaux. Cette problématique est reprise dans les chansons de ses amis.
    J’espère ne pas avoir dit de bêtises. Il faut passer quelques heures au MAC pour se tremper dans cette ambiance. Les hôtesses d’accueil ne manquent pas d’humour. Il faisait très froid dans le grand hall d’accueil où elles officiaient, toutes emmitouflées, alors que l’exposition est bien chauffée. Moi : « et vous, on ne considère pas que vous êtes des œuvres d’art, on ne vous chauffe pas ? ». Rires : « si, mais nous on nous conserve » (au frais).
    Le site mac.marseille.fr ne répond plus, mais on trouve le MAC ici : http://www.marseille.fr/siteculture/les-lieux-culturels/musees/le-musee-dart-contemporain/exposition-temporaire
    Pour y accéder, à partir du Rond-point du Prado, prendre les bus 23 ou 45 et descendre à Haïfa-Marie-Louise.
    En voiture on ne trouve pas facilement à se garer, mais il y a pas mal de ronds-points autour desquels on peut tourner.

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  3. leravidemilo leravidemilo

    C’est une très bonne initiative même si, perso, je ne partage guère d’enthousiasme pour son oeuvre picturale; par ailleurs, victime de son succès, il était devenu, à la fin, une institution à lui tout seul, charriant dans son sillage le bon et le moins bon, effets de mode et autres branchitude… Dave Van Ronk, “grand frère” des B Dylan, T Paxton, J Collins, et autres P Och, “maire” très honoraire de greenwich village, parlant de l’arrivée d’Andy Warhol à la fin de cet incroyable moment créatif que fut la “panique folk”,disait : “quand le blondinet arrive, avec sa bande, c’est que la fête est finie”. Il aurait été tout de même très intéressant de voir quel aurait été son regard sur notre époque, et notamment sur certaines de ses obsessions, comme les ronds points, par exemple (c’est la chute du post de JL41 qui m’y fait penser). Je lui suis très très reconnaissant, en tous cas, et pense que nous lui devons beaucoup, pour tous les artistes qu’il a accueillis et considérablement aidés, en particulier pour le velvet underground et plus encore pour Lou Reed (Hey man, take a walk on the wild side, tou toulou toulou…).

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