Edmonde Charles-Roux : "Marseille est la capitale de l'aventure"
Edmonde Charles-Roux : "Marseille est la capitale de l'aventure"
"Quand on y réfléchit, on ne sait jamais quand ça a commencé, quand on a commencé à respirer l'air de la résistance". A peine quelques mots ont suffi à Edmonde Charles-Roux pour recréer une atmosphère. Ce mercredi, dans l'auditorium des Archives municipales, la femme de lettres toujours élégante et éloquente a évoqué ses souvenirs de la guerre 39/45 pendant une bonne heure. Pour l'exposition Ici-même que les Archives consacrent à la Seconde Guerre mondiale à Marseille, deux vitrines sont entièrement constituées par les archives personnelles et familiales – lettres, photos, papiers d'identité – qu'elle a donné à la Ville. A 93 ans, les souvenirs d'Edmonde Charles-Roux sont toujours aussi précis. Avec la guerre, toute la famille bascule dans la résistance.
La présidente de l'Académie Goncourt n'est pas née à Marseille mais son père, grand diplomate, était, selon ses mots "un grand Marseillais" issu d'une des familles qui ont fait la renommée de la ville. Après des années passées à l'étranger et sept en Tchécoslovaquie, la famille Charles-Roux s'installe au Cabot. En 1939, Edmonde est donc à Marseille, c'est d'ailleurs ici que commence son engagement dans la Résistance. La suite de son "parcours a été dicté par la guerre".
"Cette même enfant"
A l'époque, elle n'a pas vingt ans. "Quand la guerre a éclaté, j'ai cherché la chose la plus utile à faire. J'ai alors pensé à la Croix-Rouge. J'ai suivi une formation accélérée pour être infirmière. Tous les matins, à 6h30, la fille de diplomate était à l'Hôtel Dieu", raconte-t-elle, comme si c'était hier. Ce premier geste marque également son engagement :
Le vrai début de ma vie a été quand un jeune homme m'a dit que la voiture de la Croix-Rouge cachait quelque chose.
Ces colis étaient en réalité des munitions. Pendant cette même période, la demeure des Charles-Roux est pleine d'étrangers, de réfugiés venus trouver asile auprès de l'ancien diplomate qui a posé sa démission lorsque Pierre Laval est devenu ministre des affaires étrangères. "Nous étions très patriotes, se souvient Edmonde Charles-Roux. Ma famille a trouvé normal que je m'engage, que cette enfant que la gouvernante amenait au lycée traverse toute seule Marseille du jour au lendemain".
Une fois son diplôme en poche, elle est affectée à Verdun : "La comtesse Pastré m'avait prêté une Citroën que j'ai conduite avec un permis obtenu une semaine avant. Quelques jours plus tard, le camp de la Croix-Rouge a été attaqué par des avions". Edmonde Charles-Roux, alors dans une salle d'opération, reste bloquée sous la baraque qui s'effondre. Elle sera blessée une seconde fois à la fin de la guerre lors de l'entrée de l'armée française libre en Autriche.
"L'époque était héroïque"
A propos de son engagement de résistante, elle modère le caractère téméraire de sa démarche. "C'était la vie normale d'une certaine société à une certaine époque". Plus avant, elle confesse : "j'ai souvent souhaité que Marseille ait un réseau de résistance plus fort, nous n'avions pas de Jean Moulin. En même temps, la guerre a éclairé Marseille sous un jour où on ne la voit jamais. Ce n'est pas une ville tendre, elle cache des choses. Souvent la dimension pittoresque de la ville balaie tout le reste". A la fin de la guerre, elle monte à Paris pour chercher un emploi. "J'ai alors rencontré un marchand de peinture marseillais qui m'a fait rencontrer Pierre Lazareff. Ce fut mes débuts à Elle". Son chemin s'éloigne alors de Marseille vers Paris où elle mène une grande carrière de journaliste et d'écrivain, avant que son mariage avec Gaston Defferre en 1976 ne la ramène durablement vers la Méditerranée.
Elle n'a pas un mot sur son union avec le maire historique de Marseille qu'elle ne rencontre que bien des années après la guerre. De par son ascendance, elle se sentait Marseillaise bien avant de le connaître. Elle évoque brièvement la vie culturelle clandestine pendant la Seconde Guerre mondiale, au travers notamment de l'association contestataire "Pour que l'esprit vive", fondée par la comtesse Pastré. Elle décrit alors en détail un épisode qui semble l'avoir beaucoup marqué : le 27 avril 1942, l'association donne, dans les jardins du château Pastré, "Le songe d'une nuit d'été" de Shakespeare, avec des costumes de Christian Bérard, la direction d’orchestre de Manuel Rosenthal. "On avait voulu monter une oeuvre belle mais également en forme d'avertissement aux Allemands, décrit-elle non sans une certaine fierté. J'étais parmi les fées. Le Consul d'Allemagne, qui avait beaucoup de pouvoir à l'époque, a débarqué alors que la représentation avait commencé. Il est parti avant la fin. On n'aurait pas pu faire ça deux fois".
Dans la salle, un spectateur demande alors si la ville rayonnait culturellement à l'époque. La question la fait sourire. Et l'amène à évoquer un sujet d'actualité : "Je ne suis pas contre la capitale européenne de la culture. Une nouvelle Marseille est née avec le nouveau musée. Mais Marseille n'est pas la capitale de la culture mais celle de l'aventure. Ce titre l'aurait sans doute davantage aidée".
Commentaires
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“Elle n’a pas dit un mot sur son union avec le maire historique de Marseille …” Dommage, il y aurait tant à dire : la mise en place du système FO dans les années 50, contre la CGT, toujours d’actualité en 2013 et dont la ville souffre tant; le clientélisme; le refus de créer une grande communauté urbaine à Marseille, comme à Lilles ou Lyon pour ne pas s’associer à la ceinture rouge des mairies communistes ( 30 ans de retard pris) ; les clefs de la ville données à Tapie, considéré comme successeur potentiel ; la mise sur la touche de Michel Pezet ; la vente du Provençal à Lagardère à la mort du maire historique, le journal de Marseille finira chez Hersant, grand résistant comme chacun le sait , etc, etc … L’esprit de la résistance à Marseille n’aura duré que le temps d’un songe
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…et les accointances avec le frères Guérini (déjà)! Eux aussi grands résistants… La prise du Provençal à la mitraillette…
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Son engagement patriotique est incontestable, elle fait partie intégrante de l’histoire de la cité. Cette résistante représente le chantre républicain, un repère moral, dont devraient s’inspirer les personnes qui prétendent approcher la chose publique.
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Porter toute sa vie le titre de Grande Résistante pour avoir conduit un camion ce doit être un peu lourd. Heureusement que cette dame a la lucidité et l’honnêteté de ramener les choses à leurs justes proportions en disant “c’était la vie normale d’une certaine société à une certaine époque”. La Libération de Marseille j’en ai souvent entendu parler par mon père engagé volontaire à 17 ans en 1940, qui après avoir passé trois ans en Afrique et participé au débarquement de l’île d’Elbe et de Toulon est arrivé à Marseille avec les troupes régulières. Et ce qu’il racontait sur les FFI dans cette ville n’était pas vraiment politiquement correct : arrogance,règlements de comptes particuliers, femmes tondues, racket, pillages… Avec le recul du temps, la gloire n’a pas forcément rejailli sur ceux qui le méritaient : qui parle encore de ces troupes de libération, Sénégalais, Marocains, Algériens avec souvent à leur tête de jeunes sous officiers Corses puisque la Corse est la seule région qui a subi deux mobilisations en 39 et en 43. La France a refait l’Histoire à travers le prisme déformant de sa mauvaise conscience et ceux qui ont véritablement fait l’Histoire sont morts dans l’indifférence.
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En conscience,chacun peut connaître son choix, qui ne peut qu’être guidé par le courage pour décider de s’engager à 17 ans , au péril de sa vie,du côté de ceux qui défendent la liberté. Votre père et Edmonde Charles ROUX, par leur engagement, l’ont fait eux, par des actes forts. Ils ont souvent mené des missions simples mais des actions au service des valeurs républicaines. Un héroïsme, simple, unitaire, quotidien montré par tous ces anonymes, engagés volontaires et résistants. Ces Héros Anonymes sont des repères que la République doit montrer à nos enfants afin qu’ils ne sombrent pas dans l’oubli.
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