Le marché aux puces perd son boucher et une tranche de son histoire
Depuis la rentrée de septembre, les visiteurs du marché aux puces ont pu constater la fermeture du boucher historique Slimani et celle du supermaché Lidl. Un mauvais signal pour les commerçants toujours en place, qui peinent à faire leur chiffre d'affaires et n'arrivent toujours pas à entrevoir l'avenir du lieu.
La boutique Slimani a tiré le rideau. Photo : Violette Artaud
L'enjeu
Avec le départ du boucher historique Slimani, qui disposait du seul abattoir halal du département, et du supermarché discount Lidl, le marché aux puces s'enfonce un peu plus dans le déclin.
Le contexte
Euroméditerranée construit un nouveau quartier qui prend en étau le marché. Ce dernier fait vivre de nombreux habitants des quartiers nord mais repose sur une propriété privée mal gérée.
“Le marché aux puces, c’est fini !“, assure au téléphone un membre de la famille Slimani, boucherie historique du marché aux puces. Disposant au départ d’une simple boutique au fond du marché, Moustapha Slimani et sa famille, spécialistes de la viande halal, peuvent aujourd’hui se targuer d’être à la tête d’un empire de plusieurs sociétés reparties dans toute la ville, voire, dans toute la métropole.
Mais si tout a commencé ici, depuis l’Aïd, la boutique aux couleurs de l’Algérie du fond du marché ne crache plus ses offres promotionnelles dans un mégaphone. Lors de la prochaine grande fête, les Marseillais musulmans ne pourront plus venir choisir leur mouton pour assister à l’abattage rituel effectué sur place. Slimani était le dernier abattoir de la ville à le proposer.
Sur place, les portes métalliques qui séparaient la boutique des abattoirs, en dehors de l’enceinte du marché, ont été remplacées par des parpaings. “Il a récupéré tout ce qu’il pouvait, même les fenêtres des abattoirs”, indique un voisin en montrant du doigt les ouvertures dénudées des imposants hangars de l’autre côté du mur. Si Moustapha Slimani louait le fond de commerce pour sa boucherie, il était propriétaire des abattoirs mitoyens. “Ils ont fait leur affaires avec Euromed”, glisse-t-on encore.
Expropriation
Le boucher a en effet négocié son départ avec l’aménageur, qui récupère la surface. “Il y a eu à la fois expropriation et arrangement à l’amiable, explique à Marsactu Paul Colombani, le directeur général adjoint d’Euroméditerranée. Nous sommes restés en contact tout au long de l’opération et avons accepté les conditions relatives à son départ, notamment en fonction du calendrier religieux. Mais les indemnités ont été tranchées par un juge d’expropriation.” Quant au montant de l’opération, il restera “confidentiel” expédie le directeur adjoint d’Euromed. Si Stéphane Slimani -le fils- ne détaille pas plus ce chiffre, il refuse le terme “amiable”. “Si c’était à l’amiable, on aurait eu de quoi trouver un autre endroit pour y mettre un abattoir, et on ne serait pas allés jusqu’au procès”. Quant à la partie marché, “il n’y a pas eu d’expropriation, ils sont partis d’eux-même”, complète Paul Colombani.
Fini, donc, les sacrifices halal pour les particuliers dans les Bouches-du-Rhône. “Nous approvisionnions 70 % de la communauté musulmane du département. Pour l’Aïd, en trois jours nous vendions 4000 moutons”, estime Stéphane Slimani, fils du gérant. Désormais, la machine Euroméditerranée peut dérouler ses plans sur l’ex-parcelle des abattoirs de Slimani. “Nous procédons par regroupement de parcelles, pour un programme d’ensemble. Il y aura là de la voirie, un mail qui dessert les puces et le pôle Gèze et des constructions”, dessine Paul Colombani.
Quant à l’empire Slimani, c’est désormais du côté du Marché d’intérêt national (MIN) des Arnavaux qu’il renaît. “Il est bien là oui, enfin son fils. Depuis septembre, il est en cours d’installation”, nous fait savoir la directrice d’exploitation. La descendance Slimani fait donc désormais dans la vente en gros. Mais refuse de voir là un lien de cause à effet. “Ça n’a aucun rapport. je cherche a développer cette activité depuis 2013. Mes parents avaient une politique et travaillaient pour les particuliers, moi je fais dans le gros”, détaille Stéphane Slimani. Quoi qu’il en soit, le marché aux puces et les Slimani, c’est fini.
“Il a senti le vent tourner”
“Pour nous, ça ne change rien, si ce n’est le bruit et la musique en moins”, assure-t-on encore parmi ses anciens voisins. Les bouchers du marché expliquent aussi que Slimani continuera d’approvisionner leurs stands avec des livraisons. “Mais ce n’est pas lui qui fait le marché ! La vie continue”, veulent recadrer certains de ses concurrents, à qui la réputation sulfureuse des Slimani ne manquera pas. Le boucher historique n’a peut-être pas ici que des amis, mais son départ n’en est pas moins le symbole d’une page qui se tourne Et plutôt de mauvaise augure. “Il a senti le vent tourner et est parti”, analyse-t-on au milieu des morceaux de viandes avant de conclure : “Il vu que le marché aux puces commençait à mourir.”
En même temps que lui, un autre acteur majeur du marché aux puces s’en est allé. Mi-septembre, comme prévu, le Lidl, a fermé ses portes. “D’un point de vue économique, la fermeture du Lidl est très impactante”, note Karim Habi, qui tient lui aussi une boucherie au marché avec sa famille. Au début de l’année, Marsactu dévoilait les dessous des négociations entre André Coudert, propriétaire des lieux, et Euromed sur la partie nord du marché, où se trouvait la grande surface. Après une expropriation qui a fini devant la justice, l’établissement public est devenu propriétaire de ces 6500 mètres carrés. “Nous nous sommes mis d’accord sur le principe de l’expropriation et de la surface avec monsieur Coudert. Par contre, nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur le plan financier”, expliquait, comme pour les abattoirs, Paul Colombani. Là aussi, il ne citait pas plus de chiffre pour la transaction.
Une réinstallation dans 3 ans
Sur cette parcelle, l’aménageur prévoit de construire un parking en silo et d’élargir le boulevard du Capitaine Gèze. Le Lidl sera lui déplacé à l’emplacement de l’ancienne station Total. Provisoirement ou pour y rester ? Les commerçants ne semblent pas avoir été mis au courant. Mais le directeur général adjoint d’Euromed assure qu’il s’agit d’une emplacement provisoire. “Il se réinstallera quasiment au même endroit. Le long du boulevard Gèze, en rez-de-chaussée du parking. Il ne sera donc pas dans l’enceinte du marché mais aura forcément une synergie avec celui-ci.” Euroméditerranée estime que cette réinstallation interviendra dans trois ans.
En attendant, les départs se poursuivent. Dans une radiographie de cette puissance économique du nord de la ville réalisée en mars dernier, Marsactu a compté une soixantaine de locaux fermés. Les commerçants restés sur place, faute de solutions de repli ou par attachement à ce lieu, se retrouvent eux dans le flou. Impuissants face aux signaux de déclin qui s’accumulent, ils ont décidé de se structurer en association, pour tenter d’y voir plus clair dans les ambitions du propriétaire des lieux et d’Euroméditerranée.
“Plusieurs primeurs sont encore partis récemment”, ne peut que se désoler Karim Habi, le président de cette association. “Et dès qu’un local ferme, il y a forcément moins de monde”, ajoute Hadj, trésorier de l’association et vendeur de thé. “Avant, on faisait 2000 euros de recette le dimanche, aujourd’hui, on en fait 250 !”, s’indigne encore un vendeur de matériel de plomberie. S’ils ne savent pas ce que l’avenir leur réserve, les commerçants ont conscience d’avoir atteint un point de non retour. “Nous, on aime le marché aux puces. Il nourrit beaucoup de familles et donne du travail. Mais on ne peut pas rester dans ces conditions”, s’inquiète un commerçant sous couvert d’anonymat. Il lie ce tableau noir à une mauvaise gestion volontaire du lieu.
“Nous ne voulons pas affaiblir l’activité”
La semaine dernière, après un incendie causé par la foudre qui a touché cinq locaux, une réunion a, pour la première fois, rassemblé les commerçants et André Coudert, propriétaire des lieux. “Coudert a promis des travaux de remise aux normes des réseaux d’eau et des voies d’accès de secours”, relate Bernadette Schneider, vice-présidente de l’association des commerçants. Mais ces derniers peinent à croire ce propriétaire qui s’est montré plus qu’économe par le passé.
“Il a cassé le bitume devant mon stand pour refaire des canalisations, il n’a jamais rebouché. Il ne fait plus ramasser les poubelles. J’avais trouvé un acheteur pour mon fonds de commerce, mais il n’a pas voulu”, rage le vendeur de matériel de plomberie. Un boucher abonde : “Si le marché était bien géré, on ne serait pas entre les mains d’Euromed. Personne ne voudrait habiter ici avec ça à côté. Alors on ne sait pas ce qu’il se passe dans les négociations mais on sait que Coudert veut que tout le monde rende les clefs. C’est bon pour les négociations, S’il vend, il n’aura pas à indemniser et pour Euromed, le prix baisse.”
Nous n’avons pas pu joindre André Coudert dans le cadre de cet article, mais en mars dernier, il assurait à Marsactu entreprendre ‘”une rénovation extrêmement importante” dans les prochains mois, preuve pour lui qu’il ne voulait pas laisser dépérir le marché.
Pour le moment, Euroméditerranée ne semble pas vouloir reprendre le marché en main, même si l’aménageur dispose toujours de l’arme fatale de l’expropriation. “Euroméditerranée est un énorme bulldozer qui écrase tout ce qui se trouve devant lui. Les commerçants du marché font partie des choses qu’il va écraser”, métaphorise-t-on au milieu des étals de fruits et légumes. Un sentiment que balaie le directeur adjoint de l’établissement public. “Nous considérons l’attractivité commerciale comme quelque chose de très compliqué à développer dans une opération urbaine. Il faut donc la préserver même si le fonctionnement va muter. Nous n’avons pas du tout l’idée de l’affaiblir.” Sauf si le marché s’essouffle de lui-même.
Commentaires
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Un nouvel épisode de la lutte des classes. Les aménageurs-investisseurs-promoteurs et leurs plans qui repoussent les pauvres. Détruire de l’existant et des usages pour mettre de l’immobilier qui leur rapportera à court moyen terme. Expropriation au moins là ça dit son nom. C’est bien
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À la lecture de cet article une fois encore, il en ressort que les transactions immobilières marseillaises sont toujours aussi claires.
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Afin de revitaliser le marché aux puces nous pourrions d’ailleurs de proposer à Tian d’ouvrir une blanchisserie ou bien l’un de ces bureaux de transfert d’argent. Son savoir faire ferait sans doute merveille.
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