Les beureks de Mumu
Depuis plus de 20 ans, Malika Moine croque la vie en dépeignant l'actualité plus ou moins brûlante de Marseille et d'ailleurs. Au long cours, elle s'intéresse aussi aux lieux où l'on boit, mange et danse parfois. Pour Marsactu, elle va à la rencontre des gens dans leur cuisine. Elle en fait des histoires de goût tout en couleurs.
Les beureks de Mumu
Quand j’arrive chez Muriel M. ce matin-là, je ne connais d’elle que le son de sa voix. Je sais aussi que je vais rencontrer une personne bienveillante et sympathique : elle a accepté la veille un rendez-vous culinaire chez elle pour partager une recette qui lui tient à cœur, celle des beureks.
Elle qui est formatrice en arts appliqués pour les jeunes coiffeuses, ne travaille pas aujourd’hui. Elle me reçoit dans son appartement qui donne sur le stade vélodrome d’un côté, et sur les grands immeubles derrière lesquels apparaît la mer de l’autre. Elle m’invite à l’appeler Mumu, comme tout le monde et m’offre un café et des amandes tout en sortant un à un les ingrédients pour la préparation. Elle me prévient : “Je ne peux pas dire pour combien c’est, tu fais une plaque, c’est tout. Tu achètes un plat calibré, le Tepsi en arménien. Il est à la taille des feuilles de pâte filo… J’ai mis mes initiales sur le mien comme ça, quand je l’apporte quelque part, personne ne le confond avec le sien et ne l’embarque !”
Un bel oignon rouge
Elle émince finement un bel oignon rouge en racontant : “J’ai grandi avec ma mère dans la maison de mes grands-parents. Ma grand-mère faisait toujours à manger pour beaucoup. J’ai appris dans cette maison la tolérance. Tu pouvais arriver avec 2,3, 10 copains, à n’importe quelle heure, tout le monde s’asseyait et mangeait à table… Mon grand-père avait un magasin de chaussures d’abord rue Sainte Barbe, et ensuite à Noailles, au Marché des Capucins. Il a travaillé jusqu’à 76 ans”.
“Il m’a dit qu’il savait super bien cuisiner, qu’il me ferait du canard à l’orange… Un homme qui sait cuisiner, c’est un homme généreux, qui fait bien l’amour… Il ne m’a pas encore fait le canard à l’orange.”
Elle arrose généreusement d’huile d’olive l’oignon dans la poêle, le fais revenir doucement en poursuivant : “Petite fille, quand j’entrais dans une maison arménienne, j’avais immédiatement un truc dans la bouche, et un dans chaque main. Moi je détestais manger, c’était une corvée. Mon grand-père m’appelait « squelette de puce ». Quand j’ai emménagé avec mon mari, un vrai épicurien, il y a 25 ans, je ne savais pas faire cuire un steak. Il m’a dit qu’il savait super bien cuisiner, qu’il me ferait du canard à l’orange… Un homme qui sait cuisiner, c’est un homme généreux, qui fait bien l’amour… Il m’a pas encore fait le canard à l’orange. Jusqu’à ce que notre fils naisse, ni lui, ni moi ne cuisinions. Quand on a baptisé notre fils (je crois pas du tout en Dieu mais c’était pour faire plaisir à mes beaux-parents parce que déjà, on est pas mariés…), il y avait plus de 160 invités. Ma grand-mère ne pouvait pas tout faire, les tatas sont venues aider et j’ai dû mettre la main à la pâte. Ça a été le début du partage -je préfère ce mot à « transmission ». C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à cuisiner et à aimer manger. Ma fille, elle, a toujours adoré manger. C’est quand tu cuisines en famille que se transmet son histoire. Je suis devenue un peu la mémoire de la famille. Nous sommes héritier du génocide arménien, il y a des histoires dures… On n’ a jamais parlé du génocide à la maison”.
Se marier avec un Arménien, “tu es folle? “
“Enfant, j’ai su que j’étais arménienne parce qu’avec mon nom, les gens me posaient la question. Mes grands-parents n’étaient pas dans la communauté, leurs 5 enfants ont fait des mariages mixtes. Moi, quand je disais à ma grand-mère que je voulais me marier avec un Arménien, elle me disait « Tu es folle ! ». Elle avait fait un mariage arrangé, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir cinq enfants”.
Mumu a quant à elle, fait un mariage d’amour avec un homme d’origine arménienne et passe du temps dans une association culturelle arménienne. Elle me montre le fond d’écran de son téléphone : une photo sépia de son grand-père enfant avec sa propre mère et sa soeur. “Mon grand-père avait 3 ans quand il y a eu le génocide. Sa mère lui a dit « chic, on va visiter un nouveau pays !» Elle avait planqué des pièces d’or dans ses jouets. Ils sont partis au Caire et ça s’est bien passé pour eux ce qui n’a pas été le cas de ma grand-mère qui a été orpheline”.
Quand l’oignon est transparent, Mumu ajoute les épinards. “Tu peux les prendre frais en branches – mais il en faut beaucoup parce que ça réduit – ou congelés, 2 ou 300 g. Tu fais des beureks à ce que tu veux. A la base, il y a la pâte filo avec du fromage et beaucoup de persil mais tu peux les faire à la viande. Chaque famille a sa recette. Pour les proportions, c’est un peu au feeling, ma grand-mère disait « tu vois… » La recette des beureks, c’est difficile à donner, il faut regarder, c’est la recette active : il faut faire pour apprendre !”
Pendant que les épinards mijotent avec l’oignon dans la poêle, Mumu râpe la féta. “Je l’achète dans les épiceries arméniennes, Exosud à la Plaine ou Anahit, bd de la Liberté. J’aime bien la marque grecque Kolios, c’est une fêta en saumure. J’en ai mis 4 à 500 g. Tu peux la mélanger avec du khoskabal, un fromage arménien à pâte dure.” Mumu appelle une copine pour avoir l’orthographe exacte des noms arméniens. Elle me montre un magnifique alphabet arménien enluminé. Elle ne parle ni ne lit la langue car dit-elle, “chez moi, on parlait arménien seulement quand il ne fallait pas qu’on comprenne”.
Elle déballe le beurre : “Comment te dire que la cuisine arménienne, c’est pas light ? mais après tout, c’est un plat que tu fais exceptionnellement, alors, autant te régaler !” Léo, le fils de Mumu entre dans la cuisine pour demander ce qu’il y a à manger. Il me confie ne pas cuisiner, avoir seulement beurré une fois un beurek. C’est justement la prochaine étape de la recette. Mumu fait fondre le beurre -à peine la demi plaque. Cette fois-ci, elle ne le clarifie pas.
Elle étale la première feuille de pâte filo dans le tepsi bien à plat et passe au pinceau le beurre sur toute la surface. “Ma grand-mère me racontait que la mère de son père faisait elle-même la pâte avec un long et mince bâton, l’orhlavou.” Et elle brandit soudain l’orhlavou comme un bâton d’art martial ou une baguette de magicienne. Je me souviens alors avoir vu une femme en Turquie étaler magnifiquement la pâte avec un bâton semblable à une vitesse prodigieuse.
“Après la première couche, je pose les couches de pâtes pas bien étalées -il faut qu’elles soient un peu fripées pour qu’il y ait du volume, et sur chacune d’elles, je passe du beurre au pinceau. Ma marraine ne beurre qu’une couche sur deux. Il faut mettre la moitié de la pâte en dessous de la farce, et l’autre au dessus. Aujourd’hui, c’est ma marraine et moi qui cuisinons les repas de famille et j’ai pas intérêt à partir en voyage à Noël ou à Pâques, même si ils sont pas très pratiquants dans ma famille et ma belle-famille… Il faut que je parle de ma belle-mère qui m’a beaucoup aidée et gâtée : quand j’ai commencé à cuisiner, j’appelais ma grand-mère, mes tantes, et ma belle-mère. Les femmes arméniennes sont pas toujours gentilles, elles sont coquines, quand tu leur demandes une recette, elles te disent « et toi, tu fais comment ?… Ha ben oui, c’est ça ! » Je ne comprends pas que l’on refuse de donner ses recettes.”
Elle mélange les épinard avec la féta, ajoute un œuf à la préparation, et l’étale sur les premières couches de pâte filo, sans tasser, pour que ce soit aéré. Elle allume le four entre 170 et 180°, et pose les feuilles de pâte tout en continuant à les peindre au beurre fondu l’une après l’autre. “Si tu fais des beureks individuels, il faut être 2, un qui beurre et un qui plie en triangle”. Elle passe au pinceau un jaune d’œuf mélangé au beurre fondu qui reste la dernière feuille de filo. Puis, elle pré-découpe les beureks en diagonale, avec un couteau qui coupe bien. “Maintenant, j’ai changé la recette. Pour que ce soit plus onctueux, je rajoute une petite préparation que ma grand-mère n’a jamais faite ni critiquée : je mélange de la crème de soja -pour que ce soit plus léger- au mélange œuf-beurre qui reste, et je la verse sur les beureks avant d’enfourner. Je retourne toutes les recettes à ma manière. Si j’ai commencé à cuisiner avec la cuisine arménienne, je me suis mis à toutes les cuisines ensuite et dès que je rencontre quelqu’un, je lui demande une recette. On a même commencé à faire un livre avec ma tante sur les recettes de Marseillais d’origine d’ailleurs !”
“Je cuisine aussi bien des pieds paquets que la zarzuela, des plats thaïs, des sushis et
d’autres plats japonais. J’ai même fait des sushis au pastourma ! »” À mi-cuisson, après 10 minutes, Mumu saupoudre le plat de graines de sésame et de graines de nigel.
Pendant que le beurek cuit, Mumu prépare un nanathé arménien. “Si tu veux bien manger arménien, il faut aller dans une famille. Les beureks font partie des mezzés. Il y a aussi le tarama ; le tzatziki, les concombres râpés dans du yaourt grec avec de menthe ; le pastourma, la viande de boeuf séchée ; les feuilles de vigne farcies… il faut d’ailleurs que j’aille cueillir les feuilles ces jours-ci ! Je vais te confier quelque chose : Les Arméniens, peuvent être protestants, apostoliques ou de n’importe quelle autre obédience, leur vraie religion, comme tous les Orientaux, c’est l’hospitalité”.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Commentaires
0 commentaire(s)
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.