Le nom de Marseille
Le nom de Marseille
La journée d’hier aura marqué l’année 2020 de la politique marseillaise locale dès son aube. Report du procès d’Henry Jibrayel, démission d’Arlette Fructus de sa délégation (à deux mois des élections et après six mois pendant lesquels les associations n’ont eu de cesse de dénoncer ce qu’elle finit par admettre, passons…) et bien sûr, l’inversion des rôles entre Benoit Payan et son binôme au Conseil Départemental Michèle Rubirola. L’information circulait déjà au sein de la gauche locale et des organisations écologistes depuis vendredi dernier, mais l’annonce a tout de même eu l’effet d’une sacrée bombe. Bien sûr, il faut saluer le sursaut d’humilité, peut-être la prise de conscience honorable que les progressistes ont besoin de lever tous les obstacles afin de pouvoir décider avec les marseillais·es de notre destin commun. Je n’y déroge pas, et salue sans problème ce pas en avant.
La soirée d’hier aura été un concentré de ces derniers mois, faite d’appels téléphoniques, de questionnements et de recherche de solutions. Je plains tellement les ami·es du PCF qui en pleine assemblée générale ont reçu la nouvelle et improviser un positionnement. Car quoiqu’il n’en paraisse dans les réseaux sociaux et dans la presse, nous sommes nombreux, peu importe notre étiquette, à chercher inlassablement une solution solide pour construire un message collectif et décidé à ne plus laisser notre ville s’effondrer. Cela est difficilement lisible, j’en conviens, mais des débats politiques profonds nous ont bien plus agité que des débats de personnes. A vrai dire, du côté des mouvements sociaux et citoyens, la question des têtes de listes n’a en réalité commencé à apparaitre que … le 15 décembre. Personne ne veut me croire lorsque j’explique cela, mais pourtant… Peut-être était-ce tardif d’ailleurs, j’en conviens également.
Espérons que les trois rassemblements existants, le Pacte Démocratique pour Marseille, Debout Marseille et le Printemps Marseillais, trouveront rapidement la nécessaire formule dès ces prochains jours. Nul ne le sait, tout le monde l’espère, chacun la cherche (je crois…). Une chose est certaine, c’est que s’ouvre désormais une séquence faite d’au moins trois risques, trois paradoxes apparents et que nous devons lever dès maintenant.
Le premier, c’est que dès l’annonce du retrait du candidat socialiste, les invectives n’ont pas cessé sur les réseaux sociaux, venues de dirigeants politiques, de militants ou de sympathisants. Il faut de suite appeler à un apaisement. La gauche et le mouvement écologiste marseillais, du fait des crises successives que nous connaissons depuis une dizaine d’années, a été fragilisé. Son manque d’ancrage social et dans les mouvements sociaux, dû en partie au contexte national et à sa désaffiliation trop récente et encore partielle de l’ère clientéliste, a également freiné le renouvellement de ses effectifs. Nous ne pouvons nous permettre une ultime série d’invectives motivées par les rancœurs accumulées. Personne ne détient le monopole de la vérité ni de l’éthique. Chacun va au contraire être amené à prendre ses responsabilités.
Le second paradoxe apparent est plus important encore : l’annonce de la fin d’un débat sur le nom du ou de la candidate municipale risquerait de nous bloquer … à un débat sur le nom. En effet, l’annonce (et l’intéressé n’y est a priori pour pas grand-chose) du retrait d’un nom au profit d’un autre conduit quasi mécaniquement tout le monde à focaliser sur cet enjeu, comme si c’était là la seule chose qui avait divisé la gauche et les écologistes. Je ne nie pas que ce débat ait existé ici ou là, bien sûr. Mais il n’a jamais porté tant sur la personne que sur ce qu’elle incarnait et sur ce que ce nom disait du message politique qui serait porté. Pour le dire brièvement, doit-on porter au pouvoir municipal une incarnation toute puissante et héritière d’une façon professionnalisée et contestée de faire de la politique ou devons-nous au contraire défendre et incarner le projet d’une ville qui partage ses décisions et cesse de faire de la politique un métier ? Ce débat risque paradoxalement, là où l’on pense qu’il va pouvoir être enfin posé, d’être invisibilisé et dépolitisé, pour se concentrer sur le symptôme et non le problème. Pour le dire plus clairement : dire que seul le nom bloquait est faux (malgré ce qu’il apparait médiatiquement), mais le dire risque d’en faire une vérité bien tenace.
Enfin, le dernier risque paradoxal est profondément lié aux précédents, il en est même une déclinaison : si le débat sur le nom est levé (provoquant un regain de débat sur le nom, vous me suivez ?), la fin de la récré devrait être sifflée. Plutôt que permettre l’ouverture (enfin !) d’une discussion qui aille au-delà des stratégies de communication et qui porterait sur l’horizon que nous nous proposerons à nous-mêmes, marseillais, nous risquons donc de fermer la porte à tout débat. La logique d’hégémonie d’un rassemblement sur l’autre pourrait être renforcée là où on s’attend à ce que chacun « baisse la garde » et se reparle, se dépasse. « Ralliement », « assez de débats ! » criera-t-on. Sommes toutes, cela semble logique, tant la ville entière est épuisée des divisions à droite comme à gauche, moi le premier. Pourtant, il me semble qu’une fois les crispations antérieures levées par cette annonce, un véritable débat de fond sur notre message politique commun pourrait justement permettre à chacun d’accepter un nom ou un autre. Surtout, on ne gagne pas une campagne électorale sur un nom mais sur une équipe, un programme, une idée-clef. Décider d’une ville ensemble, à commencer par nos familles politiques, puis à l’échelle de la ville, ne se fait pas en une semaine, a priori. C’est pourtant le temps que nous avons devant nous, ou à peine plus.
Fort heureusement, des mouvements citoyens ou « sociétés civiles » de différentes étiquettes (pour le dire vite : gauche classique, mouvements sociaux écologiste, syndical et local) ont renoué un dialogue très serré depuis environ un mois et ont avancé, ont fait se rejoindre les programmes assez aisément, de l’aile écologiste au mouvement syndical. Il apparait aussi de ces discussions que renouer avec le message unitaire qui a ébranlé Marseille depuis le 5 novembre 2018 semble à toutes et à tous la voie la plus naturelle à suivre. Le mouvement actuel pour les retraites, dans la continuité de celui des Gilets Jaunes, sa puissance, prouve d’ailleurs la disponibilité de dizaines de milliers de personnes à prendre notre destinées en main. Plutôt que de mettre en scène la pureté chimique de la participation citoyenne de chacun, il faudrait donc simplement nous replacer dans la continuité de ce que le mouvement citoyen produit depuis de longues années : l’alliance entre classes populaires, moyennes et intellectuelles, la maturité de l’expertise citoyenne et de ses figures centrales, l’émergence d’un pouvoir citoyen qui ne demande qu’à éclore réellement. Problème : la campagne à gauche a semblé reculer ces derniers mois au profit des logiques d’appareils, des revendications légitimes du mouvement social ont été supprimées de certains programmes, les acteurs et actrices des mouvements sociaux et des quartiers populaires s’affrontent à une grande difficulté de se faire entendre. Il n’y a pas à « créer » l’implication citoyenne. Celle-ci existe déjà et ne demande qu’à briser le plafond de verre qui lui a longtemps été imposé. Les partis politiques ont tout à gagner à se replacer dans cette continuité, à la place qui a toujours été la leur et qu’ils savent prendre lorsque le moment politique le réclame.
Voilà ce qui ces prochains jours pourrait provoquer un choc de bon sens, un renouement avec notre élan commun, nous permettre de former une liste et un programme à l’image de la pluralité de Marseille, dépassant les frontières sociales et urbaines, décidant ensemble de partager le pouvoir plutôt que de le concentrer.
En se posant enfin les bonnes questions, alors peu importe qui incarnera cette liste. Nous savons de toutes façons que nous saurons être pluriels et collégiaux. J’ai bien sûr une intuition qu’un acteur ou une actrice du mouvement social permettra plus facilement ce consensus et portera un message plus clair, mais beaucoup d’autres solutions sont possibles. Le tout est de formuler correctement notre problème pour pouvoir faire bénéficier à Marseille de la force collective des marseillais et marseillaises. Allé, chiche, une bonne journée de travail et un apéro citoyen pour conclure, et Marseille renaîtra de son effondrement et ses forces de progrès avec elle.
N.B. : j’écris à chaud, pardonnez les fautes et imprécisions, voire de possibles erreurs d’analyse mais je livre cela tel quel. Et bien sûr, j’écris en mon nom propre et n’engage personne d’autre.
Commentaires
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“Le mouvement actuel pour les retraites, dans la continuité de celui des Gilets Jaunes, sa puissance, prouve d’ailleurs la disponibilité de dizaines de milliers de personnes à prendre notre destinées en main. ”
On peut effectivement l’espérer mais les faits sont têtus : ces mécontentements qui confinent, voire se transforment, en mouvement sociaux d’ampleur, ne se sont point traduits par des votes qui pourraient indiquer que vous voyez juste.
A la lecture des derniers scrutins, c’est même plutôt le contraire ?
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Merci à vous Kévin pour ce billet.
Une remarque toutefois. Vous dites :” Il n’y a pas à « créer » l’implication citoyenne. Celle-ci existe déjà et ne demande qu’à briser le plafond de verre qui lui a longtemps été imposé” .
Pourtant à ce jour et sauf erreur de ma part sur un appel large à des candidatures citoyennes , seuls un peut plus de 40% des postulants attendus se sont manifestés. Entre exiger de la participation et s’engager vraiment pour qu’elle devienne réalité, il y a un pas que certains ne parviennent manifestement pas à franchir … Bien à vous.
Christelle HILAIRE
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