[Entretien] Les jardins collectifs, laboratoires de la (bio)diversité
[Entretien] Les jardins collectifs, laboratoires de la (bio)diversité
Lorsque Jean-Noël Consalès, géographe et urbaniste a démarré sa thèse intitulée “Les jardins familiaux à Marseille, Gênes et Barcelone : laboratoires territoriaux de l’agriculture urbaine dans l’Arc Méditerranéen”, ses collègues l’ont perçu comme un original. Dix ans plus tard, la question n’est plus anecdotique : il coordonne le projet Jassur (jardins associatifs urbains) avec l’ANR (agence nationale de recherche) une étude menée dans plusieurs points de l’hexagone sur la question des jardins collectifs. Et justement, avec près de 850 parcelles de jardins familiaux recensées sur Marseille et l’émergence de près de vingt-cinq projets de jardins collectifs, la question mérite d’être posée localement.
Marsactu : Lors de l’écriture de votre thèse, vous affirmiez que les jardins familiaux de Marseille peinaient à s’implanter dans le contexte urbain. Aujourd’hui, les choses ont-elles changé ?
Jean-Noël Consalès : Oui. Dix ans après, cette affirmation doit être relativisée car il y a eu une évolution. Il existe désormais une dynamique positive et manifeste, avec une poussée des jardins en ville partout en France et à Marseille également. Il faut aussi distinguer les jardins familiaux comme Joseph Aiguier – hérités d’une histoire ancienne, celle des jardins ouvriers – et les jardins partagés ou d’insertion comme l’Eden à la Belle de mai, plus récents.
Dès le début des années 2000, il y a eu une tentative d’adoption d’une loi visant à clarifier les différentes formes de jardins et à les réunir sous une même législation, sous le terme générique “jardin collectif”. Elle n’est jamais passée. Du coup, les jardins familiaux, structurés en associations, sont les seuls à bénéficier d’une loi spécifique, de dispositions particulières dans le code de l’urbanisme qui les protègent sur le plan foncier de l’urbanisation.
Ces jardins peuvent aller à l’encontre d’une volonté d’urbanisation et pourtant, en dix ans, les initiatives n’ont cessé d’apparaître à Marseille, parfois soutenues par les collectivités. Comment expliquer cela ?
Comme les jardins partagés ne sont pas couverts par un cadre légal, le foncier est moins protégé. Il est donc moins compliqué pour les collectivités de soutenir de telles démarches, moins contraignantes pour elles si elles veulent récupérer le terrain. Il faut savoir que la Ville de Marseille a établi une charte des jardins partagés et les collectivités territoriales encouragent ces démarches qui coûtent moins cher en entretien que des parcs publics par exemple, dans la mesure où ce sont des bénévoles ou des associatifs qui s’en chargent. Par contre il existe un bémol : celui de la décision politique relative à la question de la pérennité de l’espace. Car à un moment, la question du choix foncier et de l’urbanisation se pose : la rentabilité des jardins est moins immédiate que dans le cadre de la construction de logements et de bâtiments.
Dans votre thèse, vous évoquiez la fonction sociale des jardins partagés. A l’époque, les dimensions environnementales et paysagères semblaient secondaires. Est-ce toujours le cas ?
Ces deux dimensions le sont beaucoup moins. Les jardins sont de véritables laboratoires du développement durable et les différentes fonctions se retrouvent actuellement en synergie. Si les jardins démarrent avec un côté social établi, à un moment donné se pose la question de ce que l’on fait dessus et de comment on produit. Depuis dix ans, on constate une prise en considération du paramètre environnemental par les associations qui portent le projet. Il y a une émancipation de l’espace, de plus en plus écologique.
En plus de la fonction d’animation sociale et culturelle, la présence du jardin a un impact sur les pratiques alimentaires, avec une recherche qualitative, mais aussi un impact sur l’économie familiale – plutôt en précarité – et un autre sur l’environnement et la biodiversité.
Ce dernier est avéré avec l’entretien d’espèces animales et végétales très diversifiées. Les jardins portent une biodiversité domestique, c’est-à-dire que chaque jardinier apporte des variétés traditionnelles, héritées de ses grands-parents, selon leurs origines.
Avec la crise, la fonction alimentaire prend-t-elle davantage d’importance ?
C’est vrai que depuis celle-ci, cette relation au jardin revient sur le devant de la scène mais pas autant à Marseille et en France que dans le reste de l’Europe, où des pays l’ont subie de plein fouet. En Espagne par exemple, les jardins se sont multipliés. De plus en plus tout de même, on observe un rôle des jardins français dans l’alimentation des familles les plus précaires. Il a un rôle éminemment qualitatif car l’accès aux jardins questionne les gens sur leurs pratiques alimentaires. Mais ce qui est flagrant, c’est qu’il y a autant de rôles attribués aux jardins qu’il y a de jardiniers. Chacun vient y créer son histoire. Si les jardins avaient seulement une fonction ornementale, cela se saurait, il y aurait des fleurs partout.
Selon vous, ce désir serait également motivé par une volonté de retour au rural, perçu comme une sorte de refuge, d’espace de sécurité en milieu urbain…
Ce besoin de nature s’ancre dans une histoire personnelle. Les jardiniers se réfèrent au passé, à un personnage incarné de ce passé, à des origines rurales familiales. Les jardins partagés sont une manifestation de ce besoin très fort du citadin à l’égard de la nature, car c’est avant tout un espace de reconnexion avec celle-ci.
Ces jardins suscitent-ils davantage un intérêt auprès des couches populaires qu’auprès des autres catégories socio-professionnelles ?
Traditionnellement, ce sont les milieux ouvriers qui s’en sont emparés. On observe aussi une dynamique des jardins partagés dans les cités. C’est d’abord le contexte social qui veut ça, mais pas seulement :
C’est dans les cités marseillaises, à la périphérie du centre que l’on trouve le plus d’espaces mobilisables pour créer les jardins.
En effet, les Trente glorieuses ont laissé beaucoup d’espaces fonciers disponibles, car délaissés par une urbanisation qui a été lâche durant cette période. Mais aujourd’hui, le phénomène touche toutes les catégories socioprofessionnelles : cela intéresse autant la femme au foyer de la cité que l’enseignant chercheur. L’engouement est très fort sur la nature en général et le jardin productif en particulier. Plus encore, le jardin collectif est devenu transgénérationnel. Cela intéresse aussi bien les enfants que les retraités ou encore les jeunes parents qui se posent la question de leur alimentation avec l’arrivée d’un premier enfant.
Il y a dix ans, vous écriviez qu’à Marseille les groupes issus d’une immigration récente restaient peu représentés dans les groupes potagers, à la différence de personnes issues d’une immigration plus ancienne…
Cela a clairement changé. Notamment grâce des associations de jardins familiaux qui dépendent de fédérations qui ont affirmé leur désir d’ouverture. Avant, les jardins familiaux étaient fermées à la ville. Avec cette volonté de les ouvrir, la population des jardiniers ressemble de plus en plus à la population générale marseillaise. Les jardins familiaux sont même devenus des lieux de confrontation interculturelle : des discussions ont lieu sur les différentes pratiques botaniques, des échanges de plants se font. Les jardins mettent en valeur la diversité des quartiers, davantage qu’à Paris par exemple, où les jardins s’implantent dans des dents creuses et le public paraît plus “bobo”.
Par rapport à Gênes et Barcelone que vous avez étudiées également, quelles sont les spécificités marseillaises ?
On peut déjà établir un point commun : une manière de faire les jardins avec des pratiques assez individualisées, moins de formes ouvertes. Autour de la Méditerranée, on a tendance à marquer les limites entre ce qui est de l’ordre du collectif et de l’individuel. Par contre, les jardins se sont faits de manière plus spontanée à Gênes et Barcelone où ils n’ont pas de statut légal, contrairement à Marseille où ils sont définis par les statuts d’une association – forme qui prime, mais qui en ménage d’autres, comme le privé. Aujourd’hui, après un processus de fermeture au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – avec une pression foncière telle qu’il fallait mieux vivre caché pour vivre mieux – les espaces ont désormais tendance à s’ouvrir, avec l’idée d’un bien commun reçu en héritage. Pour le jardin Joseph Aiguier par exemple, les propriétaires ont compris que pour maintenir cet écrin de verdure, il fallait qu’il y ait adhésion du quartier.
Notre carte, avec les premiers jardins de la série. Celle-ci sera complétée :
Commentaires
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Bonjour, connaissez-vous les jardins potagers du Frioul de l’association Frioul un Nouveau Regard (AFNR) ? ils font du compost avec un bac a lombric et sont tres enthousiastes et performants…et sympas. http://nouveauregard.frioul.free.fr/
Cordialement
Isabelle
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Article intéressant…
Je regrette juste que ne soit pas inscrit sur votre carte interactive le jardin partagé du Belvédère, situé dans le quartier de la Viste dans le 15ème.
Ce jardin est non seulement beau mais aussi, l’oeuvre d’un travail remarquable du centre social et des habitants du quartier. Sur ses 2000m2, 30 parcelles individuelles, 2 parcelles collectives et 2 parcelles pédagogiques s’organisent dans la mixité sociale et géographique. Je vous conseille ainsi fortement d’aller jeter un œil du côté du boulevard d’Hanoï et de voir l’une des plus belles vues de la rade de Marseille.
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Merci de vos suggestions! Bien sûr, notre série sur les jardins marseillais n’est pas exhaustive, et notre petite carte non plus! En revanche, l’association Libres Chemins en a concoctée une bien plus complète, à laquelle les internautes peuvent contribuer! Nous vous invitons à y jeter un œil, il y a plein de pépites vertes à découvrir: http://libres-chemins.org/?Carte-des-jardins-partages-et
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