Jean-Marie le Pen, locomotive de l'europhobie

Jean-Marie le Pen, locomotive de l'europhobie

Aux cris scandés de "on est chez nous", drapeaux français virevoltant, les militants survoltés accueillent Jean-Marie Le Pen, en meeting ce mardi au parc Chanot pour les élections européennes. Lui le président d'honneur du FN, est une nouvelle fois tête de liste aux élections européennes dans la circonscription du Sud-Est. Pour la septième fois. "Il a vieilli quand même", chuchote un frontiste à l'oreille de sa voisine. Si le Front National via sa succursale du rassemblement Bleu marine tente d'incarner un certain renouveau en présentant des candidats parfois très jeunes lors d'autres élections, la règle ne s'applique pas à la vieille Europe. Sur la liste Sud-Est, les trois premiers en position éligibles ont plus de 60 ans.

Quelques minutes avant le meeting, le nouveau maire des 13e et 14e arrondissements, Stéphane Ravier, n'aura jamais un mot méchant à l'adresse de celui à qui il doit sa propre ascension. "C'est tant mieux s'il est encore là. Il faut de l'expérience. Et puis il y a des gens derrière Jean-Marie Le Pen, il n'est pas seul. Il y a aussi d'autres régions que le sud-est !". Marine Le Pen dans le Nord, Jean-Marie dans le Sud mènent "une même bataille pour la reconquête" d'après Stéphane Ravier.

"Monseigneur Ebola"

Dans cette entreprise familiale, le patriarche reste fidèle à lui-même : il est le symbole du parti dont il incarne les valeurs et rappelle les marottes. Il est aussi le tribun aux dérapages incontrôlés qui lui ont valu maintes condamnations. Cette étape marseillaise aura donc son petit mot aux relents exterminateurs. Avant le meeting, le parti organisait un cocktail de presse sur un mode informel. Jean-Marie Le Pen y côtoie quelques journalistes et élus du cru. Au cours d'une discussion avec le maire FN de Cogolin, Marc-Etienne Lansade, il glisse que, face à "l'explosion démographique mondiale", "Monseigneur Ebola peut régler ça en trois mois". Après coup, mercredi, Jean-Marie Le Pen tentera d'édulcorer la portée de sa saillie : "ll va sans dire que je ne souhaite en rien la propagation du virus Ebola, ce dernier n’ayant d’ailleurs que faire de mes souhaits, mais risque fort en revanche de trouver dans le mondialisme triomphant un terrible vecteur de diffusion". 

Et voilà le vieux chat qui retombe sur ses pattes : une allusion à la démographie africaine expliquée par un recours au risque épidémique dans une époque mondialisée. Nous voilà au coeur de la doctrine européenne du Front national : à leurs yeux, la construction européenne n'est qu'une étape vers un monde ouvert à toutes les migrations.

C'est d'ailleurs sur ce terrain tant de fois labouré que celui-ci a démarré sa diatribe sur l'Europe une fois monté à la tribune, après son hôte marseillais, Stéphane Ravier. Mais, à 86 ans, Le Pen n'est plus l'homme aux deux bras tendus, capable d'improviser plus d'une heure un discours aux accents lyriques. Désormais, il a besoin de notes pour tenir son public en haleine. Il conserve toutefois ses références vieille France.

Crédit : E.C

Après la déclamation d'un poème de Charles d'Orléans, Jean-Marie Le Pen a laissé de côté la poésie et son manteau de froidure,  – sa transition – pour annoncer la venue imminente "du printemps français".​ L'expression n'est pas choisie au hasard. Elle fait référence à cette mouvance née des manifs contre le mariage pour tous, composée de catholiques traditionnalistes et de groupuscules d'extrême-droite. La référence induite aux printemps arabes est une transition toute trouvée pour revenir à sa prédiction habituelle : "une invasion migratoire massive dont nous ne connaissons que le commencement, et qui sera un cataclysme". Ombre portée de ce mouvement, l'Islam, toujours, est présenté en menace latente avec sa "vocation conquérante".

"Radeau de la méduse"

Parce que l'Europe reste tout de même le thème de la soirée, Jean-Marie Le Pen se pose en observateur averti de sa décadence : "L'Europe n'est plus qu'un radeau de la méduse, elle n'est plus un Eldorado". Bien droit, face au public, Jean-Marie le Pen semble défier quiconque susceptible de faire le rapprochement avec son propre déclin. Mieux, il puise sa légitimité dans son âge avancé, étant capable, comme témoin historique, de parler des prémices de l'Union Européenne, lui qui a connu la communauté du charbon et de l'acier alors qu'il était étudiant. Il se pose alors en sonneur d'alarme sur l'air de "je vous l'avez bien dit" :  "Je me suis efforcé d'attirer l'attention sur le danger qui menaçait le peuple français. Au départ, j'ai prêché dans un désert". Déclenchant les cris des militants frontistes, il dénonce "cette volonté tragique de vouloir créer des Etats-Unis d'Europe", avant de lancer : "On est chez nous. Oui, pour l'instant !"

Après le père – dont on imagine toujours que ce mandat est le dernier -, la fille, accueillie par la jeunesse lepéniste "Génération nations" conclut la soirée sous les hochements de tête approbateurs du père. Du local au global, le FN construit un argumentaire basé sur une logique d'emboîtement : les règlements de compte que connaissent la ville ont forcément une cause extérieure – les immigrés et leurs enfants – dont l'Europe permet l'intrusion. "Marseille est le symbole que Schengen est un erreur, une faute, une monstruosité. Il faut secouer le carcan européen, élire le maximum de députés européens du FN pour pouvoir dire à Bruxelles que cela suffit !".

Ultime symbole d'un passage de témoin entre la vedette du parti et ses nouveaux militants, une grappe d'enfants vient entourer les orateurs au moment d'entonner l'hymne national. On ne sait s'il sera aussi la tête de liste lors des prochaines élections régionales. Avec celui de député européen, c'est l'un de ses plus anciens mandats. A Strasbourg en tout cas, ce n'est pas son activité parlementaire qui l'épuise. Lors de la dernière mandature, il était certes présent à 72% des séances plénières* (ce qui permet de toucher l'intégralité de ses émoluments). En revanche, il n'a présenté aucun amendement, n'a posé aucune question et n'a proposé qu'une seule résolution. Mais ce n'est pas à cela que sert Jean-Marie Le Pen. Entre dérapage médiatique et harangue à la foule, il est toujours une locomotive électorale.

_{*Source Vote Watch}