"Ces voix des cités ignorées de l'establishment nous disent des choses"

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le 10 Avr 2014
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"Ces voix des cités ignorées de l'establishment nous disent des choses"
"Ces voix des cités ignorées de l'establishment nous disent des choses"

"Ces voix des cités ignorées de l'establishment nous disent des choses"

En 2012, au lendemain des législatives, le politologue Gilles Kepel dénombre plus de 400 candidats issus de l'immigration, soit l'équivalent de près de 8% des 5000 candidatures enregistrées pour ce scrutin, "un ratio comparable au poids démographique des Français d'origine étrangère en France selon l'Insee" écrit-il. Entre janvier 2013 et janvier 2014, il mène une enquête pour l'Institut Montaigne à Marseille et à Roubaix-Tourcoing. A Marseille, le politologue et son équipe* procèdent à une vingtaine d'entretiens menés auprès de candidats qui s'étaient présentés dans cinq circonscriptions des quartiers Nord, Est et du centre ville.

L'enquête Passion française, les voix des cités interroge les messages politiques de ces candidatures issues de "la diversité". Quelques jours après les élections municipales, il tente d'en tirer des enseignements sur les résultats observés dans les quartiers populaires, où ces candidatures sont le plus représentées. Ce point de vue, celui d'un chercheur spécialiste des questions liées à l'islam, Gilles Kepel le soumettra au débat samedi [1].

 

 

Tous les candidats que vous avez rencontrés avaient un point commun, ils se présentaient dans des circonscriptions populaires, notamment dans les quartiers Nord de Marseille. Quel était leur profil ?
Gilles Kepel : A Marseille, la plupart des candidatures issues de l'immigration sont maghrébines, principalement algériennes. Comme Samia Ghali, la seule à avoir sauvé sa mairie socialiste lors des municipales. Mais Stéphane Ravier a gagné dans les 13e et 14e arrondissements. Il s'agit de la plus importante "ville" française populaire gagnée par le Front national. Dans ces municipales, on constate que ces quartiers populaires ont massivement fait défaut au Parti socialiste, ce qui a été l'une des causes de sa débâcle, alors qu'elles avaient soutenu Hollande en 2012. En écoutant le propos des candidats dans les 8e, 7e et 1e et 2e circonscriptions de Marseille, suite aux élections législatives de 2012, on est pas surpris du résultat des municipales. Ces voix des cités auxquelles personne ne fait généralement attention dans l'establishment politique ou médiatique nous disent des choses. Parfois c'est choquant, inquiétant, mais si on refuse de voir la réalité telle qu'elle est, on ne vit plus en France.

Parmi les candidats de Marseille issus de l'immigration, vous avez rencontré des héritiers de la Marche pour l'égalité ?
La Marche pour l'égalité a été fondamentale en effet. Elle a commencé dans les quartiers Nord de Marseille, à la Busserine. C'était une sorte de procession, de témoignage de mécontentement de cette France d'origine algérienne qui arrive à l'Elysée de François Mitterrand. Celui-là même qui, ministre de l'intérieur avait déclaré, "avec le FLN, la seule négociation possible c'est la guerre". Entre 1983 à 2005, les marcheurs et leurs successeurs ne sont pas intégrés dans le politique.

Samia Ghali le dit très bien, avec ses mots, "les années Mitterrand, c'était démerdez-vous". Il y a eu 20 ans de perdus. 20 ans pendant lesquels cette génération qui désirait rentrer en politique a été marginalisée, folklorisée avec SOS racisme notamment, délibérément, par les élites au pouvoir.

Qu'est-ce qui a marqué un changement ?
Ce n'est qu'avec les émeutes des banlieues de 2005 que l'entrée dans le politique a eu lieu. Mais ce qui est étonnant c'est que les émeutes de 2005 ne touchent pas Marseille Nord. On peut donner une explication : les caïds tiennent avec une telle force le système qu'ils ont les moyens d'empêcher les émeutes qui perturberaient trafic. Il s'est construit là une économie meurtrière. Mais en même temps, la toxicomanie et le deal constituent la manière dont la société française ajuste économiquement la marginalisation de cette population.

Justement, à Marseille, vous avez remarqué que le discours sur le clientélisme politique, l'économie parallèle revenait systématiquement chez tous les candidats issus de l'immigration ?
Il faut dire que Marseille reste un cas extrême. Le clientélisme politique y a été manifesté d'une manière ahurissante aux municipales, avec l'alliance absolue des deux G [Gaudin et Guérini -ndlr]. D'autre part, on trouve aussi des subventions détournées par les responsables d'associations bidons qui les utilisent pour faire voter les cages d'escaliers. Ce n'est peut-être pas un hasard si Stéphane Ravier a gagné [la mairie de secteur des 13e et 14e arrondissements, ndlr] dans la circonscription dont Sylvie Andrieux était la députée… qui n'a pas démissionné [rappelons que l'élue, condamnée en première instance, a fait appel – ndlr]. Le clientélisme, l'économie de la drogue constituent une sorte de système en marge des institutions républicaines, une sorte d'Etat "bis". Malheureusement on peut penser que les résultats des élections à Marseille sont le produit de cela. On a bien vu comment les quartiers populaires n'ont pas donné leurs voix au candidat socialiste sauf à Samia Ghali, la seule qui a gardé sa mairie parmi les candidats socialistes. Une grande partie de ses électeurs a privé la gauche de son succès.

Dans vos entretiens, certains revendiquent clairement leurs origines, leur appartenance à une communauté, d'autres se revendiquent plutôt de la laïcité. Avez-vous rencontré des gens au parcours très différent ?
En effet, le spectre est très vaste dans cette enquête. Parmi ces candidats, il y a ceux qui ont été élus et qui ont fait de gros scores, généralement au-dessus de 25%. Ceux-là ont intégré l'habitus du langage politique, ils ont été socialisés par les appareils des partis, que ce soit le PS ou le Parti de gauche pour la plupart, mais aussi l'UMP ou le centre. Mais parce que la socialisation politique de la population concernée s'est effectuée seulement au lendemain des émeutes de 2005, beaucoup de ceux qui ont été élus cette fois-ci n'ont pas connu le parcours du combattant : les élections municipales, puis les cantonales, puis la députation, puis la fonction de ministre. Du coup, un certain nombre d'entre eux a été principalement socialisé par l'appareil, avec le risque de les couper du terrain.
Ce qui m'a aussi intéressé ce sont les petits candidats qui n'ont pas recueilli beaucoup de voix, dont certains étaient issus de réseaux associatifs, voire de réseaux de mosquée.

Pour la 1ère fois, ils se sont présentés comme des "représentants de l'exclusion". Ils ont une vision très revendicative et souhaitent témoigner de ce qui ne va pas, d'une jeunesse qui a l'impression de rester en marge.

Ainsi, j'ai essayé de rencontrer à la fois des gens qui étaient dans la marge et ceux qui étaient dans "l'establishment". Nora Preziosi, elle, est un peu entre les deux car elle est cooptée par Jean-Claude Gaudin, s'est mariée dans la bourgeoisie marseillaise, mais en même temps, elle se souvient parfaitement d'où elle vient.

Certains candidats rallient l'extrême droite, c'est un phénomène nouveau ? 
Cela m'a stupéfié. Prenons le cas d'Omar Djelil : j'ai été complètement décontenancé. Qu'est-ce qui fait que quelqu'un qui est passé par l'ensemble du spectre politique, qui a été le secrétaire de la mosquée du Bon pasteur devient un sympathisant de Jean-Marie Le Pen et considère que c'est en s'identifiant à lui qu'il va être reconnu comme français ?  L'enquête a été faite en 2013 quand la Manif pour tous commençait déjà à être bien lancée. On voyait qu'un certain nombre d'associations islamiques étaient présentes aux côtés des catholiques traditionalistes contre le mariage gay. C'était quelque chose de très nouveau car autrefois, les immigrés s'associaient presque systématiquement à la classe ouvrière, aux syndicats ouvriers pour négocier leur place dans la société française. Patrick Mennucci, expliquait ainsi que le mariage gay lui avait coûté énormément de voix. Une digue a sauté, un tabou a été franchi. Mais pour l'instant il manque le recul nécessaire pour affirmer pourquoi le PS a perdu ces 85% de voix dans les quartiers populaires de confession majoritairement musulmane qui votaient pour lui. Plusieurs critères sans doute. A mon sens la persistance de l'exclusion, ce qui fait que c'est surtout l'abstention qui s'est manifestée.

Parlons de Stéphane Ravier et de sa victoire dans les quartiers populaires. Il s'adresse dans ses tracts à un électorat musulman et en même temps il présente un discours musclé sur l'islam et l'immigration. C'est assez paradoxal non ?
Stéphane Ravier a un discours très virulent sur la visibilité de l'islam et notamment sur la question du niqab, ce que beaucoup de musulmans perçoivent comme une loi islamophobe. [Mais il propose aussi un discours comme celui] de Marie-Claude Aucouturier qui paraît ouvert vis-à-vis de la population musulmane du Panier. Pour elle, dans la mesure où ils sont Français et qu'ils paient leurs impôts, ils le droit de pratiquer leur culte, y compris d'avoir des abattoirs pour l'Aïd. En parallèle, Marine Le Pen compare les prières de rue à l'invasion nazie et ses principaux chevaux de bataille restent l'islamisation et l'immigration.

Le discours de l'exclusion s'émousse davantage chez certains candidats d'extrême droite comme Salim Laïbi avec l'idée qu'il faut plutôt une "alliance des exclus" comprenant les enfants de Gaulois et les Français récents face aux "élites mondialisées et aux sionistes" qui voudraient les réduire à rien pour les exploiter. Ce discours a une certaine résonance. Mais jusqu'où ? Pour l'instant on ne peut pas le dire, il faudra faire des enquêtes sur les municipales et les européennes.

Même si l'on ne peut pas tirer de conclusions sur les municipales, votre enquête sert déjà à en comprendre les grandes lignes ?
A Marseille, beaucoup de gens attendaient la victoire de la gauche qui n'a pas eu lieu. Ça a même été une débâcle, comme à Roubaix, la "Mecque du socialisme" qui est tombé à cause d'un conflit très grave à gauche, mais aussi parce qu'il y a eu un évitement massif des urnes. Il en ressort une très grande tension à Marseille. Mais ces 400 candidatures aux législatives constituent un changement remarquable parce que le ratio correspond à peu près à la population globale étrangère. Cela indique que le pays légal et le pays réel se ressemblent. Maintenant, il y a aussi une part d'ombre là-dedans, la persistance de l'exclusion due à 20 ans de lâcheté de nos élites politiques entre 1983 et 2005. Cela a empêché l'arrivée de personnels politiques issus de ces populations qui auraient pu fournir des modèles d'identification. La persistance d'exclusion qui s'est cristallisée dans le vote PS, anti-Sarkozy en 2012, se différencie aujourd'hui d'une autre manière. Avec les identifications à la Manif pour tous notamment, c'est à dire dans l'exacerbation d'une identité communautaire. Ou par ailleurs, à travers ces flirts avec le FN dans cette lutte commune de tous les exclus contre ce qu'ils nomment les "élites mondialisées et les sionistes".

*Une étude pilotée par Gilles Kepel, docteur en science politique et en sociologie, pour l'Institut Montaigne, avec Antoine Jardin, Mariam Cissé, Mohamed Ali-Adraoui, Hugo Micheron, Anaëlle Baes.

Au Mucem, ce vendredi, signature de Passion française, les voix des cités à 18 h et samedi signature et débat autour du livre à la librairie Maupetit, à 15 h. Retour à l'interview

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    Vous n’aurez pas de commentaires des gens des quartiers car on ne parle pas on agit.

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