La région voudrait bien mettre la main sur les compétences de l’État en matière de culture

Enquête
le 5 Déc 2019
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Alors que le gouvernement pousse pour davantage de décentralisation de ses compétences vers les régions, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, Renaud Muselier se propose de prendre à son compte le domaine culturel. Une démarche inédite qui suscite une forte appréhension parmi les professionnels. Ces derniers craignent des dérives, notamment en cas de passage de la collectivité à l'extrême-droite.

La région voudrait bien mettre la main sur les compétences de l’État en matière de culture
La région voudrait bien mettre la main sur les compétences de l’État en matière de culture

La région voudrait bien mettre la main sur les compétences de l’État en matière de culture

L'enjeu

La région envisage de reprendre tout ou partie de la compétence culture de l'État au nouveau local. Une intention qui inquiète les professionnels de la culture.

Le contexte

L'État et la région ont entamé les négociations du contrat de plan 2020-2027. Or, un projet de loi prochain prévoit de rétrocéder davantage de compétences aux régions.

Sans faire trop de bruit, la région tente une petite révolution culturelle. Dans les négociations pour le prochain contrat de plan État-région 2020-2027 – la convention qui formalise les partenariats entre l’État et les collectivités locales -, le président de région LR Renaud Muselier a glissé une proposition inédite, celle d’exercer les compétences de l’État en matière de culture. Plus précisément, de mettre en place “soit une décentralisation expérimentale”, “soit un exercice de la compétence par la région pour le compte de l’État”.

À ce jour, le rôle de l’État dans la culture est tout sauf secondaire, principalement via les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Ces services déconcentrés dans les régions pilotent les financements, coordonnent la diffusion mais aussi les labellisations pour tous les domaines artistiques, du livre, de l’audiovisuel, du patrimoine. Pour ce qui est de la région il ne s’agit pas d’une compétence majeure, même si elle représente 3 % des crédits, avec un fort tropisme pour le spectacle vivant et notamment les différents festivals du cru, tout de même loin derrière les transports, l’économie et les lycées.

Pourquoi aujourd’hui remettre en question cette répartition des rôles ? La démarche de Renaud Muselier s’inscrit en fait dans une réponse à l’annonce du Premier ministre d’un projet de loi intitulé “décentralisation et différenciation” prévu pour “la fin du premier semestre 2020”. Une loi qui vise à “achever les transferts de compétence déjà entamés, en supprimant les doublons, et à examiner de nouveaux transferts, dans les domaines du logement, des transports, de la transition écologique”. C’est donc dans cet élan que la région met sur la table la possibilité de reprendre des compétences en matière de culture, mais aussi de gestion des déchets et d’économie. Mais c’est dans le premier domaine que la proposition est la plus complète et inédite, puisqu’elle n’était a priori pas suggérée par le gouvernement.

“On ne veut pas fermer la DRAC”

Dans l’entourage du président de région, on minimise l’ampleur de la démarche : il ne s’agirait pas d’aller vers un transfert de compétences à proprement parler, mais vers une simplification passant par “des accords, des conventions, des groupes d’experts communs”. “Ce ne serait pas une fusion, on veut harmoniser les pratiques de soutien, pas fermer la DRAC et reprendre tous les agents !”, nous indique-t-on. Tout en indiquant qu’à ce jour, rien n’est joué : “C’est le début d’une phase de réflexion, et à la fin c’est le Premier ministre, et la loi, qui trancheront”. 

La région lorgnerait plusieurs dossiers comme le cinéma et l’audiovisuel, le livre et l’art contemporain.

Selon les éléments que nous avons pu recueillir, la région lorgnerait plusieurs dossiers dans lesquels elle est déjà fortement associée à l’État, comme le cinéma et l’audiovisuel, le livre et l’art contemporain, via le FRAC (fonds régional d’art contemporain). Dans ces domaines, la collectivité pourrait percevoir directement les crédits de l’État et les administrer en son nom, donnant forme à une sorte de “guichet unique” du financement de la culture. Le patrimoine et les monuments historiques, qui représente un pôle majeur de l’action du ministère de la culture en région, ne serait en revanche pas concerné. Une première expérimentation du genre a été mise en place par le passé, en 2013, pour la région Bretagne. Le transfert de compétences n’a finalement porté que sur des domaines précis, notamment l’audiovisuel et les langues régionales.

Fronde dans le milieu culturel

La démarche de la région n’a pas manqué de susciter l’inquiétude au sein des milieux culturels locaux. “Cela provoque une forte émotion dans la profession à divers titres”, analyse Pierre Sauvageot, délégué régional du Syndeac, syndicat des entreprises et acteurs culturels. Il regrette notamment l’absence de concertation préalable avec les principaux concernés, mais aussi le risque de dérives clientélistes dans les choix de politiques culturelles. “La proximité politique ne va pas bien avec l’autonomie, argumente-t-il. L’État ne fait pas forcément mieux que les autres collectivités, mais il est plus loin, ça permet une distance et plus de liberté dans les choix artistiques. On a besoin de proximité et d’autonomie. C’est une question de principe, ce n’est pas contre Muselier lui-même.” Le représentant syndical pointe le risque en cas d’alternance dans la majorité régionale : “On est dans une région où, si le Parti socialiste ne s’était pas désisté, on aurait Marion Maréchal-Le Pen à la présidence. Le danger est réel”. 

Le Syndeac et trois autres organisations ont envoyé une série de lettres d’interpellation au ministre, mais aussi à Édouard Philippe et Emmanuel Macron. Une telle perspective constituerait un véritable tsunami à l’encontre de la politique culturelle nationale conduite sous l’impulsion de l’État et la demande de Monsieur Muselier nous paraît ainsi hautement dangereuse et inadmissible pour les professionnels de la culture”, écrivent-ils.

La fin d’une “politique culturelle nationale” ?

Au niveau national aussi, des alertes ont été lancées devant ce qui paraît aux yeux de certains comme une expérimentation visant à se généraliser. D’autant plus au vu de l’élection récente de Renaud Muselier à la tête de l’association des régions de France, qui pourrait agir en “éclaireur”. Par communiqué, la CGT Culture a alerté le ministère :

“De plus en plus de régions affichent une volonté de décentraliser des pans entiers de la culture. Sous prétexte d’expérimentation, et sous la forme de guichet unique pour les subventions de la création et des industries culturelles, elles veulent contrôler les subventions accordées par l’État. Si la CGT est favorable au dossier unique pour faciliter les démarches des usagers avec une plate-forme internet dédiée, nous voulons aussi que chacun des partenaires conserve ses critères propres à l’allocation de subventions.”

La CGT craint de voir les DRAC “se faire dépouiller” et les services déconcentrés du ministère disparaître.

Endossant les questionnements du monde culturel, le député PCF de Martigues Pierre Dharréville a interrogé gouvernement par écrit, le 26 novembre dernier afin de savoir si une réponse positive à la démarche de la région PACA est possible. “Une telle décision engagerait le démantèlement du ministère de la culture, écrit-il, et priverait l’État de leviers garantissant la mise en œuvre d’une politique culturelle nationale. De nombreuses inquiétudes sont en train de grandir parmi les acteurs culturels. La force du modèle français, aussi fragilisé soit-il, n’est-elle pas de pouvoir croiser différents niveaux d’intervention ?”. Le parlementaire espère recevoir une réponse prochainement. “Ce sujet mérite de véritables discussions publiques”, défend-il.

Le ministre de la culture à la rescousse

Lors de son passage à Marseille la semaine dernière, le ministre de la culture Franck Riester n’a pas pu échapper à la question. Lors d’une rencontre informelle à au théâtre de La Criée, il se serait montré “plutôt rassurant”, selon Pierre Sauvageot du Syndeac. Samedi matin, il a ensuite rencontré le président de région. Lequel s’est ensuite fendu d’un communiqué plutôt ambivalent où la question de la décentralisation est centrale. Selon le texte, les deux hommes auraient “réaffirmé leur souhait partagé de travailler de concert pour conforter l’engagement public en faveur des arts et de la culture”. Façon de dire qu’au-delà, rien n’est tranché ? Le ministre sera-t-il d’ailleurs seul à décider, ou la négociation finale se jouera-t-elle plutôt au dessus de sa tête ? Sollicité, le ministère n’a pas donné suite aux demandes de Marsactu. L’inquiétude des professionnels de la culture a en tout cas été évoquée par les deux hommes, le communiqué indiquant que tous les changements dans la politique culturelle se feront “en étroite liaison avec les professionnels”.

Sentant la fronde monter, la région a en effet annoncé qu’elle avait saisi le CESER, le conseil économique, social et environnemental régional, instance consultative indépendante, pour avis. “Une fois qu’on aura ce retour, on confirmera ou pas la demande. Si personne n’est d’accord, on n’ira pas”, assure-t-on dans l’équipe de Renaud Muselier, où l’on reconnaît que la proposition faite au gouvernement dès septembre a pu paraître “abrupte”. L’idée est toujours sur la table, mais il s’agit désormais d’arrondir les angles, comprend-on entre les lignes.

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Commentaires

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  1. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    l’état se désengage de tout, sauf qu’il faut que les régions soient à la hauteur et je doute qu’à Marseille ce soit le cas, sachant qu’il y a eu un article de Marsactu sur le management de muselier avec le personnel, autoritarisme, clientélisme au sein de la région,

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  2. Input-Output Input-Output

    Il a raison. C’est un bon plan d’avoir encore plus de crédits pour faire de l'”affichage”…Demandez à l’autre…

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  3. Alceste. Alceste.

    Les élus de droite ont déjà toutes les manettes .L’éducation avec sa politique d’école de curés notamment avec la bonne sœur Martine, la presse avec la Provence et Nice Matin qui sont de véritables beni oui-oui à leurs égards et enfin FR3 qui sont les rois du cirage de pompes. Reste la culture.. Alors la peur du grand méchant loup est avancée avec l’extrême droite Tu parles avec la porosité entre les LR et le FN , avec les discours et les mesures prises nous l’avons déjà, ce FN.
    La culture est un prétexte , ce qui les passionnent c’est les sous. Ne leurs donnons pas , ils en feraient un mauvais usage

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    • Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

      ah je suis contente que quelqu’un d’autre reste avec l’appellation FN pour moi c’est à vie FRONT NATIONAL = DANGER

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  4. eolienne eolienne

    Tout à fait d’accord avec la déclaration de Pierre Sauvageot. En effet l’éloignement de l’Etat limite le clientélisme local dans le domaine de la culture, même s’il ne fait pas mieux. Soit la culture n’est pas indépendante de la politique, toutefois je n’oublie pas qu’elle doit refléter, exprimer la pluralité des aspirations humaines. Alors éloignons-là des prégnances locales pour lui conserver son rôle de surplomb, de réflexion et aussi d’imaginaire.

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    • Jacques89 Jacques89

      Bien d’accord! S’il y a un domaine qui ne peut que souffrir d’une décentralisation c’est bien la culture. La réduction des projets à une échelle régionale ne conduirait qu’à une augmentation des communautarismes sous prétexte de “traditions” qui reste la base du populisme. Par ailleurs, la tendance devrait, au contraire viser la réduction les compétences confiées aux collectivités locales qui, globalement, nous montrent qu’elles font un peu n’importe quoi avec nos impôts. Marseille en est d’ailleurs la caricature.

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  5. Minh Derien Minh Derien

    Si je comprends bien :
    – Les personnels de la DRAC n’imaginent pas que l’Etat puisse passer à l’extrême-droite ! Ils ne le craignent qu’à l’échelon territorial (ville, département et surtout Région). Pourtant, avec les jeux troubles de Macron/Le Pen, il y a de quoi se poser des questions…
    – Il n’imaginent pas non plus que l’Etat puisse supprimer un de ses départements ministériels et confier aux “acteurs” et au “secteur économique” , le soin de gérer le champ culturel. Pourtant, il s’avère que, même avec la perspective des Jeux olympiques de 2024, c’est exactement ce que fait l’Etat dans le domaine du sport, et ne parlons même pas de celui de la Jeunesse qui a été totalement déserté et dont ne subsiste que la résurrection des chantiers de jeunesse relookés en “service national universel” !

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  6. Manipulite Manipulite

    La photo savoureuse en couverture de l’article de Marsactu donne une idée de ce que serait la culture complètement entre leurs mains.
    A côté de Muselier à la tribune :
    -Xavier Cachard, son avocat, ami, et surtout marchand de sommeil Rue d’Aubagne ; naguère Vice-président aux Finances et Président de la commission d’appel d’offres du Conseil régional.
    -Bernard Deflesselles : Conseiller régional , dernier exploit en date : il est l’un des 4 députés des Bouches du Rhône qui ont voté l’amendement LREM et Modem en faveur de l’huile de palme.

    Quant aux aides à la culture, interrogez les petites associations qui se sont vu sucrer brutalement leurs subventions et qui ont dû licencier dans les quartiers en difficulté où les actions culturelles restaient le seul lien social.

    Interrogez Denis Robert le réalisateur qui avait fait un film sur les méthodes d’extrême droite d’une commune du Var et à qui la subvention décidée par le Conseil régional a été du jour au lendemain supprimée par un obscur conseiller de Muselier etc…

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  7. Germanicus33 Germanicus33

    La culture doit rester une compétence de l’état!
    Le MuCEM a été ouvert par l’État: jamais la région n’aurait pu faire aboutir une telle réalisation: ell

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    • Germanicus33 Germanicus33

      La Région n’arrive même pas à gérer la VILLA MEDITERRANEE!
      Alors,

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