Canebière, Noailles, Catalans : la feuille de route de Sabine Bernasconi

Sabine Bernaconi, ancienne maire du 1/7, est candidate aux législatives en juin 2022.

En avril, elle a débarqué dans un bureau totalement vide, celui de Patrick Mennucci que l'ancien maire de secteur avait débarrassé de tous ses objets personnels. Signant le retour de la droite après Jean Roatta, battu en 2008, Sabine Bernasconi n'a punaisé qu'un plan des premier et septième arrondissements dernière son bureau. "Je fonctionne avec cette carte dans la tête", souffle-t-elle. Elle fait le tour de ces quartiers et parle sans détour, ni langue de bois.

Écoutez, et lisez au-dessous :

Marsactu : sur l'ancienne usine Giraudon, le projet d'hôtel a été retoqué par la préfecture. On laisse en l'état ?

Sabine Bernasconi : J'espère que non. Pour autant, ce terrain privé est entre les mains d'une famille qui n'est pas pressée de réaliser un projet puisque celui qu'elle avait proposé n'a pas été retenu. Il était à quelques mètres près conforme au plan local d'urbanisme mais, en hauteur, il ne respectait pas l'intégration actuelle du bâtiment dans son environnement, ce n'est pas ça que nous souhaitions sur ce site là. Donc il faut absolument que nous rencontrions les propriétaires avec Dominique Tian pour exprimer notre volonté de voir le site réaménagé. On avait trouvé que le projet d'hôtel était intéressant car le terrain est bien placé, à proximité du centre-ville, du centre des congrès du Pharo agrandi. C'était le petit hôtel de charme au-dessus de la plage pour des congressistes ou des touristes. Il faut maintenant qu'ils trouvent une solution, un hôtel ou autre chose, mais on ne laisse pas une friche dans un quartier aussi beau en pleine requalification. C'est une verrue aux Catalans. On est en train de procéder à un agrandissement, un embellissement de la plage, il y a toute une réflexion sur la voirie, sur une promenade au-dessus des Catalans… Il faut qu'une décision soit prise mais la ville ne rachètera pas ce terrain, elle n'en a pas les moyens, ça ne peut pas être une priorité.

À côté, sur la plage des Catalans, on a eu dès le début de mandat un marqueur politique avec le retour d'une partie privative. On a l'impression qu'on gère la pénurie d'espace par l'argent…

J'ai soutenu à 100% cette idée. La pénurie d'espace, on ne peut que la constater. Cette plage est victime de son succès. Elle est proche du centre-ville, facile d'accès, on peut y trouver des commerces en sortant de la baignade et elle est historique à Marseille. Mais c'est aussi, avec un attachement particulier, la plage des habitants d'un quartier, donc il faut que chacun puisse cohabiter. Comment peut-on gérer ? L'année dernière, on avait mis une limite d'accès à 1000 personnes, ça se fera peut-être encore cette année. Pour autant ce qu'on propose là, c'est un espace de confort. Aux heures de pointe, on est les uns sur les autres, en face il y a une demande  – qui est plutôt celle des riverains. Ils nous disent "s'il vous plaît reprivatisez la plage qu'on a toujours connue privée". Entièrement privée. Aujourd'hui on a trouvé un compromis avec 20 % de privé, on ne reviendra jamais à une privatisation totale. Mais on répond à un besoin.

Pendant la précédente mandature, Patrick Mennucci défendait un projet de cinéma MK2 sur la Canebière, à la place de la mairie de secteur. Allez-vous le reprendre à votre compte ?

J'ai prévu pour me faire mon idée d'aller parler avec ce M. Karmitz. Il a déposé un permis qui dépassait le PLU de plusieurs dizaines de mètres, dans un secteur où vous avez l'église des Réformés, où l'architecte des Bâtiments de France est vigilant. C'est un projet qui ne pouvait pas aboutir et on ne nous a jamais proposé autre chose. Soit c'était une opération de communication avec aucune volonté d'aller au bout, soit quelque chose m'a échappé. Ceci dit je suis très favorable à ce que ce site puisse être transformé en pôle culturel, Karmitz ou pas. La question est : est-ce qu'il y a un investisseur avec un projet qui peut voir le jour rapidement ou est-ce qu'on entre dans 10 ans de discussions, auquel cas on a aussi beaucoup d'idées pour aménager cette place, en tout cas l'animer. Je trouve qu'il y a un véritable potentiel sur ce haut de la Canebière. En tant que maire de secteur, je considère que la Canebière est un enjeu, j'ai envie d'y retrouver une certaine identité, une âme marseillaise, une référence à la tradition. Je suis intimement convaincue que ça ne pourra passer que par un partenariat avec les équipements culturels à proximité. Les rendez-vous du kiosque, le festival du livre, ça se passe très bien mais il faut aller plus loin.

Plus bas sur la Canebière, un hôtel quatre étoiles et une brasserie sont prévus sur l'ilôt Feuillants. On parle de tirer vers le haut, mais aujourd'hui au même endroit, on a un marché sauvage.

La police a fait de nombreuses descentes au cœur du trafic de Noailles, il n'y a pas que les cigarettes. Il faut absolument éradiquer ce trafic. Les vendeurs à la sauvette c'est une partie visible de l'iceberg qui en train d'être traitée avec des renforts de CRS, la police municipale qui est mobilisée. Il y a encore un mois de ça, ils débordaient sur la Canebière tous les soirs, il y en a de moins en moins. Oui, il faut requalifier cet espace de Noailles. Cela ne pourra se faire qu'avec une intervention très forte de la police mais aussi une action croisée des services de l'hygiène, de la propreté, des emplacements… J'ai initié dès mon arrivée un cycle de réunions avec ces acteurs et des représentants des habitants via des associations et le CIQ. Vous remarquerez que sur Noailles je n'ai pas nommé d'adjoint de quartier, car je m'en occupe personnellement. Pour que les choses avancent, c'est le commissaire Brugère pour la police, Caroline Pozmentier pour la police municipale, Marie-Louise Lota pour les emplacements, Monique Cordier pour la propreté, Solange Biaggi pour le commerce, tous les décisionnaires sont là. Nous allons avancer en pack.

Ailleurs, on organise des marchés des biffins. Vous y pensez ?

Les vendeurs à la sauvette n'ont rien à faire là. Si ça se légalise et qu'ils ont envie d'organiser un marché de vêtements peut-être, mais ce n'est pas la vocation de Noailles. C'est le ventre de Marseille, on a envie de retrouver cette vocation alimentaire. On se demande ce que ça fait là des frusques par terre.

La poste Colbert est fermée depuis cinq ans. Un temps mise en vente, elle est toujours dans le giron de l'entreprise publique. Vous avez un projet pour ce bâtiment ?

C'est un site dont on parle en soi, moi je travaille par territoire. Ce que je souhaite c'est la réhabilitation du centre-ville, qu'il retrouve son âme. Quand on part du bas de la Canebière, il y a eu la requalification du Vieux-Port, les choses se passent plutôt bien, on arrive au bas de la rue Paradis où il est nécessaire d'envisager une requalification. On est d'avantage sur du soutien économique face aux Terrasses du port qui sont un aspirateur à clients. Comment on évitera l'hémorragie ? C'est par la qualité, avec quelque chose de plus apaisé, bien coordonné avec l'esprit place Lulli, revoir peut-être la trame circulatoire. En tout cas, les commerçants l'appellent de leurs vœux. Nous avons travaillé de manière croisée avec Yves Moraine pour que le site soit requalifié depuis la préfecture jusqu'à la Bourse. Il y a là une vitrine du luxe ou du haut de gamme à imaginer.

Pour revenir à La Poste, comment vous positionnez-vous ?

Chacun y va de son idée, on verra. Si La Poste vend, il faudra faire attention à qui, pour quoi. Ce n'est pas la même chose qu'un projet de territoire pour lequel on a une vision, pour que tout soit imbriqué et que cela forme la nouvelle identité de notre Canebière. Je ne peux pas entendre qu'elle soit une ligne de division, c'est le cœur de Marseille.

La communauté urbaine prépare actuellement un contrat local de propreté. Il y a un problème spécifique au centre-ville, où il y a beaucoup de passage, beaucoup de commerces. Comment allez-vous travailler sur ce dossier ?

Tout ça est en train d'être mis en place par la communauté urbaine avec le président Teissier qui tient beaucoup à un partenariat avec les mairies de secteur sur cette question. Nous devrions être opérationnels au mois de septembre. On devrait récupérer les cantonniers et certaines mécaniques (balayeuses etc.). En fonction de ce nouveau cadre d'intervention, il faudra un nouveau cadre d'évaluation du travail. C'est une révolution à Marseille. En tant que maire de secteur, je serai très présente sur le suivi de la propreté des rues. On évaluera si on a suffisamment de moyens qui ont été mis à notre disposition et s'il y a d'autres questions qui se posent. Ici, dans le centre-ville, est-ce qu'on peut continuer à nettoyer de 5h à 9h ? Je ne crois pas. Il faudra aussi être draconien avec ceux qui salissent, instaurer des bonnes pratiques. Je pense aux comportements personnels, mais aussi professionnels.

À la fin de la mandature précédente, la communauté urbaine avait appuyé sur le travail d'abonnement des commerçants…

Un peu. Eh bien, il faudra faire plus. On n'est pas encore parvenu à des résultats satisfaisants.

Le centre-ville est dense mais manque d'équipements publics. Quels sont les besoins ?

On a absolument besoin d'un stade. Devant les tours Labourdette, chaque fois qu'il y a une place, les jeunes jouent dans la rue. C'est le premier dossier qu'on a ouvert avec Dominique Tian, à force d'arpenter les rues pendant la campagne on a vu à quel point il y avait une attente dans le 1er.  Aujourd'hui l'AS Belsunce reçoit dans le 12e ! On a besoin d'un stade réglementaire dans le centre-ville. Il ne peut pas être dans le 1er – à moins de faire exploser les Réformés – mais plutôt en frontière. À côté, on s'est engagé sur un mini-stade qui servira pour l'entraînement à des associations constituées. Nous avons plusieurs sites sur lesquels nous avons demandé des études.

Il y avait à la Plaine un petit stade, qui a fini en terrain de boules car ça ne se passait pas très bien…

Comment était-il géré ? C'est toujours pareil, on crée des équipements mais après il faut les entretenir et les gérer. C'est une des raisons pour lesquelles l'AS Belsunce serait l'association de référence. Ils mènent un travail d'encadrement et, comme tous les passionnés, ils entretiendront le site sur lequel ils exercent leur passion. J'ai confiance. Dans le 7e, il y a des jeux de boules en concession, je vous invite à voir ce qu'ils font de ces lieux. C'est magnifique, ils plantent, végétalisent. Ce sont des petits havres de paix, parfois, on n'en demande pas plus. Il faut retrouver tout cela, dans le 1er c'est pareil qu'ailleurs.

En terme d'équipements, on parle aussi depuis longtemps d'un centre social à Noailles, aujourd'hui rattaché à celui du Cours Julien…

Vous êtes sûrs qu'il est attendu ? Je ne crois pas que la CAF ait prévu de donner un agrément. En revanche il y a besoin d'un lieu, c'est le Domaine Ventre sur laquelle la ville dispose de 680 m² et est en train de racheter les derniers locaux mitoyens. Nous avons commencé à répertorier les associations pour choisir des partenaires et proposer un projet social. Dans le cadre d'une approche globale, d'un travail transversal dont je vous parlais plus tôt, Noailles a aussi besoin de cette structuration sociale. Vous avez des associations comme Destination Familles, le Mille-Pattes, le Daki Ling, qui fonctionnent très bien mais aussi bon nombre de petites structures dont on ne sait pas pourquoi elles sont subventionnées, dont on ne sait pas exactement ce qu'elles font.

Un projet de mosquée a été refusé sur la Canebière. Ne risque-t-on pas de toujours trouver des « bonnes » raisons de refuser l'ouverture de lieux ?

Il n'y a pas de tensions particulières autour du projet. Ils ont besoin de locaux assez importants, plus grands que ceux qui existent aujourd'hui dans le centre-ville, pour un projet culturel et cultuel. C'est extrêmement compliqué. Quand je vois comment on se creuse la tête pour trouver des sites… On en est aujourd'hui plutôt au niveau de la recherche de faisabilité que sur un projet concret. À ce moment-là, on discutera. Il faut que ce soit sur un site suffisamment grand pour que les prières ne débordent pas dans la rue. La seule crainte est là.

Mais les pratiquants sont nombreux dans le centre-ville, les attentes sont là.

Sur ce dossier, la réponse ne peut pas être publique. Il y a déjà cinq ou six mosquées, je ne crois pas qu'il y ait de frustrations aujourd'hui. On est là sur un projet qui est plus large qu'un simple lieu de prière.

Pendant la Coupe du monde, vous avez lancé "le centre-ville fête le foot" pour éviter d'éventuels débordements de supporters. C'est un dispositif équipe d'Algérie qui ne dit pas son nom ?

C'est un dispositif équipe d'Algérie qui dit totalement son nom. On a soutenu une initiative de jeunes de ce quartier par le biais de deux associations qui souhaitaient expérimenter une action de prévention et de médiation. Eux mêmes sont venus nous dire "l'Algérie va participer à la coupe du monde, il y a un risque de débordement, on l'a connu par le passé à Marseille, c'est un traumatisme qui est encore inscrit dans les mémoires et c'est le centre-ville qui a été cassé. On n'a pas envie que ça se passe comme ça." Ça donne une image sinistre d'un quartier qui ne le mérite pas.

Cette question n'a pas toujours été commentée aussi sereinement. On se souvient de la phrase de Jean-Claude Gaudin sur les hordes de musulmans qui déferlent sur la Canebière.

Tout est toujours repris c'est évident [il avait ensuite reconnu "un mot malheureux", ndlr]. En l'occurrence aujourd'hui c'est la seule équipe pour laquelle il y a une crainte, parce qu'il y a un précédent. Mais il y a aussi une forte communauté algérienne. C'est la blague de Gad Elmaled, chaque fois qu'ils font quelque chose, les Algériens sortent les drapeaux. Si vous rajoutez quelques casseurs, on a vite fait de stigmatiser.

Là encore, les drapeaux ont parfois été source de tension dans votre famille politique (la proposition de loi de Guy Teissier, un tweet d'Yves Moraine). Vous n'avez pas de souci avec des drapeaux algériens sur la Canebière ?

Non. Je sais que c'est un point de crispation. Pour moi, c'est un moment de fête, c'est leur équipe. Quand l'US Endoume joue, moi je sors le drapeau rouge et noir, à chacun ses attaches. Si la France gagne je suis sûre qu'ils sortiront autant les drapeaux de la France. Par contre sur la proposition de loi de Guy Teissier, il ne faut pas tout mélanger. Dans une institution française qui représente la République, si on sort un drapeau d'une autre pays on peut se poser des questions. Mais là, ils soutiennent une équipe de foot, il faut pas aller chercher plus loin que ça…